Apprendre à être soeur et frère avec Claire d'Assise

SOMMAIRE:

Un propos contemporain:

Il arriva à Claire à propos de son corps, quelque chose d'analogue à ce qui était arrivé à propos de l'espace. Comme de l'espace restreint de la clôture, sa vie s'était élargie au monde entier, ainsi des étroitesses de son corps, sa vie s'élargit comme pour assumer un nouveau corps, le corps commun de la communauté de Saint-Damien, dans lequel était aussi compris le corps de Claire. Presque tous les miracles accomplis durant la vie de Claire furent des guérisons de soeurs malades. Ils sont l'expression de cette préoccupation extrême de Claire pour la santé et la vie de ses soeurs. Comme dit la "Vita" (38) non seulement elle aimait les âmes de ses filles, mais servait aussi leur corps avec un zèle merveilleux de charité. (Marco Bartoli, "Vie de Claire d'Assise".)

I - Échos des premiers témoins : François et l'Église
            François: Écoutez, petites pauvres, vous que le Seigneur a appelées et qu'il a rassemblées... (Exh 1)
            L'Église: La forme de vie et mode de sainte unité et de très haute pauvreté à vous transmise par le bienheureux François. (Bulle de la Règle)

        La Perception de Claire elle-même sur le début de cette fraternité :

Ensemble avec les quelques soeurs que le Seigneur m'avait données peu après ma conversion,... par la volonté de Dieu et de notre très bienheureux père François, nous allâmes demeurer à l'église de Saint-Damien, où, en peu de temps, le Seigneur par sa miséricorde et par sa grâce nous multiplia, afin que s'accomplit ce que le Seigneur avait prédit par son saint. (Testament :vv.24-26.30 31)

        L’expérience quotidienne de Claire: (Procès)

        - Avoir reçu et recevoir sans cesse l'amour de Dieu,
        - La bonté qui diffuse cet amour reçu.

II - Apport et enseignement de Claire d'Assise

        A) Le rôle de l'amour mutuel dans la perspective de Claire:
                   1) une aide nécessaire pour vivre l'amour envers Dieu et
                    un stimulant pour réaliser cette vocation à la pauvreté (Testament)

                    2) un regard émerveillé devant le progrès de sa soeur. (Lettres)

        B) Fraternité-Unité
        C) Fraternité-Service
        D) Lien avec les frères
        E) Lien avec l'Église
                    Je te considère comme une coopératrice de Dieu même
                    et celle qui soulève les membres succombants de son Corps ineffable. (3e Lettre 8)

 


APPRENDRE À ÊTRE SOEUR ET FRÈRE

AVEC CLAIRE D'ASSISE

 

Un propos contemporain:

Il arriva à Claire à propos de son corps, quelque chose d'analogue à ce qui était arrivé à propos de l'espace. Comme de l'espace restreint de la clôture, sa vie s'était élargie au monde entier, ainsi des étroitesses de son corps, sa vie s'élargit comme pour assumer un nouveau corps, le corps commun de la communauté de Saint-Damien, dans lequel était aussi compris le corps de Claire. Presque tous les miracles accomplis durant la vie de Claire furent des guérisons de soeurs malades. Ils sont l'expression de cette préoccupation extrême de Claire pour la santé et la vie de ses soeurs. Comme dit la "Vita" (38) non seulement elle aimait les âmes de ses filles, mais servait aussi leur corps avec un zèle merveilleux de charité. (Marco Bartoli, "Vie de Claire d'Assise".)

Des échos des premiers témoins:

Écoutez, petites pauvres, vous que le Seigneur a appelées
de tant de provinces et de pays, et qu'Il a rassemblées (Exh 1).

        Nous avons reconnu en cette interpellation le début du cantique que saint François avait voulu adresser à ses soeurs de St-Damien lorsque, très malade, aux approches de sa mort, il venait de composer son cantique des créatures. À travers ce nouveau chant qu'il leur envoya porter pour les consoler de son prochain départ, François situait ainsi celles qui l'avaient suivi: elles étaient vraiment devenues des petites pauvres que le Seigneur avait appelées de partout pour les unir dans une même communauté, de vie. Lui-même, au tout début de leur fondation, en 1212, leur avait donné une petite "formule de vie" où il leur exprimait l'essentiel de leur vocation, leur entrée plus profonde dans la vie de Dieu, dans la communauté trinitaire:

      Puisque par inspiration divine vous vous-êtes faites filles et servantes du très haut et souverain Roi,, le Père céleste et que vous avez épousé l'Esprit Saint en choisissant de vivre selon la perfection du saint Evangile... (RCl 6,3)

        L'Église aussi percevait la force d'union de cette nouvelle fondation de St-Damien après quarante ans d'expérience. En faisant parvenir à Claire, mourante, l'approbation de sa "Forme de vie", le pape Innocent IV décrit ainsi leur communauté:
        ...la forme de vie selon laquelle vous devez vivre en commun, dans l'unité des esprits et le voeu de la très haute pauvreté, forme de vie à vous transmise par le bienheureux François et que vous avez reçue spontanément (Bulle de la Règle).

Et dans le même document, la lettre de leur évêque les voit ainsi:
        La forme de vie et le mode de sainte unité et de très haute pauvreté que votre bienheureux père saint François, en paroles et par écrit, vous transmit pour l'observer. (Bulle de la Règle)

        La Bulle de canonisation de sainte Claire précise encore:
   Le Seigneur lui donna des soeurs afin que toutes ensemble, elles soient fidèles à l'aimer et à l'adorer. (v. 6)

        Après avoir entendu ces témoins immédiats sur la fraternité de la première communauté des "soeurs pauvres", nous verrons maintenant ce qu'a été, de l’intérieur, leur vie fraternelle.

LA PERCEPTION DE SAINTE CLAIRE
                 sur le début de cette fraternité:

        Claire, dans son Testament, a, elle aussi, sa perception de ce qu'a été la grâce de cette fraternité dans ses débuts, cette communauté qui s'est formée autour d'elle et avec elle par la grâce et la miséricorde du Père céleste. Parce qu'elle a tout quitté pour devenir la première petite plante, la première petite pauvre du Christ, à la suite de François, le Seigneur a pourvu à sa pauvreté confiante. Il lui a donné une vocation et des soeurs qui partagent entièrement cette vocation; Il lui a donné aussi un lieu pour l'accomplir et un admirable enseignement, celui de François. Voici ce qu'elle nous dit elle-même sur le commencement. de cette fraternité:
        Après que le très haut Père céleste eut daigné, par sa miséricorde et par sa grâce, éclairer mon coeur pour qu'à l'exemple et selon l'enseignement de notre très bienheureux père François je fasse pénitence, peu après sa conversion, ensemble avec les quelques soeurs que le Seigneur m'avait données peu après ma conversion, je lui promis volontairement obéissance, comme le Seigneur nous avait conféré la lumière de sa grâce par sa vie admirable et son enseignement./ ... / Et ainsi, par la volonté de Dieu et de notre très bienheureux père François, nous allâmes demeurer à l'église de Saint-Damien, où, en peu de temps, le Seigneur par sa miséricorde et par sa grâce nous multiplia, afin que s'accomplit ce que le Seigneur avait prédit par son saint. (vv.24-26.30 31)

L’EXPÉRIENCE QUOTIDIENNE DE SAINTE CLAIRE :

Avoir reçu et recevoir l'amour de Dieu.
La bonté qui diffuse cet amour reçu.

        Claire elle-même nous donne la source de cet amour qu'elle prodigue à ses soeurs. L'une de ses dernières paroles nous le dit expressément, avec l'accent d'une très vive reconnaissance et louange. Elle sait que Dieu l'a beaucoup aimée. Écoutons-la:
        ... comme la sainte Mère approchait de la mort, le soir de la nuit qui vient avant le samedi , elle commença à parler ainsi: Pars en paix, en toute sécurité, tu auras une bonne escorte , car Celui qui t'a créée t'a aussi sanctifiée, il a mis en toi son Esprit-Saint et t'a toujours regardée comme une mère regarde son enfant qu'elle aime. Et elle ajouta: Sois béni, Seigneur, toi qui m'as créée! (Pr III, 20)

        Lorsque la jeune fille part, de nuit, vers les frères réunis à la Portioncule pour l'attendre, elle est vraisemblablement seule. Si elle est accompagnée, on peut admettre que Pacifica ou Philippa, et même les deux, étaient au courant de sa fuite. Elles partageaient avec Claire la même vocation, puisque très peu de temps après, à la suite d'Agnès, elles rejoignent Claire. Donc, la disciple de François, différemment de lui, reçoit très tôt, comme don permanent, des soeurs dans le vrai sens de ce mot si chrétien. La sainte en témoigne elle-même, comme nous l'avons vu: ...les soeurs que le Seigneur m'avait données peu après ma conversion.

        Le témoignage du Procès de canonisation nous révèle, dans le langage quotidien de ses compagnes, comment ce qu'elle a dit et écrit, elle l'a aussi vécu.
        Soeur Pacifica, la plus ancienne et sans doute la première compagne de Claire après sa soeur Agnès, nous dit: ...la bienheureuse Mère était envers ses soeurs humble, douce, affectueuse. (Pr I,12)
        Et soeur Philippa précise que: son coeur était toujours prêt à partager les peines des soeurs et des affligés. (Pr III,7)
      Soeur Aimée, nièce de sainte Claire, nous exprime aussi la bonté de la sainte, sa douceur, sa compassion universelle. Et elle ajoute: Elle aimait ses soeurs comme elle-même. (Pr IV,3.18)
      Soeur Cécile, comme soeur Philippa, observe: Dans l'oraison elle avait le don des larmes, mais avec ses soeurs elle ne montrait que joie spirituelle. Elle ne se laissait jamais troubler par la colère; c'est avec beaucoup de douceur et de bienveillance qu'elle faisait des remarques aux soeurs, les reprenant parfois avec beaucoup de soin lorsqu'il le fallait. (Pr VI,4)
      Et selon soeur Lucie, elle avait beaucoup de compassion pour les soeurs, pour leur âme comme pour leur corps. Et le témoin ajouta qu'à moins d'avoir la science des saints, elle ne pourrait décrire toute la bonté et toute la sainteté qu'elle avait constatées en madame Claire. (Pr VIII,31)
      Soeur Agnès, fille du podestat d'Assise, entrée très jeune au monastère, rapporte elle aussi que: lorsque madame Claire voyait une soeur souffrir de quelque tentation ou tribulation, elle l'appelait discrètement, pleurait avec elle, la consolait et parfois même se jetait à ses pieds. - On lui demanda comment elle le savait. Elle répondit qu'elle en avait vu plusieurs que la sainte Mère appelait pour les consoler, et qu'une d'entre elles lui avait dit que madame Claire s'était jetée à ses pieds. Quel était le nom de cette soeur? Elle répondit: soeur Illuminée de Pise, qui est décédée depuis. (Pr X,5)
      Soeur Christine remarque le zèle attentif de sa charité: Madame Claire possédait surtout la charité, dont elle était toute embrasée, et elle aimait les soeurs comme elle-même. Si elle apprenait quelque chose qui déplaisait à Dieu, elle en était fortement contristée et s'employait à le corriger sans tarder. (Pr XIII,3)
      Mais soeur Angeluccia complète, en observant son amour pour toutes les soeurs, sa prudence et son jugement dans ses exhortations. Et elle était tellement gracieuse et douce quand elle faisait des remarques. (Pr XIV,4)
      Ce souci éducatif, Claire le poursuivra jusqu'à la fin avec grande délicatesse, bonté et affection pour ses soeurs. Et, en l'insérant dans sa Règle, elle demande la même attention à celles qui lui succéderont dans l'office: Que l'abbesse avertisse et visite ses soeurs et qu'elle les corrige humblement et charitablement. (10,1)

FRATERNITÉ ou sororité vécue:

II - Apport et enseignement de Claire

A) Le rôle de l'amour mutuel, dans la perspective de sainte Claire

1) Une aide nécessaire pour vivre l'amour envers Dieu
    et un stimulant pour réaliser cette vocation de Pauvreté.

        En réfléchissant sur la conversion de Claire, nous avons vu comment, selon la sainte, Dieu manifestait un amour surabondant et prévenant envers ceux et celles qu'Il voulait choisir pour cette vocation: c'est là sa Providence envers ses pauvres, Lui, le Père des miséricordes, le grand Donateur. C'est ainsi qu'elle voyait l'amour de Dieu entourant sa communauté et chacune de ses soeurs: En cela, nous pouvons considérer la très copieuse bienveillance de Dieu pour nous, Lui qui, à cause de son abondante miséricorde et de sa charité, a daigné, par son saint, parler ainsi de notre vocation et de notre élection. Et ce n'est pas seulement de nous que notre père très bienheureux, François, prophétisa ainsi, mais aussi des autres qui devaient venir à la sainte vocation à laquelle le Seigneur nous appelées. (vv.15-17)

        Cette abondante miséricorde et cette charité que Dieu nous a manifestées comme a ses petites pauvres, sainte Claire nous demande de le redonner à ceux et celles qui partagent la même vocation. C'est notre seule et grande richesse à laquelle nous pouvons et devons puiser sans craindre le manque. Reprenant les paroles et l'exhortation de Jésus à ses disciples à la veille de sa Passion, Claire les assume, les fait siennes en son propre testament:
        Vous aimant les unes les autres de la charité du Christ, l'amour que vous avez au-dedans, montrez-le au-dehors par des actes, afin que, provoquées par cet exemple, les soeurs croissent toujours dans l'amour de Dieu et la charité mutuelle. (vv.59-60)
      Ici, cet amour manifesté est fraternel autant que maternel. Il engendre à la vie divine par l'amour divin transmis concrètement. Il suffit d'éclairer ce texte par l'autre passage fondamental du chapitre 8 de sa Règle où Claire reprend textuellement la passage parallèle de la Règle de saint François, texte repris par toutes les communautés franciscaines. Cette exhortation est vraiment entrée dans nos entrailles:
        Qu'avec assurance chacune manifeste à l'autre sa nécessité. Et si une mère chérit et nourrit sa fille charnelle, avec combien plus d'affection chaque soeur ne doit-elle pas chérir et nourrir sa soeur spirituelle. (vv.15-16)
      La même attention pédagogique à la croissance de cet amour fraternel inspire le souci de cet autre passage de sa Règle que Claire a voulu reprendre encore de celle des Frères: L'Abbesse et ses soeurs doivent prendre garde de se mettre en colère ou de se troubler à cause du péché de quiconque, car la colère et le trouble empêchent la charité en elles-mêmes et chez les autres. (9,5)

        L'un des moyens les plus efficaces pour construire la fraternité, pour guérir les blessures contre la charité ou pour aider celle-ci à s'épanouir, c'est le pardon continuel, l'oubli des offenses reçues. Cette grâce née de la charité du Christ, Claire la veut très active au milieu de ses soeurs, et fondement même de leur prière quotidienne:
        S'il arrivait -qu'il n'en soit rien- qu'entre une soeur et une soeur, par une parole ou par un geste, s'élevât quelquefois une occasion de trouble ou de scandale, que celle qui a donné cause à ce trouble, aussitôt, avant de présenter l'offrande de sa prière devant le Seigneur, non seulement se prosterne humblement aux pieds de l'autre, demandant le pardon, mais aussi la prie simplement d'intercéder pour elle auprès du Seigneur afin qu'Il soit indulgent pour elle. Et celle-là, se souvenant de cette parole du Seigneur: Si vous ne remettez pas de tout coeur, votre Père céleste non plus ne vous remettra pas, qu'elle remette avec libéralité à sa soeur toute l'injure qu'elle a reçue. (RCl 9,7-10)

        S'il y a ce fondement nécessaire de l'amour mutuel entre les membres d'une même communauté, sainte Claire envisage que cette nécessité est aussi fondamentale entre celle qui porte le fardeau de l'autorité dans la communauté et celles qui sont ses soeurs. L'esprit franciscain insiste souvent sur cet esprit évangélique de l'autorité fraternelle comme une des grandes caractéristiques de l'Ordre. Ceci est très évident à la lecture de ce texte admirable de réciprocité qu'est ce passage écrit par sainte Claire à la fin de son Testament. Ici nous voyons à l'oeuvre cet amour mutuel toujours actif pour prévenir les obstacles qui obscurciraient l'amour envers Dieu et la fidélité à une grande mission:
        Je prie aussi celle qui sera dans l'office des soeurs de s'appliquer à être devant les autres par ses vertus et ses saintes moeurs plus que par son office, de telle façon que les soeurs, provoquées par son exemple, n'obéissent pas tant à cause de son office, mais plutôt par amour. Qu'elle soit aussi prévoyante et discrète envers ses soeurs, comme une bonne mère à l'égard de ses filles... Qu'elle soit aussi tellement bienveillante et accessible qu'elles puissent avec assurance manifester leurs nécessités et recourir à elle à toute heure avec confiance, comme il leur semblera expédient, tant pour elles que pour leurs soeurs.
        Quant aux soeurs qui sont sujettes, qu'elles se rappellent que, pour Dieu, elles ont renoncé à leurs volontés propres. Aussi, je veux qu'elles obéissent à leur mère, comme elles l'ont promis au Seigneur, d'une volonté spontanée, afin que leur mère, voyant la charité, l'humilité et l'unité qu'elles ont entre elles, porte plus légèrement tout le fardeau qu'elle supporte en raison de son office et que ce qui est pénible et amer, à cause de leur sainte conduite, soit pour elle changé en douceur. (vv. 61-63.65-70)

2) Le regard émerveillé devant le progrès de sa soeur en cette vocation

        Une autre caractéristique de cet amour mutuel chez sainte Claire c'est ce regard émerveillé et joyeux qu'elle porte sur ceux et celles qui ont choisi cette vocation sainte. Elle leur manifeste avec chaleur son encouragement et sa joie. Témoin cette première lettre qu'elle écrit à celle qui veut être sa disciple:
        Entendant la très honnête renommée de votre sainte conduite et de votre sainte vie, qui a été remarquablement divulguée, non seulement jusque moi, mais presque sur toute la terre,je me réjouis beaucoup dans le Seigneur et j'exulte; et à propos de cela, non seulement moi personnellement, je puis exulter mais tous ceux qui font et qui désirent faire le service de Jésus Christ. (vv.3-4)

        Et, dans sa 2e lettre, à celle qui déjà s'avance en cette vocation, Claire, par ses félicitations toutes fraternelles, l'invite avec persuasion à continuer jusqu'à l'accomplissement parfait de cette vocation divine. Avec Agnès, écoutons-la:
Je rend grâce au dispensateur de la grâce, de qui nous croyons qu'émanent tout don excellent et toute donation parfaite, parce qu'Il t'a ornée de tant de titres de vertus et t'a fait briller des insignes de tant de perfection, pour que, devenue imitatrice attentive du Père parfait, tu mérites de devenir parfaite, afin que ses yeux ne voient en toi rien d'imparfait.
        Mais comme j'ai appris que tu es chargée de vertus, t'épargnant un flot de paroles, je ne veux pas te charger de paroles superflues, bien que rien ne te paraisse superflu de ce qui pourrait t'apporter quelque consolation. (vv.3-4.8-9)

        La même joie éducative et entraînante s'exprime lors de sa 3e Lettre. Ici elle constate les racines profondes que cette vocation a creusées dans la vie de sa soeur et elle l'invite à jouir du trésor découvert:
        À ta bonne santé, ton heureux état et tes succès florissants, je comprends que dans la course entreprise pour obtenir la récompense céleste, tu es pleine de vigueur et j'en suis remplie de tant de joies! Et je respire d'autant plus en exultation dans le Seigneur que j'ai appris et je constate que tu supplées merveilleusement à ce qui est défectueux, tant en moi qu'en mes soeurs, dans l'imitation des traces de Jésus Christ pauvre et humble. Vraiment je puis me réjouir et personne ne pourrait me rendre étrangère à tant de joie.
        Qui donc dirait que je ne me réjouis pas de tant d'admirables joies? Toi aussi, donc, réjouis-toi toujours dans le Seigneur, très chère, et que ne t'enveloppent ni l'amertume ni le brouillard.. Ô dame très aimée en Christ, joie des anges et couronne des soeurs. (vv. 3-11)

        Sa 4e Lettre est une hymne d'amitié, un ardent et lyrique encouragement envoyé à Agnès qui, à cette époque, est entièrement engagée dans sa vocation de petite pauvre. Claire ne sait plus comment la féliciter et lui exprimer sa fierté d'avoir en elle une telle fille, une âme soeur pleinement accordée à ce qu'elle a toujours voulu vivre. Lors de sa précédente lettre, en 1238, Agnès, au début de son engagement, faisait ses démarches persévérantes pour obtenir elle aussi, du Pape, le même Privilège de Pauvreté, pour son monastère. Comme fruit de cette persévérance à suivre les traces de l'humilité et la pauvreté du Fils de Dieu, Claire lui promettait de jouir de ce trésor: comme Marie, la glorieuse Vierge, elle posséderait sans cesse en elle cette présence de Celui qui contient toutes choses. Agnès a persévéré. Ainsi, en 1253, Claire, rendue au terme de sa course terrestre, la salue en lui donnant tous ses titres qui sont le gage d'une telle présence en sa vie, source de toute charité:
        À la moitié de son âme et au réceptacle de l'amour singulier de son coeur, à l'illustre reine, à l'épouse de l'Agneau Roi éternel, à dame Agnès, sa mère très chère et sa fille particulière entre toutes les autres, Claire, indigne servante du Christ...
        0 mère et fille, épouse du Roi de tous les siècles, crois que l'incendie de la charité à ton égard brûle suavement dans les entrailles de ta mère...
... je me réjouis et j'exulte avec toi dans la joie de l'Esprit, épouse du Christ, parce que tu as été merveilleusement fiancée à l'Agneau immaculé ayant délaissé toutes les vanités du monde. (vv.4-8)

        Puis, après avoir dépeint à ses yeux la bienheureuse pauvreté, la sainte humilité et l'ineffable charité du Fils de Dieu, elle lui souhaite ardemment cette charité, qui a inspiré le Christ durant sa vie et sa passion, cette charité qui lui fera vivre toutes les dimensions de sa vocation:
        Puisses-tu donc, Ô reine du Roi céleste, être sans cesse plus fortement embrasée de l'ardeur de cette charité! (v.27)
      Et la pressant, elle la conduit plus loin encore, lui faisant demander, par le langage de l'Écriture, cette charité qui se transforme en amour nuptial indéfectible, perfection de la charité, union indicible entre Dieu et sa créature.
        C'est là que Claire aime retrouver son amie, et, affectueusement, elle le lui rappelle. C'est là aussi que se meut l'élan de leur prière mutuelle pour réaliser pleinement le projet de Dieu sur ses petites pauvres :
        Placée dans cette contemplation, aie mémoire de ta toute pauvre mère, sachant que moi j'ai inscrit ton heureuse mémoire, de façon indélébile, sur les tablettes de mon coeur, te tenant pour plus chère entre toutes. Que dire de plus? Que, dans la dilection de toi, se taise la langue de la chair; ou plutôt, que parle la langue de l'esprit. Ô fille bénie, puisque la dilection que j'ai pour toi, la langue de la chair ne pourrait en aucune façon l'exprimer plus pleinement, ce que je t'ai écrit incomplètement, je te prie de le recevoir avec bienveillance et dévotion, considérant en cela au moins mon affection maternelle par laquelle tous les jours je suis affectée de l'ardeur de la charité envers toi et tes filles; recommande leur beaucoup moi-même et mes filles dans le Christ. Mes filles elles_mêmes... se recommandent dans le Seigneur, autant qu'elles le peuvent, à toi et à tes filles. (vv. 33-38)

        Ici nous voyons avec beaucoup d'évidence comment cet amour surabondant du Père des miséricordes donne à ses pauvres de s'aimer mutuellement par l'ardeur, la force de la charité ineffable de son Fils qui les a aimées.

B) Fraternité- Unité

La vie fraternelle, dans la perspective de sainte Claire, comporte un très fort accent sur l'unité des esprits. Dans le texte de la Bulle qui accompagnait la Règle, cette unité de la communauté est soulignée d'une façon particulière. Leur forme de vie est un mode de sainte unité, dit la Bulle. Reprenant un passage de la 2e Règle de François, Claire le demande aussi, dans sa règle, à chacune de ses soeurs, avec le souci de couper les racines mêmes de ce qui pourrait saper cette unité des esprits : J'avertis et j'exhorte dans le Seigneur Jésus Christ: que les soeurs se gardent de tout orgueil, vaine gloire, envie, avarice, souci et préoccupation de ce siècle, critique et murmure, dissension et division. (10,6) Et elle complète l'exhortation, ayant en vue sa communauté: mais qu'elles soient toujours soucieuses de conserver entre elles l'unité de l'amour mutuel qui est le lien de la perfection. (v.7)

Cette unité façonne l'esprit même de la communauté. C'est ensemble, dans la concorde, que les grandes orientations sont prises. Ainsi de l'élection de l'abbesse (RCl 4,3) de celles des responsables des offices de charité mutuelle (RCl 4,22). C'est l'unité aussi qui allège le fardeau de l'autorité (Test 69), ou encore qui empêche ou prévient les déviations que peut prendre la "forme de vie", mémoire de la vocation commune : Règle chap.4,7.10.13.17.19.

Cette unité paraissait si forte au temps des premières soeurs, après la mort de François que Celano, du vivant même de sainte Claire, en parle ainsi: Chez elles en effet la vertu la plus vivace de toutes est une mutuelle et continuelle charité qui unit si bien toutes les volontés que, fussent-elles quarante ou cinquante à demeurer ensemble, les mêmes vouloirs et les mêmes renoncements ne forgent qu'une seule âme, de toutes ces âmes si diverses. (1 Ce 19)
      Encore ici, nous voyons que cette unité n'a qu'un but: fortifier l'amour mutuel qui fait croître l'amour envers Dieu. C'est aussi le sens profond de la bénédiction maternelle de Claire à toutes les soeurs de son Ordre: Soyez toujours des amantes de vos âmes et de toutes vos soeurs, et soyez toujours soucieuses d'observer ce que vous avez promis au Seigneur. (vv.14-15)

C) Fraternité et Service

Dans la perspective de sainte Claire, cet aspect de service mutuel manifeste davantage la fraternité. Servante des soeurs, était-ce un mot conventionnel pour se désigner elle-même en cette fonction spéciale d'autorité qui lui avait été demandée? Non, c'est plutôt une très grande réalité chez elle. Elle se voit et se veut servante de tous et de toutes. C'est ainsi qu'elle aime se présenter au début de ses lettres:
        Claire, indigne servante de Jésus Christ et servante inutile des dames incluses du monastère de Saint-Damien, ...soumise et servante en tout. (lL)

        Sa vocation à la Pauvreté, elle la considère comme un service de Jésus Christ: tous ceux qui font et désirent faire le service de Jésus Christ. (1L,4)
      Ainsi désigne-t-elle les petits pauvres du Seigneur qui ont choisi volontairement de le suivre. Et sa prière, son souci pour eux c'est: que vous vous laissiez fortifier dans son saint service, croissant de bien en mieux..., afin que celui que vous servez de tout le désir de votre esprit daigne vous donner largement. (1L 31-32)
      C'est l'esprit qui anime toute sa suite de Jésus, le Serviteur: comme des pèlerines et des étrangères en ce siècle, servant le Seigneur dans la pauvreté et l'humilité. (RC1 8,2)
      Le rôle de l'autorité est surtout vu en ce sens: Que l'abbesse ait tant de familiarité avec elles que celles_ci puissent lui parler et agir avec elle comme des dames avec leur servante. Car il doit en être ainsi: que l'abbesse soit la servante de toutes les soeurs. (RCI 10,4-5)

        Selon le témoignage de ses soeurs, au Procès, Claire a profondément vécu cette perspective évangélique de l'autorité. D'après le témoignage de soeur Pacifica, il semble que le travail habituel, quotidien, de Claire ait été le service des malades: elle avait compassion des malades; tout le temps qu'elle demeura elle-même en santé, elle les servait, leur lavait les pieds, leur versait l'eau sur les mains, et souvent elle lavait leurs chaises. On lui demanda comment elle savait cela ; elle répondit qu'elle l'avait vu maintes fois. (Pr I,12)

        Plusieurs détails de la Règle, concernant les malades, nous révèlent le souci de Claire à leur égard: (chap. 8,7-10). Soeur Pacifica souligne que Claire aimait particulièrement le signe de la croix comme force de sa médecine: Soeur Pacifica dit encore qu'un jour cinq soeurs étaient malades dans le monastère ; sainte Claire fit sur elles le signe de la croix avec la main, et aussitôt toutes furent guéries. Souvent, quand une soeur souffrait de quelque douleur soit dans la tête soit dans d'autres parties du corps, la bienheureuse Mère l'en délivrait par la vertu du signe de la croix. On lui demanda comment elle l'avait appris? Elle répondit qu'elle était présente. Elle dit encore que sa médecine à elle et celle des autres soeurs malades était que leur sainte Mère les marquât du signe de la croix. (Pr I,6.18)

        Une autre forme de son service fraternel c'est ce stimulant vivant qu'elle était pour entraîner sa communauté à la louange quotidienne de l'Office divin: Vers minuit elle réveillait les soeurs, sans un mot, en les touchant, pour les appeler à louer Dieu. Elle allumait les lampes de l'église et maintes fois sonnait elle-même la cloche de Matines; et les soeurs qui ne se levaient pas au son de la cloche, elle venait les réveiller elle-même. (Pr II,9)

        Un autre service qui semble l'avoir occupée, surtout durant les dernières années de sa vie, fut l'aide matérielle apportée aux églises pauvres du voisinage. Plusieurs soeurs en témoignent. Soeur Pacifica, ce témoin privilégié des débuts et de toute la vie de sainte Claire, nous rapporte ces liens fraternels de communication et de services mutuels: Elle dit encore que, devenue malade au point de ne pouvoir se lever, elle se faisait redresser et mettre assise; ainsi appuyée sur des tissus pliés derrière ses épaules, elle filait; avec ce fil, elle faisait faire des corporaux qu'elle envoyait à presque toutes les églises de la plaine et des collines d'Assise. On lui demanda comment elle savait cela; elle répondit, qu'elle l'avait vu filer, qu'on en fabriquait de la toile, et que les soeurs cousaient les corporaux qui étaient portés aux églises par les Frères, ou donnés aux prêtres qui venaient au monastère. (Pr I,11)

        Ainsi c'est dans un esprit fraternel de collaboration et d'entraide que Claire percevait cette grâce de travailler pour l'utilité commune, selon l'expression des deux Règles de François et de Claire.

D) Lien avec les frères

        Un des aspects importants de la fraternité fut, pour Claire, ce lien très solide qu'elle a toujours voulu et entretenu avec François et ses frères. Dans la vie et les écrits de Claire, nous voyons les frères, tantôt comme envoyés par François au monastère des soeurs, d'autres fois comme quêteurs au service du monastère, tantôt chapelains, tantôt comme messagers des lettres qu'elle envoie à Prague, puis comme prédicateurs, et souvent même, comme présence fraternelle. Une vie fraternelle très intense existe entre eux et les soeurs, vie qui a connu aussi ses tensions. D'abord une certaine opposition venue de François lui-même. Il craignait sans doute que les frères prennent trop d'autorité dans les affaires des soeurs. François considère ses soeurs comme des dames, les Pauvres Dames, appellation qu'il a lui-même choisie pour elles. Même si Claire lui attribue l'initiative de la fondation de l'Ordre, il reste que, lui, préfère leur laisser suivre leur voie propre, tout en leur recommandant de conserver avec soin, amour et persévérance, la forme de vie pauvre et humble à la suite du Christ et de sa Mère. Claire, cependant, a tenu à souligner dans son Testament, cette promesse d'aide fraternelle et de sollicitude que devaient assurer François et ses frères à leur égard. Ainsi dit-elle: Le bienheureux François, considérant que nous étions fragiles et faibles selon le corps et que cependant nous ne refusions aucune nécessité, aucune pauvreté, il se réjouit beaucoup dans le Seigneur; et ému de pitié à notre égard, il s'obligea vis-à-vis de nous à avoir toujours, par lui et par sa religion, un soin affectueux et une sollicitude spéciale pour nous, comme pour ses frères. (vv.27-28)

        Et pour plus de sûreté encore, elle a inséré comme un joyau précieux, au coeur de sa propre Règle, le petit commencement de "forme de vie" que François avait rédigé lui-même pour elle et ses soeurs, et qui l'engage pour toujours envers ses soeurs:
        Puisque par inspiration divine vous vous êtes faites filles et servantes du très haut et souverain Roi, le Père céleste, et que vous avez épousé l'Esprit Saint en choisissant de vivre selon la perfection du saint Évangile, je veux et je promets d'avoir toujours, par moi-même et par mes frères, un soin affectueux et une sollicitude spéciale pour vous comme pour eux. (6,3-4)
      Et Claire ajoute aussitôt: Ce qu'il accomplit soigneusement tant qu'il vécut et voulut que soit toujours accompli par les frères. (v. 5)

        Après le départ de François, nous voyons que Claire apprécie beaucoup la visite et la présence des frères. Ce désir de leur aide et de leur présence fut même pour elle l'occasion de quelques peines dont elle eut à souffrir. Ainsi ces mesures d'interdictions déjà venues de François de son vivant, ou du Pape, en 1230. Celui-ci interdisait aux frères l'accès des monastères des soeurs sans sa permission. En cette circonstance, Claire ne craint pas de réagir, nous dit son biographe: Le pape Grégoire IX prit un jour une mesure interdisant à tout frère Mineur l'accès des monastères de clarisses sans sa permission expresse . Claire, considérant que ses filles ne recevraient plus que très rarement désormais la parole de Dieu qui était le pain de leur âme, s'écria en gémissant. Eh bien! qu'il les enlève donc tous, puisqu'il nous prive de ceux qui nous procurent la nourriture de Vie! Et aussitôt elle renvoya au Ministre tous les frères, refusant de garder les quêteurs qui apportaient le pain du corps, puisqu'elle ne pouvait plus garder ceux qui l'approvisionnaient en nourriture pour l'âme. A cette nouvelle, le pape revint sur sa défense, et remit toute l'affaire entre les mains du Ministre général. (Vie 23)
      À la fin de la vie de Claire, durant ses derniers jours, nous retrouvons la fraîcheur de cette présence fraternelle:
        Claire désira la présence de prêtres et de saints frères pour lui lire la Passion du Seigneur et d'autres passages d'Ecriture Sainte. Apercevant parmi eux frère Genièvre, le délicieux jongleur de Dieu qui savait souvent évoquer en paroles brûlantes d'amour les mystères du Seigneur, elle en fut soudain toute réjouie et lui demanda s'il n'avait rien de neuf à lui apprendre sur le Seigneur. Le frère puisa dans la fournaise de son coeur un discours enflammé. D'entendre ses paraboles fut pour la sainte une grande consolation. (Vita 28)

E) Lien avec l'Église :

        Cette réaction de Claire devant la décision du Pape en 1230, dont il était fait allusion ci-dessus, cette réaction peut nous étonner aujourd'hui. Mais il suffit de se représenter ce lien privilégié qui existait depuis longtemps entre l'ancien cardinal Hugolin, devenu le pape Grégoire IX, et sa fille préférée qu'était Claire. Sa manière de lui répondre, en cette circonstance, montre un exemple parmi d'autres, de la liberté d'expression de Claire avec lui, et, du côté du vieux Pontife, cette vénération qu'il a toujours éprouvée pour l'abbesse de Saint-Damien.
        Ce dernier trait nous amène à souligner un aspect particulier de la qualité humaine, fraternelle et universelle des relations de Claire. L'une de ses relations est certainement celle que Claire a entretenue avec les autorités religieuses de son temps. Il semble que Claire ait eu très tôt et assez facilement leur faveur et même leur vénération. Souvenons-nous de la scène où, le dimanche des Rameaux, jour choisi par elle pour son départ du siècle, l'évêque d'Assise, Guido, qui officiait, descendit les degrés du sanctuaire pour lui remettre lui-même la palme entre les mains (Vie 4). Déjà, il reconnaissait la grandeur de sa vocation et l'approuvait, avec même une nuance de fierté.

        Claire a, bien sûr, profité de cette bienveillance pour affermir concrètement, tout au long de sa vie religieuse, le don reçu du Père des miséricordes, cette vocation à la Pauvreté qui a illuminé sa vie. Mais ces relations ont été aussi pour elle, d'une certaine façon, l'objet d'un souci, d'une crainte certainement justifiée à cause des faveurs matérielles qu'une telle situation attirait inévitablement. Cependant, la conscience profonde de sa responsabilité en cette vocation, et aussi l'exemple, la volonté, l'encouragement de François, ont toujours été pour elle la source de sa liberté et de sa respectueuse audace.

        Dès le début de sa vie religieuse, elle obtient du Pape Innocent III ce Privilège de Pauvreté, en 1215 ou 1216. Claire, à cette époque, est âgée de 22 ou 23 ans. Ce Pape nomme son parent, le vieux cardinal Hugolin, protecteur des Frères Mineurs et des Soeurs de Saint-Damien. Le cardinal Hugolin visitait souvent cette communauté de Saint-Damien, et, selon son propre aveu, avec beaucoup de profit. Témoin cette lettre, entre autres, qu'il écrivait à Claire en 1220. Il est alors âgé de 75 ans, et Claire... de 26 ans environ. Mais ce vieux cardinal est tout à fait à l'aise de l'appeler "sa mère", mère du salut de son âme. (Voir Documents p.244)

        Ce même Cardinal deviendra, en 1228, deux ans après la mort de François, le pape Grégoire IX. Il a 82 ans. Il n'oublie pas Claire, loin de là. Il se rend même au monastère pour lui demander d'accepter quelques biens et propriétés qu'il lui a préparés, et qui allégeraient sa pauvreté, vu, lui dit-il, l'insécurité des temps. Claire se souvient des dernières volontés de François: je vous prie, mes dames, et je vous donne le conseil de vivre toujours dans cette très sainte vie et pauvreté. Et gardez-vous bien de vous en éloigner jamais en aucune façon, sur l'enseignement ou le conseil de qui que ce soit. (RCl 6,8-9)
        Ainsi, nous dit le biographe de Claire:
        Elle résista avec énergie et refusa catégoriquement. (Vie 8)
      À cette occasion, ce Pape qui aimait tendrement la sainte comme un père son enfant, lui accorda de nouveau ce Privilège de Pauvreté qu'elle souhaitait.

        La petite plante n'avait cependant pas fini d'exercer sa tenace insistance, car, vers 1247, quelques années avant sa mort, une nouvelle angoisse la saisit. Cette fois, le pape Innocent IV leur faisait parvenir une autre règle composée pour Saint-Damien et les autres monastères, mais une règle qui ne tenait nullement compte du désir de Claire si souvent exprimé: l'obtention perpétuelle de ce privilège de Pauvreté. Sous le poids de cette souffrance intime du coeur, l'humble abbesse trace alors les lignes inspiratrices de son Testament, puis de sa règle définitive. Et, durant l'année qui précède sa mort, de nouveau, les relations entre elle et les pasteurs de l'Église s'intensifient. Avec l'aide et le dévouement du cardinal Raynald, le protecteur de l'Ordre, Claire demande audacieusement la même grande faveur. Écoutons son biographe nous relater ces communications dans leur fraîcheur:
        Elle était accablée sous le poids des souffrances, elle semblait proche de la fin, mais il plut à Dieu de lui réserver au moment de sa mort une faveur insigne de la part de l'Eglise dont elle allait devenir la fille à un titre tout spécial . En effet, durant le séjour du pape et des cardinaux à Lyon, la maladie de Claire empirait et un glaive de douleur transperçait l'âme de ses filles. (...)
        De fait, peu après, la cour pontificale arrivait à Ostie . Le cardinal Raynald, évêque d'Ostie, n'eut pas plus tôt appris l'aggravation du mal, qu'il accourut de Pérouse pour rendre visite à l'épouse du Christ: pour elle il avait toujours été, par les devoirs de sa charge un père, par sa bonté une providence, par sa très pure affection un ami dévoué. Il apporta en nourriture à la malade le sacrement du Corps du Christ, et réconforta les autres soeurs d'une salutaire exhortation. Puis Claire le supplia avec larmes de la recommander, elle et ses soeurs, au très saint Père, pour le nom du Christ; elle lui demanda par-dessus tout d'obtenir du pape et des cardinaux la confirmation du privilège de la pauvreté. Le fidèle cardinal protecteur de l'Ordre le promit.
        Et il s'en acquitta. Un an après, le seigneur pape avec les cardinaux passa de Pérouse à Assise. (Vie 25)
      Alors, nous voyons le pape Innocent IV et ses cardinaux rendre visite à la vénérable mourante et s'approcher de son lit à la grande joie de Claire.(Vie 26) Puis, avec grande vénération, elle reçoit enfin, le 9 août suivant, la veille de sa mort, la confirmation désirée. Désormais elle peut transmettre à l'Église, comme un saint héritage, une nouvelle source de la vie évangélique, ce Don reçu du Père des miséricordes et vécu avec tant de ferveur et de reconnaissance.
        Dans sa 3e lettre à Agnès, Claire situe bien la mission fraternelle d'une soeur pauvre et même de tout disciple franciscain, dans l'Église d'aujourd'hui: soeur et frère universels, lorsqu'elle écrit:
        Je te considère comme une coopératrice de Dieu même,
        et celle qui soulève les membres défaillants de son Corps ineffable. ( 3L 8)

Soeur Claire, osc
Monastère des Clarisses,
Salaberry-de-Valleyfield, Qc
CANADA, J6S 1N5

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