CLAIRE D'ASSISE ET SON CHEMIN D'ORAISON

...d'après les TEMOIGNAGES DE SA VIE ET DE SES ÉCRITS

S O M M A I R E

Introduction

A. CHEMINEMENT SPIRITUEL
      DE LA VIE D'ORAISON DE CLAIRE D'ASSISE

1. Le commencement de sa vie d'oraison

. Ses premiers pas.  Attrait précoce.
. La paternité spirituelle de François, lieu décisif...

2. L'accroissment, le progrès de sa vie d'oraison

. Le désir profond de sa vie :  s'unir au « Pauvre crucifié».
. Plus tard, malade durant 28 ans, Claire intensifie la vigilance de sa prière.
. Le soutien mutuel des deux saints dans la même vocation.
. Leur amitié: "une histoire divine à contempler dans la prière".

3. La transformation et l'union au Christ, au coeur de son oraison.

. Claire d'Assise, témoin de l'union au Christ dans son mystère pascal
. Le signe victorieux de la croix et sa compassion:
. La transfiguration de son visage: .

B. L'ENSEIGNEMENT DE CLAIRE D'ASSISE
       AU SUJET DE L'ORAISON

La paix du coeur pour «habiter les mystères de Dieu»
« L'âme du fidèle: la plus digne des créatures »
« Auxiliatrice de Dieu même »

L'ACTE DE L'ORAISON:

Contempler le Christ pauvre et humble,  resplendissement
de la gloire de Dieu.
« Désirer par-dessus tout avoir l'Esprit du Seigneur »
Rendre grâce et bénir le Père des miséricordes

Références et notes

 

 

       Lorsque Claire d'Assise invite ses soeurs, dans son testament, à réaliser que «le Seigneur lui-même nous a placées comme une forme en exemple et miroir pour les autres » (Test 19), c'est qu'elle-même a voulu être ce miroir transparent dans tout son être et ses actes. En vérité, on peut affirmer que Dieu lui en a fait le don parfait. Sa vie éclaire le mystère chrétien dans une grande pureté et simplicité de perception, celle de l'Évangile.

        Claire s'exprime spontanément dans un langage spirituel qui lui est propre, prenant sa source dans l'Evangile, à proximité aussi de la simplicité de François qu'elle exploite avec profit, constance et finesse. Claire illumine vraiment l'Église, encore aujourd'hui, au sujet de l'oraison, d'une vie engagée dans la prière chrétienne.

        Dans ces quelques aperçus sur sa vie d'oraison, j'essayerai d'explorer d'abord certaines expressions de son cheminement: ce qui apparaît au début, depuis les petits cailloux de ses premières dévotions, en passant par la grâce décisive de sa Voie découverte dans la paternité spirituelle de François à son égard; puis, l'approfondissement de son charisme propre se manifestant par l'expérience et l'enseignement; et enfin, la pleine effloraison de sa vie priante dans la maternité spirituelle. Ce parcours nous fera mieux saisir l'importance et l'actualité de son enseignement spirituel, au sujet de l'oraison. Ce que nous verrons, ensuite, en quelques traits, dans la progression pédagogique de ses conseils.

A. CHEMINEMENT SPIRITUEL
    DE LA VIE D'ORAISON DE CLAIRE D'ASSISE

 

1. LE COMMENCEMENT de sa vie d'oraison

    Ses premiers pas. Attraits précoces

        Son biographe primitif nous décrit ainsi les premières manifestations de sa prière personnelle, lorsqu'elle était encore dans l'enfance: «Son occupation préférée était la prière: elle y éprouvait de grandes douceurs et, graduellement, s'y préparait à sa future vie cloîtrée. N'ayant pas de chapelet pour égrener ses Pater, elle utilisait un sachet de petits cailloux pour compter ses prières au Seigneur.» (Vie 3)

        À la source de cette description, il y a les propos des témoins qui ont perçu de très près le premier cheminement personnel de sa foi. Ainsi messire Rainier assure «...l'avoir connue lorsqu'elle était enfant dans la maison de son père. Elle jeûnait, priait, faisait l'aumône volontiers autant qu'elle pouvait. Et lorsque, dans la maison, elle s'assoyait avec ceux de sa famille, elle cherchait toujours à parler des choses de Dieu.» (Pr VIII, 3) Un autre témoin, Jean de Ventura, homme d'armes dans la maison de son père et qui a vécu au milieu de cette famille lorsque Claire était jeune fille, nous rapporte: «...qu'elle jeûnait, s'adonnait à l'oraison et se livrait aux autres exercices de piété, ainsi qu'il le vit lui-même. Tous étaient persuadés que, dès le début. c'était l'Esprit Saint qui l'inspirait. » (Pr XX, 3)

        Ces quelques indices nous révèlent déjà ce qui caractérise la piété de Claire. Lorsque son biographe nous assure que «son occupation préférée était la prière», ses compagnes, lors du Procès, constateront elles aussi cet attrait persistant manifesté tout au long de sa vie. Même continuité concernant l'objet de ses conversations dans ses relations avec ses soeurs: « Elle était assidue à l'oraison; son comportement était toujours dans la ligne des choses de Dieu, si bien qu'elle ne prêtait jamais l'oreille aux choses de ce monde, ni n'en voulait jamais parler.» (Pr III, 3) Soeur Philippa qui rapporte ce trait de Claire, nous dit qu'elle-même la connaissait depuis l'enfance et «qu'ayant été sa troisième soeur en religion, elle demeura continuellement avec elle, et qu'elle avait vu ce qu'elle affirmait.» (Pr III, 8)

    La paternité spirituelle de François, lieu décisif de la Voie spirituelle de Claire.

        Claire elle-même dans son Testament nous atteste avoir reçu, au moment de son adolescence, une grâce décisive de lumière venue du «Père des miséricordes». Incluant ses soeurs, dans cette grâce prophétique, Claire remémore: « Nous devons considérer, soeurs bien-aimées, les immenses bienfaits de Dieu qui nous ont été conférés, mais entre tous, les bienfaits que Dieu a daigné opérer en nous par son serviteur bien-aimé, notre père bienheureux François, non seulement après notre conversion, mais même tandis que nous étions dans la misérable vanité du siècle. » (Test 6_8)

        Cette grâce de lumière lui ouvre les yeux du coeur pour reconnaître dans les paroles et les exemples de François le charisme particulier, la voie spirituelle où l'Esprit Saint la conduisait secrètement à son insu, depuis son enfance. Elle découvre soudainement l'itinéraire évangélique de la pauvreté choisie par le Fils de Dieu lui-même et vécue comme un miroir transparent par le petit Pauvre d'Assise. La vie d'oraison de Claire en est radicalement transformée. Claire nous le dit elle- même: «Le très haut Père céleste a daigné, par sa miséricorde et par sa grâce, éclairer mon coeur pour qu'à l'exemple et selon l'enseignement de notre très bienheureux père François, je fasse pénitence.» (Test 24). Cette expression traditionnelle "faire pénitence" équivaut à un changement intérieur, un retournement radical vers Dieu, dans la voie de l'Évangile qu'est son Fils.

        La conversion de Claire au mystère évangélique de la pauvreté se situe entre 1206 et 1210, lors des prédications itinérantes de François dans la ville d'Assise. La toute jeune fille qu'est Claire, à cette époque, entre 13 et 17 ans, peut réfléchir, prier, approfondir un grand secret. François, à ce moment de sa vie, est le sacrement, le signe vu et expérimenté de la paternité même du Père céleste qui, par sa grâce, attire Claire à la suite de son Fils. Elle nomme cette grâce initiale «le don excellent, la donation parfaite » (1ère Lettre); et, dans son testament: « la vocation parfaite et grande, le bienfait par excellence reçu du glorieux Père du Christ.» (Test 3) Et encore: « le bon commencement » (Test 78; 2e lettre, 11)

        Ce «bon commencement», Claire en garde mémoire d'une façon très précise, très caractérisée, lorsqu'elle rappelle à ses soeurs les débuts de leur vie pour Dieu, ce qu'elle inscrit au coeur même de sa "forme de vie". Elle se souvient que « François, voyant bien que nous n'avions peur ni de la pauvreté, ni du travail, ni des épreuves, ni de la vie humble, ni du mépris du monde, mais que nous trouvions au contraire en tout cela notre plus grand plaisir, alors, dans son affection pour nous, il nous écrivit une forme de vie en ces termes: « Puisque par inspiration divine, vous vous êtes faites filles et servantes du très haut et souverain Roi, le Père céleste, et vous avez épousé l'Esprit Saint, en choisissant de vivre selon la perfection du saint Évangile, je veux et j'en fais la promesse, avoir toujours, par moi et par mes frères, pour vous vous comme pour eux, un soin attentif et une sollicitude spéciale."» La vie d'oraison de Claire est désormais liée intimement à sa vocation de "petite pauvre" imitant avec grand amour son Seigneur pauvre,"perfection de l'Évangile". (R Cl, 6)

2. L'ACCROISSEMENT, LE PROGRÈS DE SA VIE D'ORAISON

    Le désir profond de sa vie:   s'unir au « Pauvre crucifié»

        Les témoignages concordants des compagnes de Claire ont surtout retenu l'assiduité de son oraison. Là, dans le MIROIR du Fils de Dieu contemplé, elle se refaisait chaque jour, se configurant à sa vie pauvre. Interrogeons d'abord celles qui l'ont côtoyée.

        Pacifica nous décrit la manière habituelle de prier de Claire: «La sainte mère était assidue et zélée à l'oraison, restant longtemps et humblement prosternée jusqu'à terre.» (Pr I, 7)

        Agnès complète en nous décrivant une journée de la sainte, lorsqu'elle était encore en santé, c'est-à-dire, avant sa 30ième année d'âge. « Le soir après Complies, madame Claire demeurait longtemps en oraison, avec d'abondantes larmes et, vers minuit, au temps où elle était en santé, elle se levait encore pour l'oraison et réveillait les soeurs. Puis, elle priait tout spécialement à l'heure de Sexte, vers midi, qui était, disait-elle, celle en laquelle notre Sauveur fut mis en croix. » (Pr X, 3)

        Le biographe ajoute, d'après ces témoignages, que Claire «résistait et veillait en prière afin de percevoir comme à la dérobée un frisson du divin murmure.» Cette allusion à la prière d'Élie sur la montagne de l'Horeb souligne la ténacité de Claire recherchant le Seigneur et s'appuyant sur sa force. L'auteur ajoute un peu plus loin, en ce sens: « On devinait chez Claire, à des indices répétés, la force qu'elle puisait au foyer de son ardente prière, et aussi la douceur qu'elle ressentait à la fréquentation de la bonté de Dieu. De la prière, elle revenait en effet remplie de joie; du feu de l'autel du Seigneur elle rapportait des paroles brûlantes qui enflammaient les âmes de ses soeurs. Celles-ci étaient ravies d'entendre des paroles d'une si grande douceur et de voir son visage plus radieux encore que de coutume. La lumière qui était venue remplir son âme durant la prière rayonnait extérieurement au travers de son corps. » (Vie 12, 20)

        Plus tard, malade durant 28 ans, Claire intensifie la vigilance de sa prière.

        Benvenuta assure que «même gravement malade, madame Claire ne voulut jamais laisser ses oraisons habituelles.» (Pr II, 19)

        Angeluccia se souvient que «au temps où elle fut reçue à Saint_Damien, madame Claire était malade mais que, néanmoins, elle se dressait la nuit dans son lit et veillait, se plongeant dans l'oraison avec abondance de larmes, et elle faisait de même le matin, à l'heure de Tierce.» (Pr XIV, 2)

        Son premier biographe résume bien le mouvement de l'oraison de Claire lorsqu'il nous affirme en raccourci: « La Passion du Seigneur était l'objet fréquent de sa méditation et de ses larmes, source tantôt de douloureuse compassion, tantôt de joie reconnaissante et douce. Souvent elle se remettait en mémoire Celui dont l'amour avait imprimé l'image au plus profond de son coeur. »  Plus loin, il précise quelques formes de sa dévotion: «Afin que son âme pût goûter sans interruption les délices de la Croix, elle récitait une prière aux Cinq Plaies du Seigneur et la méditait souvent. Elle avait appris aussi l'Office de la Passion composé par saint François, cet amant de la Croix, et le récitait avec autant d'amour que lui. » (Vie 19, 30)

        Les propos de Frère Éloi Leclerc, dans son livre "Le retour à l'Évangile", décrivent admirablement bien l'orientation de la contemplation de Claire tout au long de sa vie humble, quotidienne: « Le secret de Claire est qu'elle sut donner à la contemplation une dimension et une couleur proprement évangéliques. Contempler... ne consistait pas pour elle en une activité extraordinaire, réservée à une élite, aux privilégiés de la culture et des loisirs. La contemplation se mêlait au quotidien, au banal; elle faisait corps avec l'humble réalité des choses familières et des travaux journaliers. Elle était le bien des pauvres, des petits et des besogneux; car c'est à eux qu'il appartient de découvrir Dieu dans son humanité et son humilité.» (Note 1)

3. LA TRANSFORMATION ET L'UNION AU CHRIST,
    AU COEUR DE SON ORAISON.

        Dès le début de sa vie pour Dieu, François avait convié Claire et ses soeurs à une relation intime avec Dieu, par les expressions baptismales: «Filles et servantes du très haut et souverain Roi, le Père des cieux, épouses de l'Esprit Saint...»    (R Cl, 6).   Ces expressions évangéliques, que François applique aussi à la Vierge Marie, dans une de ses prières, «traduisent les plus hautes réalités de l'union mystique.» «Ce qui est remarquable, poursuit Éloi Leclerc , c'est que la vie d'union à Dieu, sous sa forme la plus élevée, est mise en relation directe avec la pauvreté, le travail, les épreuves, la vie humble.»

        La vie de Claire manifeste souvent, sous plusieurs aspects, cette transformation, transfiguration dans le Christ, son Époux, le "pauvre Crucifié", "le Roi de gloire". Parmi ceux-ci, il y a: le signe victorieux de la croix qu'elle impose aux malades en leur manifestant sa compassion, et la transfiguration de son visage surtout après l'oraison ou la communion. Evoquons ici quelques scènes parmi d'autres.

    Le signe victorieux de la croix et sa compassion:

        Soeur Benvenuta, en racontant sa guérison, nous décrit la sainte mère, deux ans avant sa mort qui, ce soir-là, supplie le Seigneur de guérir sa fille spirituelle: « Après avoir souffert ainsi pendant douze ans, elle (Benvenuta) s'en fut un soir trouver la mère sainte Claire, lui demandant avec larmes aide et secours. Alors cette douce Mère, émue de compassion et n'écoutant que son coeur comme d'habitude, descendit de son lit, s'agenouilla et pria le Seigneur. Sa prière terminée, elle se tourna vers [soeur Benvenuta], fit le signe de la croix d'abord sur elle-même, ensuite sur la soeur, récita le Notre Père et toucha les plaies de sa main nue. Ainsi fut délivrée la soeur de ces plaies qui semblaient incurables.» (Pr XI, 1) Ces moments de délivrance par le pouvoir du signe de la croix sont très nombreux dans la vie de Claire d'Assise.

    La transfiguration de son visage:

        Ce rayonnement extérieur de la personne de Claire laisse transparaître l'avenir. L'oraison prépare nos vies à l'éternité comme le dit si justement saint Paul et saint Jean dans leurs lettres aux premiers chrétiens: «Mes bien-aimés, dès à présent nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n'a pas encore été manifesté.» (l Jn 3,2); et Paul: «Votre vie est cachée avec le Christ en Dieu. Quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire.» (Col 3,4).

        Parmi bien d'autres témoignages, soeur Cécile nous dit de Claire que «plusieurs fois il arriva qu'au retour de la prière, son visage paraissait plus lumineux que de coutume, et les paroles émanant de sa bouche étaient alors empreintes d'une indicible douceur. Dans l'oraison, elle avait le don des larmes, mais avec ses soeurs elle ne montrait que joie spirituelle.» (Pr VI, 4)

    Claire d'Assise, témoin de l'union au Christ dans son mystère pascal

        À la fin de la vie de Claire, Philippa situe un des moments où la sainte vit cette intense union au Christ: « La bienheureuse Mère était si pressée du zèle de la contemplation que le jour du Vendredi Saint, repensant la Passion du Seigneur, elle demeura comme insensible durant tout le jour et une grande partie de la nuit suivante.» (Pr III, 25) Son biographe, rapportant ce même fait d'absorption intérieure, ajoute avec beaucoup de vérité: « Claire s'unissait au Christ priant. Son âme triste à en mourir réglait ses sentiments sur la tristesse insondable du Christ. » (Vie 20, 31)

        Comme le Christ qui a voulu devenir "rançon pour la multitude", Claire aussi, s'offre à son Seigneur, pour ses soeurs, victime et "garantie" devant Dieu. L'épisode douloureux que rapportent les compagnes de Claire, lorsque les Sarrazins envahissent le Cloître de Saint-Damien, illustre bien l'attitude profonde de la sainte Mère et le fruit de son oraison: «Le jour où les soeurs craignaient tant l'assaut des Sarrazins et des Tartares, elles prièrent la sainte Mère de tant faire auprès du Seigneur qu'il voulut bien défendre leur monastère. Et [Claire] répondit: «Mes soeurs et filles, n'ayez pas peur, le Seigneur vous défendra. Et je veux être moi-même votre garantie: si les ennemis parviennent jusqu'au monastère, placez-moi devant eux! » Et ainsi, -ajoute soeur Amata -, grâce à la prière d'une aussi sainte Mère, le couvent, les soeurs ni les choses ne subirent aucun dommage. » (Pr IV, 14)

        Jusqu'à la toute fin de sa vie, Claire demeure intensément unie au Christ dans le rayonnement glorieux de sa Passion. Soeur Agnès qui accompagnait les derniers moments de Claire mourante, raconte que la sainte Mère «exhortait les soeurs à demeurer en oraison, demandant à Agnès de réciter les prières des Cinq Plaies du Seigneur. Et pour autant qu'on pouvait la comprendre, car elle parlait très bas, elle repassait continuellement entre ses lèvres la Passion du Seigneur avec le nom de Jésus. » ( Pr X, 10) Claire aussi, en ce dernier moment, nous rend témoignage de la profondeur de son union au Christ tout au long de sa vie lorsqu'elle s'interpelle elle_même: «Va tranquille et en paix, mon âme bénie, parce que tu seras bien assistée. Celui qui t'a créée t'a aussi sanctifiée. Ensuite il a mis en toi l'Esprit Saint et te regarda toujours comme une mère son enfant qu'elle aime.» Et, dans une suprême louange, s'adressant à Dieu, elle s'écrie: «Sois béni, Seigneur, toi qui m'as créée!» (Pr III, 20; XI, 3)

        Unie au Christ, le Fils béni, Claire nous apparaît "créature nouvelle" en qui le Père se complaît. La sainte mourante en a une très vive conscience lorsqu'elle attire l'attention de sa compagne qui veille avec elle: «Vois_tu le Roi de gloire qui vient à moi?» ( Pr IV, 19) C'est donc configurée à Lui, en Lui, avec Lui qu'elle accomplit ce passage définitif vers le Père des miséricordes qu'elle a glorifié toute sa vie.

B. L'ENSEIGNEMENT DE CLAIRE D'ASSISE AU SUJET DE L'ORAISON

        L'expérience d'oraison de Claire, déjà évoqué, est par lui-même un enseignement. Sainte Claire a, de plus, beaucoup exhorté ses soeurs durant sa vie, à ce sujet et on peut même souligner que c'est un aspect très caractéristique de son charisme spirituel. L'oraison a certainement été, avec la pauvreté et la charité fraternelle, le sujet préféré de ses entretiens.

        Ainsi, Pacifica rapporte:«Lorsqu'elle revenait de l'oraison, elle instruisait se soeurs et les réconfortait; elle leur parlait toujours de Dieu, elle avait toujours son Nom sur les lèvres.»(Pr I,9)   Soeur Balvina assure aussi «combien sainte Claire était assidue et zélée pour la prière et la contemplation et pour l'instruction des soeurs; elle mettait à ses activités tout l'empressement qu'elle pouvait.» (Pr VII, 8)

        Soeur Philippa nous rapporte même que, jusqu'à la fin de sa vie, Claire a poursuivi cette oeuvre spirituelle: « ...durant toute la nuit du jour où elle passa de cette vie, elle parla aux soeurs, les exhortant et les enseignant. » ( Pr III, 20)

    La paix du coeur pour «habiter les mystères de Dieu»

        Le premier enseignement que Claire donne au sujet de l'oraison, est celui de la paix du coeur, comme tranquillité intérieure, climat apte à recevoir «les mystères de Dieu». Ainsi nous dit son biographe: «Elle leur enseignait d'abord à chasser de leur âme toute espèce de tumulte, pour qu'elles deviennent capables de pénétrer et d'habiter les mystères de Dieu seul.»(Vie 36)

        Pour atteindre ce but, Claire vise des lieux intérieurs précis où le tumulte des pensées peut nuire à l'oraison. Ainsi le même biographe continue: «Elle leur enseignait à ne pas se laisser prendre aux affections charnelles, à oublier leur maison et leur pays, afin de s'attacher au Christ.Elle les exhortait à mépriser les revendications de leur corps fragile et à soumettre les caprices de la chair à l'emprise de la raison. Elle leur découvrait la tactique employée par l'ennemi pour tendre des pièges..., les moyens différents qu'il utilise pour tenter religieux et gens du monde.» (Vie 36)

        Nous retrouvons dans ses lettres la même insistance sur la tranquillité du mouvement intérieur qui poursuit sa route dans la voie du Fils de Dieu. Repérant les difficultés du quotidien et de l'oraison elle-même, Claire écrit: «Ce que tu tiens, tiens-le; ce que tu fais, fais-le et ne le lâche pas, mais d'une course rapide, d'un pas léger, sans entraves aux pieds, pour que tes pas ne ramasse même pas la poussière. » ( 2e Lettre, 11-12)    Pour Claire, ce tranquille élan intérieur attentif à Dieu est primordial et le reste ne vaut pas la peine qu'on s'y attarde.

        Accompagnant cette première attitude, la sainte invite avec ardeur à raviver sans cesse le don de la joie intérieure qui accompagne l'offrande de nous-même à Dieu. Ainsi sa 3e lettre à Agnès, lorsqu'elle se réjouit avec sa correspondante dans la réalité de ce premier pas vers Dieu: « Qui donc dirait que je ne me réjouis pas de tant d'admirables joies ? Toi aussi, donc, réjouis-toi toujours dans le Seigneur , très chère, et que ne t'enveloppent ni l'amertume ni le brouillard, ô dame très aimée en Christ.» (3e Lettre, 9-11)

    « L'âme du fidèle: la plus digne des créatures »

        La sainte met en évidence, surtout dans ses 3e et 4e lettres, le but premier de notre vie d'oraison: habiter notre coeur, y retrouver la Présence de Celui qui y siège, notre Créateur. Sa foi est sûre de cette réalité si grande et elle s'appuie pour l'attester, sur la promesse même de Jésus, et sur l'exemple de Marie. Ses assertions sont très affirmatives car, pour elle, nulle découverte au monde n'est plus grande que celle-là. C'est ici le ciel anticipé, le lieu où Dieu communique ses«douceurs cachées à ceux qui l'aiment » (3e Lettre 14) Ainsi elle explique: « en effet, il est clair que, par la grâce de Dieu, la plus digne des créatures, l'âme fidèle est plus grande que le ciel, puisque les cieux, avec les autres créatures, ne peuvent contenir le Créateur et seule l'âme fidèle est sa demeure et son siège, et cela seulement par la charité dont manquent les impies. La Vérité le dit: Celui qui m'aime, mon Père l'aimera, et moi aussi je l'aimerai, et nous viendrons à lui etnous ferons chez lui notre demeure.»   Pour appuyer cette promesse du Seigneur, Claire montre l'exemple évangélique de la Vierge Marie, et elle continue: « De même donc que la glorieuse Vierge des vierges l'a porté matériellement, de même toi aussi, suivant ses traces, d'humilité surtout et de pauvreté, tu peux toujours le porter. sans aucun doute, spirituellement, contenant Celui par qui toi et toutes choses sont contenues, possédant ce que, par comparaison avec les autres possessions transitoires de ce monde, tu posséderas plus fortement. » ( 3e Lettre)

        Ainsi l'Évangile reste toujours pour Claire le Miroir fidèle, l'expression adéquate des plus grandes réalités spirituelles évoquant notre vocation chrétienne dans sa merveilleuse destinée d'alliance.

    « Auxiliatrice de Dieu même »

        Pour exprimer ce mystère d'alliance intérieure, d'union à Dieu par l'oraison, Claire reprend les mots du Seigneur en le qualifiant de «trésor incomparable». Pour elle, la découverte de ce trésor est un don de la sagesse de Dieu qui nous préserve de l'orgueil et de la vanité de ce monde. C'est un trésor, le trésor de notre vocation chrétienne qui porte l'Église. Écoutons ce très beau passage où elle nous décrit avec enthousiasme la relation intime d'alliance qui nous lie désormais à Dieu: « Vraiment je puis me réjouir et personne ne pourrait me rendre étrangère à tant de joie lorsque je te vois, soutenue par la sagesse de Dieu, supplanter les astuces de l'ennemi rusé, l'orgueil qui perd la nature humaine, la vanité qui rend sots les coeurs humains; et que je te vois embrasser avec l'humilité, la force de la foi et les bras de la pauvreté, le trésor incomparablecaché dans le champ du monde et des coeurs humains, par lequel on achète Celui par qui tout a été fait de rien. Et pour utiliser les propres paroles de l'Apôtre même, je te considère comme une auxiliatrice de Dieu même, et celle aui soulève les membres succombants de son corps ineffable. »(3e Lettre 5-10)

        Par le «trésor incomparable» caché en notre coeur, où Dieu a semé sa Parole créatrice, nous pouvons nous unir à Lui qui a tout fait de rien. Lui transformera ce coeur qui le reçoit dans l'amour. Tel est le grand message de Claire d'Assise au sujet de notre relation à Dieu.

        Cette relation d'alliance se manifeste sous plusieurs formes, toutes relatives les unes aux autres: épouse, soeur, mère, servante, auxiliatrice, fille, reine... L'oraison nous établit dans une relation personnelle, ecclésiale, missionnaire, responsable avec le Christ et en communion profonde avec tous. (Note 2)

L'ACTE DE L'ORAISON:

    Contempler le Christ pauvre et humble, resplendissement de la gloire de Dieu.

        La principale exhortation que Claire donne à celles qui débutent concerne le sujet même de l'oraison: contempler le Christ dans la gloire de son humilité-pauvreté, lui qui nous manifeste éminemment l'amour de Dieu pour l'humanité et chacun de nous. C'est le commencement parfait de leur oraison. Les témoignages autant que les écrits de Claire nous confirment cette orientation centrale de son enseignement.

        Ainsi, Angeluccia nous rapporte le premier enseignement que Claire lui dispensait: «La très sainte Mère lui enseigna à aimer Dieu au-dessus de tout autre chose et à conserver toujoursdans sa mémoire. le Passion du Seigneur.» (Pr XIV 7)

        L'hagiographe primitif retient de même ce trait significatif de l'éducation de la sainte:«Elle leur enseignait à se souvenir du Sauveur crucifié.» (Vie 19, 30)

        Dans ses lettres, la fidèle imitatrice de son Seigneur aborde le même motif d'enseignement et le met en lumière comme une victoire sur l'esprit du monde. Dès sa première lettre destinée à la princesse Agnès de Bohème, Claire l'invite à l'essentiel de la vocation chrétienne à la suite du Christ pauvre: «Soyez fortifiée, lui écrit-elle dans le saint service commencé avec le désir ardent du Pauvre crucifié qui pour nous tous supporta la passion de la croix, nous réconciliant avec Dieu le Père. » (1ère Lettre, 13-14)    Ce à quoi elle invite à nouveau lorsque la fervente princesse s'engage définitivement dans sa vocation de Soeur pauvre: «Vierge pauvre, embrasse le Christ pauvre. Vois que pour toi il s'est fait méprisable dans ce monde. Regarde, considère, contemple, désirant imiter ton Époux, le plus beau des fils des hommes qui, pour ton salut, s'est fait le plus vil des hommes... sur la croix. » (2e Lettre 18-20)

        La lettre à Ermentrude, une autre aspirante, n'exhorte pas autrement: « Aime de toutes tes entrailles Dieu et Jésus son Fils crucifié pour nous, et que jamais de ton esprit ne sorte sa mémoire. Fais en sorte de méditer continuellement les mystères de la croix et les tourments de sa Mère se tenant sous la croix. Prie et veille toujours. »

        Ce mystère est la révélation du «don parfait » de Dieu qu'il faut sans cesse considérer, voir, méditer, se souvenir, prier, contempler, s'y unir. Du labeur de l'un à l'autre, Claire nous dit que, de toutes manières intérieures, il importe d'aviver notre attention de « regarder toujours ton commencement » (2e Lettre, 11).

    « Désirer par-dessus tout avoir l'Esprit du Seigneur»

        L'inspiration divine a guidé Claire en ce chemin intérieur de contemplation du Christ Pauvre. Elle reconnaît la même mouvance intérieure chez ses disciples: «Ne consent à rien qui voudrait te ramener de ce propos, dans cette perfection où l'Esprit du Seigneur t'a appelée. » (2eLettre 14)   Puisque, à l'exemple de Marie, nous avons «épousé l'Esprit Saint en choisissant de vivre selon la perfection du saint Évangile », c'est Lui, le Don intérieur qui façonne, "opère" le fils et la fille de Dieu. Ainsi Claire, avec François, insère dans sa Règle ce but qui surpasse même cette Forme de vie. Elle écrit: «Qu'elles considèrent qu'elles doivent par-dessus tout désirer avoir l'Esprit du Seigneur et sa sainte opération, le prier toujours d'un coeur pur, et avoir l'humilité, la patience dans l'épreuve... » (R Cl 10)

        Ce même Esprit veille et dirige la vie quotidienne. Il est le climat, l'espace, le lieu de Dieu où tout s'accomplit. La fondatrice oriente encore dans ce sens la forme de vie au chapitre du travail: « Qu'elles n'éteignent pas l'Esprit de sainte oraison et de dévotion que les autres choses temporelles doivent servir. » (R Cl 7)

    Rendre grâce et bénir le Père des miséricordes

        En suivant le Fils béni, pauvre et humble, nous imitons d'une façon particulièrement intime et parfaite le « Père parfait », enseigne Claire dans sa 2e Lettre. Elle écrit: « Deviens imitatrice attentive du Père parfait, afin de devenir parfaite, et que ses yeux ne voient en toi rien d'imparfait. Telle est cette perfection par laquelle le Christ t'associe à lui parce que... tu es devenue émule de la très sainte pauvreté, en esprit de grande humilité et de très ardente charité, en s'attachant à ses traces.»

        C'est Lui, le Père céleste qui, dans son Esprit, appelle à cette oeuvre éminente de ressemblance divine, la «vocation divine», comme aimera écrire Claire. Tout son Testament, rédigé à la fin de sa vie, chante une hymne à la miséricorde, à « la bonté surabondante du Père céleste». Claire, en cette action de grâces, témoigne de la grâce initiale de sa vocation, grâce extraordinaire qui a transformé sa vie et sa prière. Elle invite deux fois dans cet écrit à entretenir dans la prière la louange incessante, l'action de grâces envers le «glorieux Père du Christ » : « Puisque le Seigneur nous a appelées à de si grandes choses, nous sommes tenues de beaucoup bénir et louer Dieu. » (Test 22)

        Climat de louange accompagnant une grande et sainte vocation, tout le quotidien en est imprégné comme en témoigne Angeluccia quand elle rapporte que « lorsque la très sainte Mère envoyait au dehors les soeurs quêteuses, elle les exhortait à louer Dieu chaque fois qu'elles verraient de beaux arbres fleuris et feuillus; et elle voulait qu'elles fassent de même à la vue des personnes humaines et des autres créatures, afin que Dieu soit loué pour tout et en tout. » (Pr XIV 9)

Soeur Claire,

Monastère Sainte-Claire,

Valleyfield, Qc CANADA, J6S 1N5


RÉFÉRENCES :

    Les références des chapitres et des versets, ainsi que la traduction des écrits de sainte Claire, suivent l'édition des "Sources chrétiennes": "Claire d'Assise, Écrits". SC 325, Cerf, Paris, 1985. De même pour François d'Assise: SC 285.

    Les références concernant la "Vie" et le "Procès de canonisation", suivent le livre bleu intitulé "Sainte Claire d'Assise, Documents". Éditions franciscaines, Paris 1983. De même pour François d'Assise, Editions franciscaines.

NOTES :

1. Éloi Leclerc, Le retour à l'Évangile, Ed.

2. Ces expressions évangéliques de relations sont toutes utilisées par Claire dans ses lettres.

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