INITIATION AU MYSTÈRE de la LITURGIE de L’ÉGLISE - 1er Thème

1er Thème :

 A) LA LITURGIE de L’ÉGLISE

1) Liturgie : définition et sens
2) La Liturgie d’après le Concile Vatican II
3) La Liturgie, acte de l’Église
4) Le Mystère de la Liturgie
5) L’EUCHARISTIE, centre de la Liturgie
6) La Liturgie des Heures : louange du Mystère
7) Liturgie et Vie spirituelle: le mystère pascal au coeur de nos vies
8) Conceptions limitées de la Liturgie

B) L’ÉVOLUTION DE LA LITURGIE À TRAVERS LES SIÈCLES

La dernière Cène et la passion-résurrection de Jésus: mystère pascal
Première étape: Âge apostolique et l’Église des martyrs
Deuxième étape: Âge des Pères de l'Église
Troisième étape: le Moyen-Âge
Quatrième étape : la réforme catholique : 16e - 18e siècles
Cinquième étape :Renouveau liturgique contemporain

C) LE MYSTÈRE de la LITURGIE et les DISPOSITIONS DU COEUR

L'Avant Liturgie
L'Après Liturgie 

La liturgie est le sommet auquel tend l'action de l'Église et en même temps la source d'où découle toute sa vertu.


LITURGIE DE L’ÉGLISE

1) Liturgie: définition et sens

            Qu'est-ce que la LITURGIE ? Que signifie ce terme et cette réalité que nous vivons tous les jours au coeur de l'Église notre Mère? La Liturgie est en effet une réalité vivante, riche et une à la fois. On ne la comprend bien qu'en y prenant part. On ne peut bien la définir qu'en entrant dans l'expérience que l'Église nous fait vivre tout au long de notre vie chrétienne. La Liturgie c'est en effet la prise de conscience de l'Église comme corps social, en ce qui la constitue ici-bas : être la dispensatrice du Mystère du Salut dans l'humanité. Pour le Concile Vatican II, la Liturgie est «le sommet auquel tend l'action de l'Église et, en même temps la source d'où découle toute sa vigueur.» (SC # 10)

            Donnons d'abord sa définition étymologique : De l'adjectif grec lèitos :"public", et du nom commun ergon :"service", "oeuvre", "travail". La liturgie est donc étymologiquement un "service public", une oeuvre faite au bénéfice du peuple. Dans les démocraties grecques, leitourgia désigne tout service rendu au bien commun par les citoyens, mais particulièrement la fonction publique dont le titulaire supportait les dépenses et qui consistait à organiser les choeurs, les jeux, etc...
            Au 3e siècle (entre 250-150) avant Jésus Christ, la traduction grecque de l'Ancien Testament de la Septante rend le terme hébreu 'abodah (service du culte) par leitourgia. Elle emploie ce mot pour désigner le service des prêtres et des lévites dans le Temple. La Liturgie devient le service religieux et rituel rendu à Dieu par la communauté rassemblée en son Nom.
            Dans le Nouveau Testament, le mot se présente aussi plusieurs fois en ce sens. Lc 1,23 : «Lorsqu'il
(Zacharie) eut achevé son temps de service (liturgie) au Temple, il repartit chez lui.»
Et encore
He 10,11 : «Dans l'ancienne Alliance, les prêtres étaient debout dans le Temple pour célébrer une liturgie quotidienne, et pour offrir à plusieurs reprises les mêmes sacrifices, qui n'ont jamais pu enlever les péchés.» Une fois le Christ est appelé "liturge du sanctuaire et de la tente, la vraie" et son ministère "liturgie" : He 8,2 .

2) Nature de la Liturgie d'après le Concile Vatican II

            L'Église, depuis plus de cinquante ans, a profondément réfléchi et découvert la richesse de sa Liturgie. Dès l'encyclique de Pie XII, Mediator Dei, en 1947, le Pape apportait à l'Église une heureuse définition de la Liturgie qui deviendra, au Concile Vatican II, le fondement de sa Constitution qui nous était donnée en 1963, premier Document du Concile.
            Après avoir écarté des définitions anciennes de la Liturgie qui faisaient d'elle une chose toute extérieure et accessoire, le Pape Pie XII soulignait la réalité surnaturelle qu'elle contient. Il invitait à en chercher la compréhension dans le sacerdoce du Christ et aussi, dans une juste notion de l'Église, Corps mystique du Christ. «La Liturgie n'est pas autre chose que l'exercice de cette fonction sacerdotale du Christ.»(1)

            Dans la Constitution Sacro-concilium sur la Sainte Liturgie, promulguée le 4 décembre 1963, le Concile a donné les principes généraux pour la restauration et le progrès de la Liturgie, ainsi qu'un enseignement sur la nature de la Liturgie et son importance dans la vie de l'Église. Voici sa définition:
            «C'est à juste titre que la liturgie est considérée comme l'exercice de la fonction sacerdotale de Jésus-Christ, exercice dans lequel la sanctification de l'homme est signifiée par des signes sensibles et est réalisée d'une manière propre à chacun d'eux, dans lequel le culte public intégral est exercé par le Corps mystique de Jésus-Christ, c'est-à-dire par le Chef et par ses membres. Par suite, toute célébration liturgique, en tant qu'œuvre du Christ prêtre et de son Corps qui est l'Église, est l'action sacrée par excellence dont nulle autre action de l'Eglise ne peut atteindre l'efficacité au même titre et au même degré.» (# 7)

            On voit ici que cette vision de la Liturgie par le Concile reprend la grande pensée du Pape Pie XII, en particulier au sujet de notre participation au sacerdoce de Jésus Christ. Cependant le Concile Vatican II va plus loin encore, et pour nous, actuellement, nous sommes situés dans cette vaste perspective au sujet de la Liturgie que nous vivons chaque jour. Le Concile ajoute ceci :

            1) La Liturgie est tout entière un signe sacré, comme l'Église l'est en ce monde: c. à d. que l'élément visible de la liturgie est signe efficace d'une réalité surnaturelle, présence du Christ et action de l'Esprit Saint. Le # 2 de la Constitution sur la sainte Liturgie le dit expressément, faisant de la Liturgie un signe missionnaire de l'Évangile :«La liturgie, par laquelle, surtout dans le divin sacrifice de l'Eucharistie, "s'exerce l'œuvre de notre rédemption", contribue au plus haut point à ce que les fidèles, par leur vie, expriment et manifestent aux autres le mystère du Christ et la nature authentique de la véritable Eglise. Car il appartient en propre à celle-ci d'être à la fois humaine et divine, visible et riche de réalités invisibles, fervente dans l'action et occupée à la contemplation, présente dans le monde et pourtant étrangère. Mais de telle sorte qu'en elle ce qui est humain est ordonné et soumis au divin; ce qui est visible, à l'invisible; ce qui relève de l'action, à la contemplation; et ce qui est présent, à la cité future que nous recherchons. /.../ C'est d'une façon étonnante qu'elle fortifie leurs énergies (des fidèles) pour leur faire proclamer le Christ, et ainsi elle montre l'Eglise à ceux qui sont dehors comme un signal levé devant les nations, sous lequel les enfants de Dieu dispersés se rassemblent dans l'unité jusqu'à ce qu'il y ait une seule bergerie et un seul pasteur.»

            2) L'action liturgique fait non seulement monter vers Dieu la prière d'adoration et de supplication de l'Église, mais aussi descendre sur l'Église et ses membres les grâces de la Rédemption.

           3) La place et la nature exacte de la Liturgie sont bien éclairées lorsqu'on la situe dans l'économie du salut de Dieu car elle réalise dans le mystère des signes ce que l'Ancien Testament annonçait, ce que le Christ a accompli dans sa Pâque et ce qui apparaîtra dans la Liturgie du ciel. Le Concile a insisté longuement sur cette perspective très vaste du mystère du salut dans la Liturgie.

            4) La Liturgie appartient au peuple chrétien qui est député par le baptême à y prendre une part active.

3) La Liturgie, acte de l'Église

            L'Église est constituée par la Liturgie, car c'est la Parole de Dieu qui y est à l'oeuvre, comme le prophète Isaïe le dit : «La Parole qui sort de ma bouche ne me revient pas sans résultat, sans avoir fait ce que je voulais et réussi sa mission.» La liturgie dans l'Église remplit une double fonction : 1) constituer l'Église et, 2) exprimer l'Église.
            La première est principalement l'oeuvre de la Liturgie des sacrements;
            la seconde, celle de la liturgie de la louange, celle des signes et des symboles.

1) La liturgie eucharistique est au coeur même de la vie de l'Église. Elle en est par excellence le sacrement, signe et lien de l'unité du Corps du Christ. Bien évidemment c'est d'abord aux sacrements de l'initiation chrétienne que l'on pense en parlant de l'acte liturgique qui constitue l'Église. Ils sont, selon l'image des Pères de l'Église, ce sein fécond dans lequel la Mère Église enfante au Christ de nouveaux fils et filles. Par les sacrements, l'Église se construit elle-même dans et par l'Esprit Saint. Tout sacrement qu'elle distribue et reçoit sert à l'édification du Corps du Christ, lui donne vie et l'agrandit. Ainsi l'Église se réalise elle-même dans la mesure où s'accomplit la sanctification sacramentelle des hommes.

2) Le second aspect de l'acte liturgique de l'Église exprime son "Mystère". Est mystère ce qui au moyen de signes sensibles et de symboles, exprime et rend présent une réalité divine inaccessible de soi en notre condition présente. Cette expression de l'Église par la Liturgie rejoint l'économie de l'Incarnation choisie par Dieu. Ainsi la liturgie sera chargée de tout ce que l'Église intègre en elle d'humain, qu'elle portera la marque et le poids des cultures au sein desquelles elle a germé. De ce fait, elle n'exprime qu'un aspect de la plénitude mystérieuse qu'elle signifie, car ce mystère dépasse notre intelligence. Cependant, à travers et malgré ses limites humaines, l'Église se dit en sa Liturgie, qui est son Acte par excellence, l'exercice de sa mission de salut par lequel elle opère tout au travers du temps et au profit de toutes les races humaines.

4) Le Mystère de la Liturgie

            Cette expression très riche du "mystère de la Liturgie" a trouvée une grande place dans la liturgie rénovée depuis le Concile. Ce mot "mysterion" a été traduit par "sacramentum" dans l'Église latine occidentale.Précisons toute la richesse de cette expression du "mystère" chrétien qu'est la liturgie.
            Au début, pour mieux situer et synthétiser ce "mystère", il est bon de rappeler deux extraits de saint Jean: «Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous.» (Jn 1,14) et «Voici comment Dieu a manifesté son amour parmi nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par lui. Voici à quoi se reconnaît l'amour :ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, c'est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils qui est la victime offerte pour nos péchés.» (1Jn 4,9-10) Le mystère est là pleinement exprimé quand nous prenons conscience qu'il s'agit de Dieu. Car la venue de Dieu dans le monde signifie une transformation radicale du sens des choses et de l'histoire. Si Dieu est passé, tout est achevé, tout a reçu son sens et rien n'est définitif que par là. Si le dessein de Dieu, dans sa charité éternelle, comporte essentiellement la vue parmi les hommes du Verbe Rédempteur, son Fils, l'histoire antérieure n'a d'autre signification qu'une préparation à cette venue, et l'histoire postérieure, celle de sa réactualisation sans cesse renouvelée en tous les points du temps et de l'espace et dans toute la variété des situations. Si le Christ est né, mort et ressuscité, nous n'avons d'autre chose à faire qu'à nous le redire et à entrer dans ce Mystère qui seul réalise l'union du temps et de l'éternité, de Dieu et de l'humanité. C'est là ce que l'Écriture nous révèle si souvent, ce que l'Église proclame et réalise dans son Eucharistie.

            En Dieu, ce Mystère est celui de l'Amour qui veut éternellement nous sauver et nous amener à la consommation par l'Incarnation du Verbe, son Fils. Dans le Christ, lieu de l'union, le même mystère d'unité et du salut de l'humanité se réalise concrètement. Et c'est par la Liturgie de l'Église, instituée par le Christ, que toute l'humanité entre dans ce même et unique Mystère de l'Amour de Dieu.
            C'est surtout l'Apôtre Paul qui a le mieux compris ce terme si riche du "mystère". Revoyons en raccourci, dans ses Lettres, les principaux aspects de ce terme. On peut distinguer dans sa pensée trois degrés en progression continue :
            1) Au premier, "mystère" est l'équivalent de secret, mais dans le sens de "révélation":«Nous proclamons la sagesse du mystère de Dieu, sagesse tenue cachée, prévue par lui dès avant les siècles, pour nous donner la gloire.» (1Co 2,7)
            2) Au second, "mystère" prend un sens précis : c'est l'accès des nations à l'héritage des biens divins, au même titre qu'Israël :«Voilà le mystère qui est maintenant révélé : il était resté dans le silence depuis toujours, mais aujourd'hui il est manifesté. Par ordre du Dieu éternel, et grâce aux écrits des prophètes, ce mystère est porté à la connaissance de toutes les nations pour les amener à l'obéissance de la foi.» Rm 16,25-26) .
            3) Au troisième sens, "mystère" se personnifie et devient un nom du Christ : «Assurément, il est grand le mystère de notre religion : c'est le Christ manifesté dans la chair, justifié par l'Esprit, apparu aux anges, proclamé chez les païens, accueilli dans le monde par la foi, enlevé au ciel dans la gloire.» (1Tm 3,16)(2) C'est cette dernière précision qui sera retenue pour la Liturgie de l'Église. Le Christ est le médiateur unique du dessein de salut et en même temps il accomplit et résume en Lui ce dessein de Dieu tout entier. Quand il est apparu sur terre comme Dieu Sauveur, c'est vraiment le Mystère qui s'est manifesté dans la chair. Cependant, c'est seulement au jour de sa Résurrection, quand il est constitué Seigneur, que le Christ s'identifie pleinement au Mystère et en exprime toutes les dimensions, car alors il domine le temps et la brisure de la création, et fait de l'humanité croyante son propre Corps en son Église.

            Cette expression du "mystère" orientera en grande partie la pensée des Pères de l'Église, en particulier, saint Léon le Grand, pape de 441 à 460. Celui-ci exprimera une pensée très féconde, celle-ci : «Ce qu'on avait pu voir dans notre Rédempteur est passé dans les mystères.» Cette pensée sera reprise par plusieurs liturgistes qui ont préparé le Concile Vatican II et en particulier, la Constitution sur la Liturgie.

            Plusieurs liturgistes, en particulier le Père Irénée Dalmais, op, ont réfléchi longuement sur d'autres Pères de l'Église et ont remis en lumière leur apport, en particulier, Saint Maxime le Confesseur, moine byzantin et martyr (580-662). Celui-ci voyait dans la célébration liturgique et surtout celle de l'Eucharistie, le lieu de notre déification, de l'union par excellence avec Dieu, de notre participation à sa divinité. Il écrit : «La grâce de l'Esprit Saint, toujours invisiblement présente, l'est d'une manière toute spéciale au temps de la sainte sinaxe; cette grâce change et transforme chacun de ceux qui se trouvent présents, elle le modèle véritablement selon ce qu'il y a en lui de plus divin et le conduit à ce qui est préfiguré par les Mystères qui s'accomplissent, même si lui-même ne le sent pas.» Il ajoutait ailleurs cette réflexion : «Ne nous éloignons donc pas de la sainte Église de Dieu qui contient de si grands mystères de notre salut dans la sainte ordonnance des divins symboles qui sont célébrés en elle. Par ces mystères, elle fait que chacun d'entre nous, selon sa mesure, atteigne dignement la manière de vivre selon le Christ. Elle rend manifeste que la manière de vivre selon le Christ est le don de la filiation donné par le saint baptême dans l'Esprit Saint.» (3)

5) L'EUCHARISTIE, Centre de la Liturgie

            Au centre et au sommet de la Liturgie, il y a le grand mystère de l'Eucharistie. Jésus l'a instituée pour son Épouse, l'Église. Par cette parole définitive : «Faites ceci en mémoire de moi», à la dernière Cène, et cet autre parole aussi mémorable au jour de sa montée vers son Père :«Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde».
         «C'est donc de la liturgie, et principalement de l'Eucharistie, comme d'une source, que la grâce découle en nous et qu'on obtient avec le maximum d'efficacité cette sanctification des hommes dans le Christ, et cette glorification de Dieu, que recherchent, comme leur fin toutes les autres œuvres de l'Eglise.» (Const. # 10)

            Dans l'une de ses dernières lettres encyclique, notre Pasteur Jean-Paul II rappelle : «L'Église vit de l'Eucharistie. Cette vérité n'exprime pas seulement une expérience quotidienne de foi, mais elle comporte en synthèse le coeur du Mystère de l'Église... Dans l'Eucharistie, par la transformation du pain et du vin en corps et sang du Seigneur, elle jouit de cette présence avec une intensité unique. L'Église a le regard constamment fixé sur son Seigneur, présent dans le sacrement de l'autel, dans lequel elle découvre la pleine manifestation de son immense amour.» Et plus loin, au # 3 : «L'Église naît du mystère pascal. C'est pour cela que l'Eucharistie, sacrement par excellence du mystère pascal, a sa place au centre de la vie ecclésiale.» (Ecclesia de Eucharistia).

            La pensée actuelle de l'Église est remplie de ce mystère de l'Eucharistie, et des lumières nouvelles nous sont données par les derniers documents et du Pape et des Congrès et des Évêques Ceux-ci préparent le prochain Synode destinée à approfondir pour notre profit ce grand mystère de notre foi. La méditation collégiale des évêques réunis au cours de la XIème Assemblée Générale Ordinaire de février dernier, préparatoire au Synode, nous fait revivre ce chemin pris par le Seigneur pour venir jusqu'à nous et y demeurer :
            «La plénitude divine du Verbe de la vie se trouvait dans l'humanité de Jésus de Nazareth. Après son Ascension, elle réside dans le mystère de l'Eucharistie, sacrement suprême de la Présence de Dieu à l'homme. En effet, l'Ascension n'est pas la disparition du Christ dans un ciel hermétiquement fermé ; l'ouverture du ciel veut indiquer l'existence d'un moyen pour revenir : « C'est alors donc que le Fils de l'homme fut connu plus excellemment et plus saintement comme Fils de Dieu : car s'étant retiré dans la gloire de la majesté paternelle, il commença d'une manière ineffable à être plus présent par sa divinité, bien qu'il fût plus loin par son humanité. « Lorsque je serai monté vers mon Père, alors tu me toucheras plus parfaitement et plus réellement ». (Saint Léon le Grand) Ainsi, à partir de l'Ascension Jésus-Christ n'est plus absent du monde : il y est présent, mais de manière nouvelle.»

            L'Eucharistie, sacrement de l'amour, est le grand sacrement de l'expérience chrétienne et mystique. Ce sacrement est apte de soi et par son institution même. L'un de ses plus nobles effets en est l'incorporation au Christ. Celui qui communie est spirituellement transformé dans le Christ et uni à tout son Corps mystique.
            Selon la pensée constante des Pères grecs, de saint Thomas, de saint Bonaventure, de plusieurs théologiens et saints, la vie sacramentelle est comme une initiation, une mystagogie à la vie intérieure où la perfection de l'amour est rattachée à l'Eucharistie et, par suite à l'expérience mystique de notre lien avec le Christ. Tout en n'oubliant pas que la vie intérieure chrétienne ici-bas se déroule jusqu'aux sommets dans l'ordre de la foi.

6) La Liturgie des Heures : louange du Mystère

- Prolongement et enchâssement de l'Eucharistie: la louange du mystère: la Liturgie des Heures.
La Constitution sur la Liturgie nous présente le très beau chapitre IV qui donne toute sa noblesse à cette louange des Heures qui est le symbole de la prière continuelle de l'Église. Voici ce témoignage:
            «Le Souverain Prêtre de la nouvelle et éternelle Alliance, le Christ Jésus, prenant la nature humaine, a introduit dans notre exil terrestre cet hymne qui se chante éternellement dans les demeures célestes. Il s'adjoint toute la communauté des hommes et se l'associe dans ce divin cantique de louange. En effet, il continue à exercer cette fonction sacerdotale par son Église elle-même qui, non seulement par la célébration de l'eucharistie, mais aussi par d'autres moyens et surtout par l'accomplissement de l'office divin, loue sans cesse le Seigneur et intercède pour le salut du monde entier.» (#83)
            Les entretiens qui suivront s'orienteront surtout vers une meilleure compréhension de cette Liturgie des Heures qui est la "voix de l'Épouse" comme le décrit si justement le Concile. Il ne suffirait donc pas de voir dans la Liturgie des Heures une prière proposée aux communautés et aux personnes comme un modèle à suivre, l'expression parfaite de leur propre prière. Bien plus, elle est destinée à remplir une part essentielle de la mission même de l'Église, une de ses fonctions principale. Car l'Église doit être à la fois «fervente dans l'action et occupée à la contemplation», (SC #2). Sa prière est vraiment «la voix de l'Épouse elle-même qui s'adresse à son Époux» (SC #84), pour le louer, lui rendre grâce de son oeuvre rédemptrice, implorer son secours dans le combat. C'est pourquoi d'ailleurs cette prière s'insère si profondément dans l'histoire du salut. Là, l'Église intercède aussi pour le monde entier. La Présentation de la Liturgie des Heures présente avec vérité ce sens fécond et maternel de la Prière des Heures : «Ce n'est pas seulement par la charité, par l'exemple et par les oeuvres de pénitence, mais également par la prière que la communauté ecclésiale exerce un véritable rôle maternel envers les âmes pour les conduire au Christ. Ceux qui participent à la Liturgie des Heures contribuent donc par une mystérieuse fécondité apostolique à accroître le peuple du Seigneur.» (#17-18)

7) Liturgie et Vie spirituelle: le mystère pascal au coeur de nos vies

            À quoi sert la Liturgie? Cette question se pose souvent dans son lien avec notre vie spirituelle, intérieure, notre lien d'union avec Dieu. Comment, chaque jour, la Liturgie me rejoint-elle pour m'unir à Dieu? Une vie spirituelle authentique s'épanouit nécessairement par la Liturgie et dans la Liturgie. La Liturgie donne le sens, l'esprit, la forme à toute vraie spiritualité chrétienne, en même temps qu'elle lui offre un certain cadre. Chaque chrétien peut y éprouver au mieux le réalisme de son être spirituel, à la fois personnel et communautaire.

            Et même, la vie chrétienne à sa racine, prend une forme pascale. La vie spirituelle du chrétien, commencée au baptême, s'actualise et se fortifie par l'Eucharistie, et c'est toute sa vie qui est saisie dans le mystère pascal de Jésus, en assumant toutes les diminutions et les croissances qui font parties intégrantes de tout être humain. C'est à la lumière de la liturgie que le chrétien peut lire les événements de sa propre vie et leur trouver un sens ultime.

            Par la Liturgie, l'âme chrétienne apprend la bénédiction, la louange et surtout l'action de grâce dans une vie spirituelle authentique, s'ouvrant ainsi avec ses frères et soeurs à la plénitude du don de Dieu. Car dans la Liturgie, l'âme chrétienne affirme en effet que la mort est vaincue dans le Christ, que la puissance des ténèbres a été renversée par la force du Ressuscité, et cette affirmation de foi engendre l'action de grâce ecclésiale: Vraiment il est juste et bon de te rendre grâce toujours et en tout lieu...

8) Conceptions limitées de la Liturgie

- Conception rubriciste
            Indiquons d'abord quelques manières un peu limitées de voir ou vivre la Liturgie de l'Église. D'abord celle qui voit la liturgie comme un lieu de rubriques, là où il faut réaliser les indications de l'Ordo, par exemple,
            Les rubriques cependant, les introductions, sont importantes. Ce sont souvent des justifications de l'aspect spirituel et théologique, la raison de telle structure. Ces textes de rubriques gagnent à être connus, en particulier celui de l'introduction au Missel ainsi que l'introduction à la Liturgie des Heures. Mais ceci étant dit, la Liturgie ne consiste pas en ces prescriptions.

- Conception esthétique, cultuelle: un cérémonial
            Ou encore une manière de voir ou vivre la Liturgie comme un moment purement esthétique, comme un cérémonial de cour. Autrefois, on appelait ainsi la Liturgie de la messe, une cérémonie. De même une conception cultuelle. Une telle façon de voir n'est pas suffisante pour exprimer le mystère de la Liturgie. Le culte, c'est un acte de la vertu de religion. La vertu de religion c'est le respect dû à Dieu dans son mystère, et le culte, c'est la façon de manifester extérieurement ce respect et cette soumission. Quelque chose de cela se trouve dans la Liturgie, mais ce n'est pas profondément cela. La liturgie n'est pas d'abord un acte de la personne humaine, ni de l'Église, mais c'est d'abord un acte de Dieu au sein de la communauté ecclésiale. Dieu accomplit une réalité au milieu de son Église assemblée et nous y entrons par la foi et le rite.

- Liturgie comme moyen de grâce
            Une autre conception limitée est devenue courante, beaucoup plus fréquente que nous le pensons : voir la Liturgie comme un moyen de grâce, ce qu'elle est évidemment. Ainsi l'Eucharistie, c'est la présence du Seigneur mort et ressuscité dans son mystère pascal même. Il ne vient pas s'offrir à nous simplement comme un moyen de grâce, mais il vient pour nous insérer en lui. Ainsi le rite de la manducation exprime l'intensité inouïe de l'unité, puisque c'est une sorte d'absorption de l'un par l'autre. Ainsi des autres sacrements de l'Église.

La compréhension de la Liturgie à travers les siècles

            Pour mieux comprendre la pratique de la Liturgie actuelle, il sera bon de parcourir les étapes de son évolution à travers les âges qui nous ont précédés.

La dernière Cène et la passion-résurrection de Jésus: mystère pascal

            C'est Jésus lui-même qui a inauguré le rythme hebdomadaire de la réunion chrétienne en apparaissant aux apôtres réunis au Cénacle le troisième jour après sa mort, qui était le premier jour de la semaine juive (Mt 28,1; Mc 16,2; Lc 24,1; Jn 20, 1-19)
            Aux pratiques ancestrales, les premiers chrétiens ajoutent leurs propres réunions : «Ils étaient fidèles à écouter l'enseignement des Apôtres et à vivre en communion fraternelle, à rompre le pain et à participer aux prières.» (Ac 2,42) Nous n'avons pas de précisions sur le déroulement de ces célébrations eucharistiques dominicales, sans doute encore liées au repas.

            L'une des premières sources d'information sur la vie liturgique des premières communautés chrétiennes nous est fournit par la première Lettre de saint Paul aux Corinthiens. Il y donne des règles pour le bon ordre dans les assemblées (ch 12-14) et pour la célébration eucharistique (ch 11,2-33)

Première étape: Âge apostolique et l'Église des martyrs

            L'Église hérite de la tradition juive: les historiens de la Liturgie chrétienne découvrent de plus en plus ses racines juives très profondes.
            A cette Liturgie juive s'ajoutent le Baptême et l'Eucharistie, l'Ordination des ministres et la sanctification du temps. Nous sommes désormais en présence d'une liturgie bien constituée et nous voyons apparaître les premiers formulaires liturgiques dont nous sommes encore bénéficiaires. La célébration pascale en particulier nous est décrite en détail. Importance du Dimanche : jour de la résurrection.
            Les martyrs et les Pères réfléchissent sur le donnée de la foi au mystère pascal.
                Importance du Baptême: illumination chrétienne. Et de l'Eucharistie.
                Saint Justin, philosophe martyr vers 165, écrit :
                   «Cette ablution s'appelle illumination, parce que ceux qui reçoivent cette doctrine ont l'esprit rempli de lumière. Et aussi au nom de Jésus Christ, qui fut crucifié sous Ponce-Pilate,et au nom de l'Esprit Saint qui prédit par les prophètes toute l'histoire de Jésus, est lavé celui qui est illuminé.»

Deuxième étape: Âge des Pères de l'Église

            Dès le 3e siècle, à la faveur des périodes de tolérance qui suivent les persécutions, les chrétiens possèdent dans les villes leurs lieux de culte, mais ce ne sont encore que des édifices modestes et discrets. Avec la paix de l'Église et les conversions en masse, il va falloir, avec l'aide de la munificence des empereurs, construire de vastes édifices pouvant servir de lieu d'assemblée au peuple chrétien. Les basiliques. Chaque ville aura désormais sa basilique épiscopale, lieu de l'assemblée dominicale. Mais il y aura aussi, dans les lieux de pèlerinage, des martyria, basiliques élevées sur les tombeaux des martyrs ou les lieux saints, comme saint Pierre du Vatican, ou à Jérusalem, la basilique de la Résurrection, ou du Saint-Sépulcre, ou celle de la Nativité, à Bethléem. Dans ces grandes basiliques urbaines, les Églises locales vont organiser des réunions quotidiennes de prières, matin et soir, auxquels tout le peuple chrétien est convié. Ces offices du matin et du soir, en se combinant avec les offices que célèbrent les moines aux heures traditionnelles de la prière, tierce, sexte et none et pendant la nuit, vont donner naissance au cycle quotidien de la Liturgie des Heures.

            Le cycle annuel de la liturgie à cette époque repose sur un seul pivot : la fête de Pâques renouvelée chaque dimanche. Jusqu'au 4e siècle, le Pascha évoque non seulement la résurrection, mais aussi la mémoire de la passion et de la mort du Christ.

            Mystagogie des Pères: saint Cyrille de Jérusalem, saint Ambroise, saint Jean Chrysostome...Les Pères, s'ils composent des traités théologiques, sont d'abord et surtout des pasteurs qui s'adressent à leur peuple au cours des célébrations liturgiques. Ils créent ainsi un nouveau genre littéraire : l'homélie, qui est une explication simple et familière, mais pourtant profonde et théologique, de la parole de Dieu proclamée au cours de la célébration. Ils expliquent aussi les rites introduisant ainsi aux mystères célébrés par la liturgie.
Exemple :
        Saint Grégoire de Naziance (+ 390):
        «Cette illumination est l'éclat fulgurant des âmes, transformation du cours de la vie, mettant la conscience en quête de Dieu. Cette illumination est pour notre faiblesse un secours: mettant de côté la chair, elle fait suivre l'Esprit et entrer en communion avec le Verbe. Redressement de la nature créée dont elle submerge le péché, elle donne part à la lumière et anéantit les ténèbres. Cette illumination fait monter vers Dieu, partager la route du Christ; elle est l'appui de la foi, la perfection de l'intelligence, la clé du Royaume des cieux. Transformation de la vie, suppression de la servitude, libération des liens, elle est une amélioration totale de l'être. Cette illumination est, de tous les dons de Dieu, le plus beau et le plus magnifique. Aussi, comme on parle du Saint des saints et du Cantique des cantiques, ils comprennent que la transfiguration du baptême est l'illumination par excellence, étant donné qu'elle est la plus sainte de toute celle de la terre.» (Sermon 40)

Troisième étape: le Moyen-Âge

            Après le 7e siècle, commence un processus de fusion entre la liturgie romaine et celle des églises plus récentes de Gaule et du Nord des Alpes. Les forces motrices de ce mouvement ont été autant la haute estime dont jouissait partout l'Église romaine du fait de la succession de Pierre, que l'incertitude et l'insatisfaction de beaucoup d'évêques et d'abbés face à la diversité des liturgies dans leurs régions. C'était un motif important pour rattacher les tribus franques et germaniques à Rome et à sa liturgie.
            Première rupture en ce qui concerne le mystère liturgique.
                    Précision sur le nombre de sacrements.
                    Recherche du signe essentiel et nécessaire du sacrement qui remplace une réflexion plus profonde sur le mystère (comme au temps des Pères).
                    Vers la fin du 8e siècle, s'introduisit peu à peu la coutume de ne plus dire le canon de la messe qu'à voix basse. On légitime cette pratique en disant qu'à ce moment le prêtre pénètre au plus intime du mystère et qu'il faut préserver les paroles sacrées de toute profanation.
                    Au 9e siècle se réalise la fixation du latin qui, de langue vivante en constante évolution, devient une langue morte fixée une fois pour toutes.Alors que le latin n'est plus parlé par le peuple dans aucune région, c'est lui seul qui est enseigné dans les écoles. Il fournit aux clercs un langage qui transcende les frontières. Ce changement fut lourd de conséquence sur le plan liturgique.

            A cause de la langue latine, obligatoire depuis le 9e siècle, apparaît la tendance à allégoriser les rites de la messe. Puisque la liturgie devient de plus en plus un spectacle qui se déroule dans une langue incomprise, on vise à donner une signification à tous les éléments extérieurs qu'on pouvait voir. Dans la succession des rites de la messe, par exemple, on verra les grands événements de l'histoire du salut et une mise en scène de la vie du Seigneur. Cette interprétation allégorique de la liturgie devint universelle. C'est elle qui fut employée par tous les liturgistes du Moyen-Âge. Voici comment Guillaume Durand, évêque de Mende, à la fin du 13e siècle commente le geste du sous-diacre apportant le calice et la patène à l'autel :
            «Le sous-diacre porte le calice à gauche, parce que le Christ a bu de l'eau du torrent en son chemin, c'est-à-dire qu'il a souffert la passion en cette vie; on porte la patène à droite, parce que, par la croix, il est parvenu à la gloire; c'est pourquoi Dieu l'a exalté; avec le corporal par-dessus parce que l'Église ne cesse d'imiter sa passion. On blanchit le corporal : et l'Église se moule sur le Christ à travers un grand nombre de tribulations. Notre sous-diacre, c'est-à-dire le Christ, a porté la patène avec le calice, quand il a porté la croix dans sa passion.» (Livre 4, 30,26)
            Évidemment cela déconcerte nos esprits actuels, formés à une certaine rigueur scientifique. Mais la pensée directrice de la méthode allégorique était juste. C'est grâce à elle que le peuple fidèle a compris que la messe commémore le mystère de la mort et de la résurrection du Christ et le rend présent pour que les membres de l'assemblée s'y unissent.

            Malgré cette tentative pour maintenir un certain contact entre la liturgie et le peuple, on ne réussit pas à empêcher qu'un fossé se creuse entre vie liturgique d'une part et piété personnelle d'autre part. La liturgie devient la chose des prêtres qui la célèbre dans le choeur séparé de la nef des fidèles par un jubé très haut, tandis que les fidèles créent spontanément des formes nouvelles de piété.

            Tendance à mettre par écrit les rubriques et les cérémonies.
            A cette époque, on s'éloigne de la profondeur du mystère liturgique.
            Le peuple réagit par l'apparition des dévotions entourant l'humanité du Christ.
            Ainsi ne disparaît pas la mémoire du mystère pascal.
            Communion rare, peu fréquente, en dehors de la messe pour les fidèles.
            Le prêtre communie seul, comme représentant le peuple de Dieu.

            Adoration de l'Hostie comme substitut à la communion.
            La piété des fidèles se coupe de plus en plus des sources liturgiques.
            L'Office divin aussi est allégorisé. Méditation des mystères de Jésus durant la célébration de l'Office.
            Piété individuelle et pénitentielle.
            Développement des indulgences.
            Vie liturgique florissante en cérémonies, mais très extérieure.

Quatrième étape : la réforme catholique : 16e - 18e siècles

            À la fin du 15e siècle, un monde nouveau apparaît. L'invention de l'imprimerie et l'humanisme, c'est à
dire une nouvelle vision de l'homme, de sa place dans l'univers inspirée de la redécouverte de la civilisation gréco-romaine antique. C'est dans ce climat que Martin Luther, en Allemagne, prenant prétexte du scandale d'une prédication sur les indulgences, dénonce les abus trop réels de l'Église de son temps et entre en lutte avec la papauté.
            Dans le milieu des humanistes chrétiens qui rêvent de combiner la sagesse antique avec le christianisme, se fait jour le désir d'une réforme liturgique procurant un accès plus large à la Bible et aux Pères de l'Église et on verra ainsi apparaître un nouveau Bréviaire vers 1535, ce bréviaire comportant chaque jour deux lectures de la Bible, de l'Ancien et du Nouveau Testament, et une lecture des Pères. Le Concile de Trente entreprend alors d'éliminer de la vie liturgique et dévotionnelle toute trace de superstition et d'avarice. Il affirme sa volonté d'unification liturgique et confie au Saint-Siège la révision des livres liturgiques et du calendrier.
            En 1568 et 1570, le pape saint Pie V promulgue le Bréviaire et le Missel romain, demeurés en usage, le premier jusqu'en 1911, et le second jusqu'en 1970.

            Durant la Contre-Réforme:
                    La liturgie, c'est strictement faire selon ce qui est écrit dans les livres: rubriques établies par Rome.
                    La liturgie est conçue comme un spectacle, une cérémonie. Grandes églises. Ornements richement décorés qu'on multiplie.
                    La prédication (après la messe) et la communion se détachent complètement de la Messe et deviennent pratiques de dévotion.
                    L'Oraison devient de plus en plus le chemin privilégié des fidèles plus fervents:
                    étapes du chemin spirituel des commençants, progressants et parfaits, mais très éloignés des sources de la liturgie et souvent, de la Bible.
                    La piété populaire se polarise alors sur la dévotion eucharistique et la dévotion mariale. L'aspect eucharistique se manifeste surtout dans l'éclat avec lequel on célèbre la Fête-Dieu, devenue la grande fête de l'année, et particulièrement la procession où l'on se sent plus libre pour créer. On multiplie d'ailleurs tout au long de l'année les expositions et les saluts du Saint-Sacrement. La dévotion mariale se traduit par des pèlerinages et l'introduction de nouvelles fêtes au calendrier universel : le Saint Rosaire, le Saint Nom de Marie, Notre-Dame du Mont-Carmel et des fêtes locales.

Cinquième étape :Renouveau liturgique contemporain

            A partir du XVIIe siècle, il y a un retour timide à l'histoire de la liturgie, et cela entraîne le renouveau du XXe siècle.
            En premier lieu, les grands précurseurs.
            En France, Dom Guéranger. Restauration de la vie monastique à l'Abbaye de Solesmes en 1833. Il élabore et influence une reprise de la liturgie romaine, une imprégnation, une sorte d'intelligence nouvelle qui donneront leur fruit au début du XXe siècle.
            Son oeuvre majeure: L'Année liturgique, qui a eu un rayonnement extraordinaire dans le peuple de Dieu.

            Ces intuitions ont été reprises par Dom Lambert Beauduin (1873-1960), moine de l'Abbaye du Mont-César, en Belgique. Celui-ci est considéré aujourd'hui comme le grand initiateur de la liturgie, le père du renouveau. On s'accorde en général à fixer en 1909 la naissance du mouvement liturgique.
            Dom Lambert Beauduin comprend que la liturgie est la catéchèse fondamentale à la dévotion chrétienne, capable de stimuler et nourrir la vie spirituelle. Il avait été admirablement préparé par l'influence décisive de Dom Marmion, son professeur, durant le séjour de celui-ci au Mont-César. Dom Lambert considère Dom Colomba Marmion comme le théologien de la liturgie, titre qui lui convient à la suite de ses trois livres qui ont influencé et préparé les voies de la spiritualité vers une grande unification entre la liturgie et la vie spirituelle: Le Christ, vie de l'âme, Le Christ dans ses mystères, et Le Christ, idéal du moine.

            Dom Lambert Beauduin cependant, pousse plus loin la réflexion aidé par sa grande érudition et de nombreux disciples. Il parlait de la nécessité de "démocratiser la liturgie", c'est à dire d'en faire l'affaire de tout le peuple. Au Congrès de Malines, en 1909, il présente la liturgie comme la véritable prière de l'Église, réalisant l'unité entre le prêtre et le peuple, et le moyen privilégié de l'annonce de la foi de l'Église. Les décisions qu'il proposa furent acceptées à l'unanimité. : multiplier les traductions en langue vernaculaire, des textes de la messe et des vêpres du dimanche, axer toute la piété sur la liturgie, former les choristes. Il fonde le monastère de Chevetogne dans un but d'oecuménisme qui le rapproche des Églises orthodoxes. A travers beaucoup de contradictions et d'épreuves, il prépare les voies décisives du Concile Vatican II, qu'il ne connaîtra pas.
            Il y a un lien absolument vital entre le retour à la liturgie et l'oecuménisme.
            La caractéristique la plus frappante de ce renouveau liturgique d'avant le Concile est son réalisme. On tient compte du peuple réel, des paroisses réelles et des prêtres comme ils sont. L'initiative la plus marquante a été le Missel de Dom Lefebvre, latin-français. Des millions d'exemplaires de ces Missels ont contribué de manière décisive à faire comprendre la liturgie de la messe et sa célébration communautaire.

            Cependant, dans l'Église, c'est la réforme demandée et favorisée par deux grands Papes qui réaliseront les désirs de tous ceux qui souhaitent un renouveau.

            Pie X, avait été un disciple ardent du mouvement liturgique. Devenu Pape, il disait souvent: «Il ne faut ni chanter, ni prier durant la messe; il faut chanter et prier la messe.» Et dans son Motu proprio du 22 novembre 1903, il réclame :«la participation active aux mystères et la prière officielle et solennelle de l'Église.»
1905, Restauration de la Communion fréquente, dans l'acte de l'assistance de la messe.
1910, Décret sur l'âge de la première communion.
1912, Décret autorisant les catholiques de tous rites à communier dans un autre rite et restauration des Rites: Bréviaire et livres liturgiques, des lectures bibliques quotidiennes. Réforme du calendrier liturgique.
1913, Décret développant un programme complet de Réforme liturgique. Quand Pie X a publié le nouveau bréviaire, il disait déjà: Ce n'est qu'un début... La guerre a cependant stoppé plusieurs de ces initiatives.

            Pie XII, avec l'encyclique Mediator Dei (1947) déclenche un très grand événement. C'est la première encyclique doctrinale d'un Pape sur la Liturgie, qui tente une synthèse théologique. C'est encore imparfait, car la place centrale du Mystère pascal n'est pas située. Mais ce qui est nouveau c'est l'affirmation que la liturgie est source de la piété. Lors d'un Congrès liturgique à Assise en 1956, il exprimait sa très forte approbation pour le mouvement liturgique : «Le mouvement liturgique est apparu comme un signe des dispositions providentielles de Dieu sur le temps présent, comme un passage du Saint Esprit dans son Église, pour rapprocher davantage les hommes des mystères de la foi et des richesses de la grâce, qui découlent de la participation active des fidèles à la vie liturgique.»

Le 9 février 1951, restauration de la Vigile pascale, et en 1955, restauration de la Semaine Sainte.

Entre les Papes Pie X et Pie XII, il faut situer l'apport d'un grand liturgiste allemand, Dom Oto Casel (1886-1948), moine de l'Abbaye de MariaLaach. Il fut trente ans chapelain des bénédictines. Un grand contemplatif et celui qui a compris d'une manière intuitive et décisive le sens du mystère liturgique. Son livre fondamental est Le mystère du Culte dans le Christianisme. Ce livre a eu une grande influence de son vivant, même s'il a suscité beaucoup de controverses. Le Concile, dans la Constitution sur la Liturgie, dans sa partie principale, reprend les expressions de Dom Casel et est beaucoup plus proche de lui que de l'encyclique précédente de Pie XII, Mediator Dei.

            C'est tout le travail accompli par les savants et les pasteurs qui permit au schéma sur la Liturgie d'être le premier prêt à être soumis à la discussion lors du Concile (1960-1965). Le 4 décembre 1963, la Constitution était promulguée par Paul VI. Cette Constitution sur la Liturgie annonce une ère de renouveau liturgique pour toute l'Église et en reste la charte. Depuis des siècles, l'Église n'avait pu réalisé une évolution aussi importante en matière de liturgie. Cette Constitution est en fait le résultat de travaux et de recherches de plus d'un siècle.

            Ce regard sur les étapes de l'intelligence de la Liturgie nous permet de voir que nous vivons à une époque qui a été une redécouverte du mystère liturgique dans sa plénitude et sa vérité. Le Mystère liturgique est vraiment le sommet de la vie de l'Église et le sommet de l'expérience chrétienne et la mise en oeuvre de la foi. C'est le Mystère pascal qui en est le coeur.

LE MYSTÈRE DE LA LITURGIE ET LES DISPOSITIONS DU COEUR

Constitution sur la Liturgie # 11:

«Pour obtenir cette pleine efficacité, il est nécessaire que les fidèles accèdent à la liturgie avec les dispositions d'une âme droite, qu'ils harmonisent leur âme avec leur voix, et qu'ils coopèrent à la grâce d'en haut pour ne pas recevoir celle-ci en vain. C'est pourquoi les pasteurs doivent être attentifs à ce que dans l'action liturgique, non seulement on observe les lois d'une célébration valide et licite, mais aussi à ce que les fidèles participent à celle-ci de façon consciente, active et fructueuse.»

L'AVANT LITURGIE

            Parlant de la vie des séminaires et des maisons des religieux, la Constitution sur la Liturgie émet le souhait qu'elle soit «profondément façonnée par l'esprit de la Liturgie» (1,17). L'expression est particulièrement adéquate quand il s'agit de communautés comme les nôtres. Une partie importante du temps de chacune de nous est consacrée à la célébration liturgique et c'est pour cette célébration que notre communauté est le plus souvent réunie en tant que telle. D'ailleurs la Liturgie des Heures va encore plus loin dans sa vocation propre: elle sanctifie le temps, dans sa globalité, tout le temps que nous vivons, du jour et de la nuit. Le temps de notre communauté est enraciné dans la Liturgie, et finalisé par elle. Les actions liturgiques donnent à toutes les autres actions le pouvoir d'être liturgiques, notre vie entière devient «culte spirituel» (Rm 12,1).

            La Liturgie des Heures produit en nous ses fruits quand elle est bien accomplie. Bien sûr, avant notre propre disposition, Jésus accomplit lui-même cette liturgie par sa présence. Il est le Chantre des louanges de son Père et nous entrons dans cette Louange, que nous soyons ou non préparées. Mais la fécondité de la Liturgie des Heures en nous, dépend en grande partie de nos dispositions personnelles. La Liturgie est une oeuvre divine, Opus Dei, très agréable à Dieu; c'est un lieu d'union et de sanctification privilégié, pourvu que nous apportions notre collaboration. Quelles sont ces dispositions?

            D'abord, avant l'Office, se préparer. Visons ici la préparation du coeur. C'est à elle que Dieu regarde tout d'abord. Prier pour que Dieu lui-même nous y prépare. La prière est nécessaire avant d'accomplir toutes nos actions humaines; encore plus cette oeuvre de Liturgie qui requiert de nous la foi, l'amour, la patience, l'adoration.

            Ne pas se recueillir avant l'Office, laisser son esprit divaguer, puis commencer tout d'un coup, et croire que la ferveur va naître d'elle-même dans l'âme, c'est se faire une étrange illusion. L'Écriture nous dit: «Avant la prière, prépare ton âme, et ne sois pas comme celui qui tente Dieu». (Si 28,23) Que veut dire tenter Dieu? C'est entreprendre une action sans s'assurer des moyens de l'accomplir. Si nous commençons la Liturgie sans préparation, nous ne pouvons la célébrer comme il convient. N'attendre que de Dieu les dispositions nécessaires, sans employer d'abord nous-mêmes les moyens de les produire en nous, c'est tenter Dieu.

            La première disposition requise de nous est donc que nous préparions notre coeur par une prière fervente, actuelle. C'est pour cela que nous nous réunissons au choeur avant la célébration de la Liturgie. Aller au choeur dans un esprit de préparation, de silence extérieur en vue de cet acte de Liturgie. Chacune à ce moment immédiat, nous pouvons respecter le recueillement de nos soeurs et ne pas le troubler, mêmes par des paroles nécessaires, mais qui pourraient être dites à un autre moment. Ne pas troubler ce travail d'une âme qui se prépare à s'unir à Dieu. Les instants qui s'écoulent avant la Liturgie sont des minutes d'or. L'expérience personnelle nous prouve que la ferveur durant la célébration se relie souvent à la préparation immédiate. Presqu'infailliblement, si nous ne nous préparons pas, nous sortirons de «l'Oeuvre de Dieu» comme nous y sommes entrées.

            Dès que la cloche nous appelle, Venez, adorons! (Ps 94). Nous devons abandonner toute autre activité, ramener notre pensée vers Dieu, si elle n'y est déjà, et lui dire du fond du coeur: «Me voici, ô mon Dieu, (Ps 39), pour te glorifier: que je sois tout entière à ton Oeuvre!» Ensuite, par un effort aimant et vigilant de notre esprit, nous devons écarter toute autre préoccupation, toute pensée qui nous distrairait, et rassembler, réunir nos énergies pour qu'elles se concentrent toutes vers l'Oeuvre qui va commencer: notre intelligence, notre volonté, notre coeur, notre imagination, pour que tout notre être, corps et âme, loue le Seigneur. Nous devons pouvoir dire en vérité: «Bénis le Seigneur, ô mon âme, et tout, du fond de mon être, son saint Nom.» (Ps 102)

            Puis, nous unir, par une communion profonde de foi et d'amour, au Christ, dans son mystère pascal qu'il célèbre en cette Liturgie. C'est en Lui, par Lui, avec Lui que nous nous tenons devant le Père, lorsque nous chantons les psaumes. Il aimait les psaumes, durant sa vie mortelle: plus d'une fois dans l'Évangile, nous voyons qu'il les utilise soit comme prophétie sur sa mission, soit comme sa propre prière, soit comme liturgie de son peuple. A présent, il les prie en nous, en vertu de cette merveilleuse union que l'Esprit établit entre Lui et ses membres. Nous sommes son Corps. De tout son mouvement, la Liturgie chrétienne s'appuie sur le Christ Jésus, le Fils bien-aimé du Père. Toutes les prières de l'Église se terminent par le rappel de sa médiation et de sa divinité: «Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur et notre Dieu...» Dans le Christ Jésus, nous trouvons notre meilleur appui, il nous supplée: demandons-lui qu'il soit en nous le Fils qui loue son Père.

            La Liturgie est une oeuvre éminemment apostolique, missionnaire, même si elle n'apparaît pas ainsi aux yeux de beaucoup. Il n'y a que la foi pour l'apercevoir, mais pour ceux et celles qui croient, combien grandit encore la valeur de cette Oeuvre! C'est dans l'obscurité de la foi que, durant la Liturgie des Heures, nous travaillons dans le Christ, pour le salut de tous. Que ces grandes pensées nous occupent donc l'esprit au moment de commencer l'Office divin: elles élargissent notre âme, elles augmentent nos énergies, elles éloignent la routine. Quand on agit habituellement avec cette foi, quand on oublie ainsi ses peines et ses troubles personnels pour ne s'occuper que de pénétrer plus profondément dans ce mystère pascal du salut de tous, on sort de soi. Alors, on loue Dieu avec ferveur malgré la fatigue qui peut survenir.

            Il est certain, soyons-en sûres, que si nous pensons avant tout à la gloire de Dieu et au Corps mystique du Christ, Jésus lui-même pensera à nous et nous comblera intérieurement au-delà de nos désirs et de nos espérances. Ne l'a-t-il pas promis lui-même? «Donnez, et il vous sera donné!» (Lc 6,38)

DURANT LA LITURGIE

            Nos Constitutions notent que nous devons prier avec ferveur et dignité. Retenons ici la manière digne d'accomplir cette Liturgie quotidienne. La dignité vise d'abord l'aspect extérieur de cette liturgie: les gestes, les indications de l'Ordo du jour, les règles que nous avons convenues ensemble pour le chant, tout ce qui constitue notre manière communautaire de vivre la Liturgie. Nous vivons ici et maintenant la Liturgie même de l'Église. Or, l'Église, notre Mère, nous a appris cette Liturgie, elle l'a orientée dans le propre sens original de ce mot: orienté, c.à d. dirigée vers cet ORIENT qu'est pour nous le Christ en qui nous sommes. Par là même, en ses rites, elle manifeste sous l'action de l'Esprit Saint, sa révérence, son amour, son adoration, sa louange au Christ, son Époux, et par Lui, à son Père. Tous ces rites et ces gestes que nous accomplissons ensemble, nous unissent. Oui, ils sont petits matériellement, mais ils sont grands aux yeux de la foi et de celles qui les font avec grand amour pour Dieu et pour leurs soeurs. Ils nous unissent dans une même harmonie, une même attention et charité.

            Prier avec ferveur. Pour ce qui est de l'attention, elle est nécessaire, car la louange divine est une action humaine, faite par un être doué de raison et de volonté. A défaut de cette attention, nous remplirions le rôle mécanique de poupées bien montées, des moulins à prières...
            La première attitude, celle qui demeure, est l'attitude humble de l'adoration et de l'amour. Dieu est la sainteté infinie et Il nous aime. Durant l'Office divin, nous sommes introduites par l'Église, devant le Père: nous sommes ses créatures et ses filles. Cette révérence se traduit de temps en temps durant l'Office par des gestes extérieurs, en particulier cette inclination qui accompagne le Gloire au Père... après chaque psaume. Mais cette adoration, cette révérence doit se maintenir vigilante durant tout l'Office, en évitant toutefois des efforts trop brusques d'imagination ou d'esprit.

            Rien n'empêche que durant cette attitude générale d'adoration intime, nous fassions attention aux sens des paroles, aux sentiments des psaumes. C'est ce que demandait saint François lorsqu'il exhortait ses frères : accorder leur voix à l'unisson de leur esprit, et l'esprit d'accord avec Dieu (3L 41). Si le psaume loue, je loue avec lui; s'il pleure, je pleure avec lui; est-il supplication? je suis sa demande, etc. Nous demeurons dans l'adoration durant tout le temps de la psalmodie, c'est l'attitude de fond. Mais sur cette révérence qui tient le fond de tout l'être, passent les modalités de la prière: l'amour, la joie, la louange, la complaisance, la confiance, le désir intense, les pressantes supplications. Tous ces mouvements surgissent des psaumes pour la gloire de notre Père des cieux et le bien de l'humanité, à mesure que le Saint Esprit touche les cordes de notre coeur. Notre âme devient une harpe docile sous les doigts de l'Esprit Saint. Il importe que nous soyons libres au-dedans de nous: soit de nous unir aux mots de la prière ou de demeurer dans cette simple attention de l'adoration première. (Voir PGLH # 100-104-106-107-108)

            La ferveur est une consécration de tout soi-même à Dieu. Elle est dévotion dans le beau sens du dévouement. La ferveur est l'accomplissement du premier commandement: Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toutes tes forces. Cette ferveur ne consiste pas dans les mouvements de consolation sensible que l'on peut éprouver. Certes, le Seigneur, dans sa bonté, nous accorde parfois cette grâce. mais la véritable ferveur est celle qui nous porte à nous rendre chaque jour au choeur, en persévérant dans cette conduite, non seulement quand on éprouve la force, l'amour et le désir de cet acte, mais quels que soient l'état de notre esprit et de notre corps,. Il y a des sacrifices à accepter durant ces heures de la louange.

LE SACRIFICE DE LOUANGE

            Dieu nous accorde une très grande faveur en nous admettant à participer ainsi à la louange de son Fils, à célébrer avec lui le mystère pascal. Cependant, il arrive souvent que notre Père nous fasse participer de plus près au sacrifice de son Fils, lorsque nous devons offrir en vérité le «sacrifice de louange» (Ps 49). Cette circonstance peut survenir de bien des manières. D'abord, nous-mêmes: donner tout ce que nous avons d'énergie, ne pas épargner notre attention pour donner sa voix harmonisée aux autres voix; attention aussi au déroulement de la célébration, à notre participation personnelle à tel acte, suivre les indications du chant, même si nous sommes d'un avis contraire. Brider aussi l'imagination qui voudrait bien divaguer, surtout à ce moment. Bien des efforts renouvelés pour secouer notre apathie ou notre légèreté naturelles. Autant de sacrifices inspirés par l'amour de Dieu et de nos soeurs.

            Puis viennent les nombreuses situations de patience qu'amène nécessairement la vie communautaire, même durant la Liturgie. Certes, notre vie communautaire est un véritable stimulant. Le fait de nous trouver ensemble dans les stalles, excite notre ferveur et anime notre coeur. Mais ce vivre ensemble comporte aussi plusieurs petits renoncements inévitables, souvent répétés. La possibilité, la chance des menus froissements est inhérente à notre nature humaine; cela est vrai même dans notre prière ensemble. Une célébration gauchement accomplie, des faux mouvements d'un choeur, un chant mal exécuté, des discordances de rythme avec celles qui nous entourent, tout cela peut tourner à l'agacement, surtout quand, par surcroît, la fatigue nous gagne et surexcite la sensibilité. Il peut y avoir lieu alors à un véritable sacrifice lorsqu'on doit chanter la gloire de Dieu dans ces conditions. Au ciel, unies à Dieu, nous le louerons dans l'éternelle harmonie d'une grande allégresse. Mais, sur la terre, il nous arrivera de devoir le faire en gémissant ou en ressemblant de plus près aux mêmes situations que Jésus a vécues, sur la montagne du Thabor, mais aussi en priant le psaume 21 sur la croix. «Qu'elle suive l'Agneau partout où il va...», écrit Claire à Agnès (4eL). Ainsi nous réalisons, en toute situation la vérité du Ps 33: «Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sans cesse sur mes lèvres.» Ainsi la Liturgie devient pour nous en très grande vérité le sacrifice de louange.

            Cet aspect personnel de notre expérience sentie ou immédiate de la Liturgie ne doit cependant pas occulter sa grande réalité toujours actuelle, toujours présente: le mystère de la Liturgie de l'Église dépasse notre propre personne. Quand l'Église célèbre ici et maintenant, j'entre dans ce mystère plus grand que moi. Ce que j'éprouve aujourd'hui n'a aucune comparaison de densité avec la grandeur de cette prière de l'Église. Ici s'applique déjà la parole de saint Paul aux Romains: «Les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous.» (Rm 8,18) Et encore, aux Galates: «Je suis crucifié avec le Christ; et si je vis, ce n'est plus moi, mais le Christ qui vit en moi. Ma vie présente dans la chair, je la vie dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi.» (Ga 2,20)

            Frère Thaddée Matura, reprenant la pensée des grands initiateurs de la Liturgie dans la première moitié de ce siècle, affirme ceci: «Dans ce visible, extérieur, une réalité invisible est à l'oeuvre, elle ne recouvre pas les bonnes dispositions de ceux ou de celles qui célèbrent, car si la célébration reposait exclusivement sur ces dispositions, ce serait souvent bien maigre. C'est pour cela que l'Église a toujours tenu à affirmer que la Liturgie n'est pas d'abord l'oeuvre des célébrants; c'est d'abord une action de Dieu, une présence de Dieu et du mystère, et cela exige justement de notre part une réponse, une disponibilité, une ouverture de coeur.» (Session Tinqueux 1986, LC).

L'APRÈS LITURGIE

            Un prieur de Chartreuse disait en vérité: «L'Office est le fruit de toute une vie, le fruit de longues oraisons où l'âme a appris ce que contient le mot de Dieu et les richesses du Christ, le fruit des lectures où les grands esprits lui ont appris ce que leur méditation leur a révélé, le fruit des conversations que l'on a eues avec les frères (les soeurs) et où l'on a appris à reconnaître et à aimer le Christ dans leur coeur, le fruit de l'humble travail manuel.» (Cité dans le Mystère monastique, par un Moine bénédictin, p.65)

           L'Aujourd'hui de la célébration liturgique n'est pas un arrêt du temps: il en est une concentration. Volontiers je dirais que l'Après liturgie est comme une détente de cette concentration. Mais cette détente n'est pas d'abord extérieure, elle affecte l'intérieur. L'Après Liturgie doit nous faire saisir le mouvement de la Liturgie qui est de soi, intériorisant. Ce mouvement mène vers ce sanctuaire intérieur où, dans le secret du coeur, se noue une rencontre avec le Père. Ce mouvement de la Liturgie creuse un espace intérieur.

            Si l'acte liturgique modifie mon comportement à l'égard du prochain, c'est qu'il me conduit à la rencontre par l'intérieur, plus que par ce qui apparaît. Par conséquent, la Liturgie m'amène à respecter le mystère de tout être, et dans ce mystère, la présence de Celui qui l'a voulu tel. Par la Liturgie, nous communions à la volonté de Dieu précédant la nôtre et inscrite déjà aux creux des rencontres et des circonstances de notre vie.

PRIÈRE PERSONNELLE ET LITURGIE

            Cette prière liturgique qui nous suit dans le quotidien, si nous lui sommes fidèles, nous conduit comme naturellement et d'une façon brève autant que fructueuse vers la véritable contemplation. Voici ce qu'écrivait à ce sujet Dom Lambert Beauduin, le grand initiateur de la Liturgie qui a influencé le mouvement du Concile à ce sujet:

            «L'âme qui, par la liturgie de chaque jour et de chaque heure, se place sous l'influence du Prêtre éternel, devient la voix de l'Église et, dès lors, de l'Esprit Saint. Elle fait passer par ses lèvres et par son coeur ces psalmodies et ces lectures saintes que l'Esprit Saint inspirait jadis aux voyants; elle s'abandonne en esprit de foi et d'amour à la Mère des saints (l'Église) en qui circule le grand courant de la vie surnaturelle. Cette âme qui vit ainsi pourrait-elle dans ce commerce habituel ne pas puiser le désir ardent et la force divine de contempler Celui avec lequel, à toutes les heures du jour et de la nuit, elle s'entretient si intimement? Ce que la sainte Liturgie nous enseigne d'une manière excellente, c'est l'oraison. Elle l'enseigne non par raisonnement, ni par démonstration, mais par un procédé qui lui est propre: elle suggère des attitudes d'âmes sincères. En mettant sur nos lèvres les formules de sa propre prière, l'Église tend à transporter directement en nous les dispositions saintes que ces formules expriment. La Liturgie oeuvre immédiatement en nous par une voie brève, par la suggestions des dispositions de l'âme. Ouvrons donc nos âmes avec recueillement et respect pour y recevoir ces saintes inspirations et, les ayant reçues, gardons-les comme une grâce précieuse, qui doit fructifier pour établir notre vie en rapport d'union plus vraie avec Dieu.» (La piété liturgique, Ch. Liturgie et oraison.)

1. Encyclique Mediator Dei #22

2.Et encore : Ep. 3,4-9 : « Vous pouvez vous rendre  compte que j'ai l'intelligence du mystère du Christ. Ce mystère, il ne l'avait pas fait connaître aux hommes de générations passées, comme il l'a révélé maintenant par l'Esprit à ses saints apôtres et à ses prophètes. Ce mystère, c'est que les paiens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l'annonce de l'Évangile. De cet Évangile je suis devenu ministre par le don de la grâce que Dieu m'a accordée dans la force de sa puissance. Moi qui suis le dernier de tous les fidèles, j'ai reçu la grâce que Dieu m'a accordée dans la force de sa puissance. Moi qui suis le dernier de tous les fidèles, j'ai reçu la grâce d'annoncer aux nations païennes la richesse insondable du Christ, et de mettre en lumière le contenu du mystère tenu caché depuis toujours en Dieu, le créateur de toutes choses.» Et : Col 1,26-27 :«Le mystère qui était caché depuis toujours à toutes les générations, mais qui maintenant a été manifesté aux membres de son peuple saint. Car Dieu a bien voulu leur faire connaître en quoi consiste, au milieu des nations païennes, la gloire sans prix de ce mystère : le Christ est au milieu de vous, lui, l'espérance de la gloire ! » Col 2,2-3 : «Qu'ils soient rassemblés dans l'amour, afin d'acquérir toute la richesse de l'intelligence parfaite, et la vraie connaissance du mystère de Dieu. Ce mystère, c'est le Christ, en qui se trouvent cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance. »
3. Cité dans la Maison-Dieu, # 158.

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