CLAIRE D'ASSISE QUI EST-ELLE ?

1193(94)-1253


Sommaire

1) JALONS de biographie

. Milieu familial et social: dans la Cité d'Assise, au Moyen-Âge.
. Attrait personnel vers les pauvres et la pauvreté.
. Disciple de François d'Assise.
. Le "Privilège de la Pauvreté" (1216).
. Fondatrice et Mère spirituelle de l'Ordre des Soeurs Pauvres.

2) QUELLE FEMME EST-ELLE?

.Femme passionnée, unifiée.
.Femme de décision, de discernement et de fidélité.
.Femme de grande humanité.

3) LES LIENS ENTRE FRANÇOIS ET CLAIRE

. Ce qu'en dit Claire elle-même.
. Ce qu'en disent les témoins.
. Le soutien mutuel des deux saints dans la même vocation.
. Leur amitié: "une histoire divine à contempler dans la prière".

4) LES ÉCRITS DE CLAIRE D'ASSISE

. Les lettres.
. Les écrits législatifs: Règle, Testament, Bénédiction.

5) LA FONDATRICE

. François, l'inspirateur de l'Ordre des Soeurs Pauvres.
. Claire, "première Mère et maîtresse de l'Ordre".

6) L'ENSEIGNEMENT SPIRITUEL DE CLAIRE D'ASSISE

. Claire, éducatrice.
. Le mystère de l'humilité-pauvreté du Fils de Dieu.
. Enthousiasme, élan et joie au service de Dieu.
. L'oraison, processus vivant de transformation humaine dans "l'image de Dieu".
. Femme d'Évangile.


CLAIRE D'ASSISE : QUI EST-ELLE ?

 

1) JALONS DE BIOGRAPHIE

Claire naît à Assise en 1193. Même si la date reste incertaine (entre 1193-1194),nous avons célébré le 8e Centenaire de cette naissance entre ces deux années 1993-1994.

Femme du Moyen-Âge, elle est issue d'une famille noble, de la ville d'Assise,fille de Favarone Offreduccio et d'Ortolana, sa mère. Une annonce prophétique détermine son nom dès avant sa naissance. Deux témoins, à l'occasion du Procès de canonisation, rapportent les propos mêmes de Claire et ceux de sa mère à ce sujet. Soeur Philippa, l'une des compagnes de Claire au couvent de St-Damien, «rapporta une chose que madame Claire avait raconté aux soeurs: sa mère, à l'époque où elle était enceinte d'elle, était allée un jour à l'église et, se tenant devant la croix, priait Dieu avec ferveur de lui venir en aide aux moments difficiles de la maternité. Alors elle entendit une voix qui lui disait: «Tu enfanteras une lumière qui illuminera puissamment le monde.» (1) D'après soeur Cécile, c'est Ortolana elle-même qui raconte le fait, après son entrée au même monastère que sa fille. (2)

Voyons maintenant en survol l'itinéraire humain et spirituel qui marquera la personnalité de Claire d'Assise. Cette femme a été très connue de ses proches. Ainsi nous pouvons suivre son enfance et sa jeunesse. Le témoignage de dame Bona, amie de sa mère, et vivant dans la même maison que la jeune Claire, peut nous la décrire dans ses gestes: «Claire faisait porter aux pauvres des nourritures qu'elle était censée manger elle-même; le témoin atteste les avoir portées plusieurs fois... ; et dans la ferveur de son âme, elle cherchait toujours à servir Dieu et à lui plaire.» (3)

Monsieur Rainier, parent de Claire par alliance, affirme lui aussi que la jeune fille «jeûnait, priait, faisait l'aumône volontiers autant qu'elle pouvait.» (4)

Soeur Pacifica était soeur de dame Bona et grande amie de Claire, avec qui elle partagera très tôt la même vocation. Dans son témoignage, elle résume d'une façon très significative ce qui sera le germe de la vocation de Claire et son lien avec François: «Claire aimait beaucoup les pauvres.» (5)

Dès à présent, nous percevons deux traits de la personnalité de Claire: son attrait vers la pauvreté et sa grande capacité d'aimer, de compatir et d'entraîner ses amis sur ce chemin.

L'exemple de sa mère, dame très pieuse et secourable aux démunies, sera stimulant pour elle. Mais plus encore, l'exemple de François, nouvellement couverti, sera la circonstance qui provoquera sa vocation en centrant sa vie sur Dieu. Il semble que la jeune Claire ait entendu et vu François, pour une première fois, vers l'âge de 13-14 ans. Celui-ci en a environ 26. Il prêche à l'église de St-Georges, après avoir quitté définitivement l'avenir de riche bourgeois qui s'offrait à lui. Devenu pauvre entre les pauvres, par choix, il est décidé à suivre particulièrement le Christ dans son mystère de pauvreté. Son comportement suscite un profond revirement chez la jeune auditrice: «Claire, ayant appris comment saint François avait choisi la voie de la pauvreté, résolut en son coeur de l'imiter», nous rapporte Jean de Ventura, un homme d'armes qui vivait dans la maison de son père. (6).

Dès l'âge de 18 ans, Claire, souvent harcelée par ses parents et ses amis qui désirent la voir contracter un mariage selon les visées humaines de son rang social, et ne pouvant les convaincre de l'attrait intérieur qui l'anime vers le Christ, s'enfuit secrètement, de nuit, de la riche demeure familiale. C'est le soir du Dimanche des Rameaux 1212, début de la Semaine Sainte. Il semble qu'elle ait eu l'accord de l'évêque Guido, d'Assise, car François, diacre à cette époque, reçoit aussitôt sa consécration à Dieu, selon la Forme de vie que lui-même a reçue de Dieu. Il écrivait dans son Testament: «Après que le Seigneur m'eut donné des frères, personne ne me montrait ce que je devais faire, mais le Très-Haut lui-même me révéla que je devais vivre selon la forme du saint Évangile » ( 7 )

Après quelques hésitations sur un lieu approprié où sa jeune disciple pourrait désormais vivre, François ne tarde pas à l'installer définitivement à la petite église San Damiano, une dépendance de l'évêché d'Assise, située aux environs de la ville, qu'il avait réparée lui-même de ses mains, au début de sa conversion pour Dieu. Là même, en cet endroit, lorsqu'il n'avait pas encore de frères (1206), il avait prophétisé, animé par une grande allégresse spirituelle, l'avenir et la mission de cette nouvelle communauté dont Claire est maintenant la première "petite plante". Claire rappellera cet incident dans son Testament ainsi que les paroles du saint: «Venez, criait-il à quelques pauvres qui vivaient tout près de cette église, venez et aidez-moi au chantier du monastère de San Damiano, parce qu'il y aura là des dames dont la vie renommée et la sainte conduite glorifieront notre Père céleste dans toute sa sainte Église.» ( 8 ). Cette deuxième prophétie au cours de la vie de Claire annonce l'origine sociale et ecclésiale de l'Ordre des Clarisses, que François aimait nommer au début: "les Pauvres Dames".

Plusieurs compagnes, attirées par l'exemple de Claire, viennent la rejoindre, dont sa jeune soeur Agnès, puis Pacifica, son amie plus âgée.

En expérimentant humblement les débuts de cette vie pauvre, Claire ne tarde pas à se rendre compte qu'il lui faut une assurance venue du Pape lui-même, Innocent III à cette époque, si elle veut continuer à suivre concrètement le Christ Pauvre. En effet, les moniales, en ces temps-là, devaient avoir des biens et des revenus stables pour subvenir à leurs besoins quotidiens et se protéger. Claire demande donc, comme tout monastère nouvellement fondé, un privilège d'existence. Le Privilège qu'elle requiert cependant apparaît tout nouveau: le Privilège de la Pauvreté, qui garantissait au Soeurs Pauvres de Saint-Damien «le droit de vivre sans propriétés et sans revenus». Dès 1216, donc à peine quatre ans après la fondation, le Pape Innocent III le lui accorde «tout en riant bien fort», nous rapporte le biographe primitif. ( 9 ) Ce privilège sera la base de la Forme de vie des Soeurs pauvres, et restera sans cesse la référence pour toute réforme ultérieure, jusqu'à nos jours.

En 1224, Claire, à 30 ans, affaiblie par des austérités excessives, devient malade. Elle le restera jusqu'à sa mort. Le 3 octobre 1226, elle perd son ami François qui l'avait inspirée et soutenue jusqu'ici dans sa vocation.

À partir de cette date (1226) Claire ne cessera d'approfondir d'une façon tout à fait remarquable le charisme de vie spirituelle et contemplative qui lui est propre et qui inspirera aussi la famille franciscaine. Ses lettres rejoindront Agnès de Prague, une princesse de Bohème, qui deviendra elle aussi Soeur pauvre et fondera un monastère à Prague, en 1234. La correspondance de Claire exprimera une grande et profonde amitié entre ces deux femmes, mais aussi, en s'échelonnant sur une période de 15 ans, nous manifestera l'évolution intérieure et spirituelle du Privilège de la Pauvreté concrètement vécue par elle et ses soeurs.

L'abbesse de Saint-Damien devait pourtant être constamment vigilante, persévérante, pour demander et redemander à chaque nouveau Pape, la possibilité de vivre ce Privilège qui n'était pas du tout évident pour eux. Cette situation difficile a été l'occasion principale pour Claire, - comme pour François d'ailleurs - de laisser grandir en elle sa confiance totale en Dieu, ce «Dieu pauvre» «... qui, pour nous, s'est fait le pauvre, la voie, la vérité, la vie.»( 10).

En septembre 1240, la prière de Claire et de ses soeurs écarte les Sarrasins, à la solde de l'empereur d'Allemagne, qui envahissaient la ville et même les lieux du monastère de Saint-Damien. Et l'année suivante (1242), sa prière obtient de nouveau la libération d'Assise que l'empereur d'Allemagne menaçait de ravager.

Claire meurt le 11 août 1253, un lundi à l'aube. Trois jours auparavant, après une longue période de six années d'inquiétude au sujet de l'avenir de sa Forme de vie, elle recevait, le 9 août, l'approbation définitive de sa règle contenant l'esprit du Privilège de la pauvreté. Cette dernière "Forme de vie", elle l'avait rédigée comme le fruit mûr de quarante années d'expérience. Le pape Innocent IV la lui accordait volontiers, en la réservant, cependant, pour le seul monastère de Saint-Damien.

Claire fut canonisée deux ans après sa mort, par le Pape Alexandre IV, celui-là même qui l'avait aidée dans sa dernière requête pour obtenir l'approbation de sa règle. Une centaine de monastères, la plupart en Italie, mais aussi en France, en Espagne et dans les pays slaves, suivaient l'influence de sa Forme de vie, mais cinq communautés seulement avaient pu obtenir le Privilège de Pauvreté tel que voulu et vécu par Claire et ses premières soeurs pauvres.

 

2) QUELLE FEMME EST-ELLE?

Sa vie, en perspective, nous révèle déjà suffisamment quelle est sa personnalité féminine. Soulignons pourtant des traits particuliers qui la caractérisent et nous enseignent encore aujourd'hui. - Claire, sous un extérieur doux, serein, pacifique, est une femme passionnée, entière, et très unifiée dans ce qu'elle poursuit. Ceci apparaît dès son enfance et son adolescence.

Son premier biographe a écrit sa vie deux ans après sa mort, appuyant son récit sur le témoignage récent du Procès de canonisation, que nous avons le bonheur de posséder aujourd'hui, après l'avoir perdu pendant des siècles. La narration des proches témoins se devine lorsque l'auteur primitif nous dit de Claire, enfant, que «son occupation préférée était la prière: elle y éprouvait de grandes douceurs.» (1) Donc, un attrait vers les choses de Dieu, manifesté dès l'enfance, et qui unifiera sa vie. Elle ne s'en départira jamais. Messire Pierre de Damiano, son voisin, l'affirme encore: «il se souvenait bien que jamais personne n'avait réussi à fixer son coeur sur les choses du monde.» ( 2 )

Ce même trait sera souvent rappelé par les compagnes de Claire, au cours du Procès; il sera constant tout au long de sa vie religieuse.

Le langage même de la sainte révèle encore mieux cet aspect entier de son tempérament. Les mots "tout", "toujours", "sans cesse", "ne pas s'écarter en aucune façon", et d'autres équivalents, reviennent et insistent dans tous ses écrits, et presqu'à chaque phrase.

- Femme d'une grande capacité de décision, de fidélité quant à sa vocation, de liberté intérieure peu à peu acquise dans l'expérience de sa Forme de vie, et par là, d'une grande énergie pour la promouvoir et la faire accepter: telle apparaît Claire d'Assise. Ses contemporains et, plus proches, ses compagnes ne cessent de nous l'attester. Ainsi Pacifica: «Claire aimait la pauvreté d'un amour si fort que jamais on ne put l'amener à garder en propre quoi que ce soit, ni à recevoir des possessions pour elle-même, ni pour le monastère. Le Seigneur Pape Grégoire (IX) voulait donner beaucoup de choses et acheter des propriétés pour le monastère, mais madame Claire ne voulut jamais y consentir.» (3 ) Une autre, soeur Cécile ajoute: «Elle veillait et confirmait par son exemple, dans leur ferme résolution de mener cette forme de vie, les soeurs de tous les monastères.» ( 4 )

Nous avons un exemple concret de cette intervention dans la 2e Lettre que Claire adresse à Agnès, de Prague, qui désirait, elle aussi, obtenir la même faveur, du Privilège de Pauvreté, pour son monastère. Claire lui écrit: «Si quelqu'un te disait autre chose, te suggérerait autre chose qui empêcherait et te paraîtrait contraire à ta vocation divine, bien que tu doives le vénérer, refuse cependant son conseil, mais vierge pauvre, embrasse le Christ pauvre.» (5 ) Ce "quelqu'un" n'est autre que le Pape Grégoire IX lui-même! Claire reprend ainsi l'ardeur du charisme de François et fait siennes ses dernières volontés que celui-ci lui avaient laissées en testament: «Moi, frère François, tout petit, je veux suivre la vie et la pauvreté de notre très haut Seigneur Jésus Christ et de sa très sainte mère, et persévérer en cela jusqu'à la fin; et je vous prie, mes dames, et je vous donne le conseil -de vivre toujours dans cette très sainte vie et pauvreté. Et gardez-vous bien de vous en éloigner jamais en aucune façon, sur l'enseignement ou le conseil de qui que ce soit.» ( 6). Cette volonté du petit Pauvre, Claire l'a inscrite au coeur de sa Forme de vie pour qu'elle y soit présente à perpétuité, soutenant sans cesse ainsi l'observance et la décision de ses soeurs.

- Claire se caractérise encore par une grande humanité dans ses moeurs et ses relations avec autrui. À bon droit et justement, la Bulle de canonisation la décrit comme "Femme nouvelle", ce qualificatif repris à nouveau aujourd'hui comme thème inspirateur pour le 8e Centenaire de sa naissance. (7)

Nous voyons chez elle un grand sens du discernement et de la discrétion dans la façon de vivre et de transmettre sa vocation. L'appel à la pauvreté évangélique, telle que l'avaient perçu Claire et François, oriente un quotidien qui n'est pas toujours facile à assumer au premier abord. Claire l'a peu à peu appris par expérience personnelle et avec celle de ses soeurs. En cela, elle a dû cheminer comme chacun d'entre nous. Aidée par une maturité précoce, elle a appris à mieux orienter les désirs ardents qui la poussaient d'abord vers une mortification excessive, une observance, certes fervente, mais pas toujours adaptée, respectueuse des lois pédagogiques de l'avancée spirituelle.

Le fait qu'elle ait vécu jusqu'à un âge avancé (60 ans), lui a permis, mieux que François, sous plusieurs aspects, d'acquérir une remarquable discrétion dans les orientations qu'elle donne par ses conseils, sa Forme de vie et ses autres écrits. Le mot "nécessité" qu'elle utilise souvent, indique chez elle ce discernement à réaliser entre l'observance et la situation de la personne en cause. Dans cette estimation judicieuse entre le bien et le mieux, Claire pourra désormais élaborer elle-même sa Forme de vie et communiquer aux autres cette sagesse intérieure. Ainsi écrira-t-elle à Agnès qui commence: «Très chère, je te prie et te demande dans le Seigneur de te détourner sagement et discrètement d'une certaine austérité dans l'abstinence, indiscrète et impossible, que j'ai appris que tu avais entreprise, pour que, vivante, tu loues le Seigneur, que tu rendes au Seigneur un hommage raisonnable, et ton sacrifice toujours assaisonné de sel.» ( 8 )

Un autre aspect qui révèle sa profonde humanité transformée par la grâce de Dieu, c'est sa grande capacité d'exprimer sa bonté et son amitié dans les relations avec ses proches aussi bien qu'avec ses contemporains de toutes situations sociales. Malgré les lieux restreints où s'est confinée volontairement sa vie, la sainte d'Assise a connu ou a été connue dans un large cercle de personnes.

Les témoins requis pour le Procès informatif sont unanimes à nous présenter cette particulière qualité humaine de Claire. Sa bonté attentive, sa vigilance, sa sollicitude et son sens éducatif les ont stimulés et leur ont communiqué la joie évangélique et l'épanouissement de leur vocation. Elle est devenue pour ses proches le "clair miroir" de la véritable humanité, celle du Christ pauvre et humble apparu parmi nous. Quelques témoignages sont l'écho de plusieurs autres:

. (Pacifica) «La bienheureuse mère était envers ses soeurs humble, douce, affectueuse; elle avait compassion des malades.» ( 9 )

. (Philippa) «Son coeur était toujours prêt à partager les peines des soeurs et des affligés. Elle considérait toutes les soeurs comme supérieures à elle; de toutes, elle se faisait la moindre, les servant.» (10)

. (Lucie, Françoise, Béatrice et d'autres) «Elle avait beaucoup de compassion pour les soeurs, pour leur âme comme pour leur corps. Telle fut la bonté de madame Claire qu'aucune parole n'est capable de l'exprimer tout à fait.» (11)

. (Agnès) «Lorsque madame Claire voyait une soeur souffrir de quelque tentation ou tribulation, elle l'appelait discrètement, pleurait avec elle, la consolait.» (12)

.(Benvenuta) «Elle était douce et libérale envers toutes les soeurs. Elle gouverna le monastère et les soeurs avec beaucoup de jugement et de discernement, plus qu'on ne pourra jamais dire.» (13)

. (Christine) «Elle les guida avec tant de prudence, de douceur et de vigilance dans la pratique de leur vie religieuse et dans l'amour de la pauvreté...» (14)

. (Dame Bona) «Lorsque la sainte mère Claire parlait, tout ce qu'elle disait servait à édifier et enseigner autrui.» (15)

 

3) LES LIENS ENTRE CLAIRE ET FRANÇOIS D'ASSISE

Ces deux saints ont vécu des liens d'amitié tout à fait privilégiés. Tous les deux de la même époque, de la même ville, Claire était cependant de onze années plus jeune d'âge. Un monde social aussi les séparait: Claire, de noble naissance; François, issu d'un milieu bourgeois, riche et en pleine lutte de pouvoir avec la noblesse d'alors. Beaucoup de guerres intestines et de provocations entre ces deux classes sociales.

Voyons brièvement d'abord comment Claire perçoit François dans ses écrits et dans ses propos recueillis lors du Procès, d'après les souvenirs de ses soeurs.

Les Sources:

1) Le Testament.

Claire a reçu sa vocation par l'intermédiaire de François; et François, dès les débuts de sa vocation, prévoyait déjà la présence de ses soeurs, avant même d'avoir des frères. (1) Ceci est indéniable. C'est la base, le fondement de leur amitié spirituelle. Claire rappelle elle-même dans son Testament, à la fin de sa vie: « ... Le Très-Haut Père céleste a daigné, par sa miséricorde et par sa grâce, éclairer mon coeur pour qu'à l'exemple et selon l'enseignement de notre très bienheureux père François, je fasse pénitence.» ( 2 ) Remarquons comment Claire, en cet écrit, approprie la personne de François pour elle et pour ses soeurs: «notre très bienheureux père». François, ici, est pour elle et ses soeurs un "père spirituel", celui qui leur a ouvert le charisme de leur vocation ecclésiale. Tout l'écrit de son Testament l'atteste.

2) Les témoins du Procès.

Au cours du Procès, quatre soeurs rapportent une vision que Claire atteste avoir eu en rêve. (3) Cet événement du rêve de Claire se situerait après 1228, donc proche de la canonisation de son ami François, et antérieur à la rédaction de son testament: «Madame Claire racontait qu'une fois, en rêve, elle s'était vue portant à saint François une cuvette d'eau chaude avec une serviette pour s'essuyer les mains. Elle montait une échelle très haute, mais elle le faisait avec autant d'aisance et de légèreté que si elle avait marché sur un terrain plat. Lorsqu'elle fut arrivée à saint François, celui-ci sortit de sa poitrine une mamelle et lui dit: «Viens, reçois et suce!» ' Elle le fit, puis saint François la pria de sucer une deuxième fois. Et ce qu'elle goûtait ainsi lui paraissait si doux et délectable qu'elle n'aurait pu l'exprimer en aucune manière. Et après qu'elle eût sucé, ce bout de sein d'où sort le lait demeura entre les lèvres de Claire: elle prit avec les mains ce qui lui était ainsi resté dans la bouche, et cela lui parut de l'or si clair et si brillant qu'elle s'y voyait toute comme en un miroir.»

Ce récit, dans sa simplicité, révèle une très grande union, même, intimité, entre les deux saints; union, que nous pourrions qualifier de "mystique". Et ce qui la véhicule, c'est la force de rapport des symboles entre eux: l'échelle, la mamelle, la lumière, la nourriture, la jouissance, le miroir. Les autres témoins retiennent surtout, parmi ces symboles, celui de la "mamelle". François, d'une façon maternelle, communique à sa disciple le don de son charisme spirituel pour qu'elle l'assume elle-même, en le faisant fructifier.

En fait, très tôt, dès l'éveil de leur vocation respective, Claire et François ont été attirés mystérieusement l'un vers l'autre. En revoyant brièvement ces étapes du début, saisissons au passage la profondeur chrétienne rendant plus humaine encore la réalité de cette merveilleuse amitié.

La Vie primitive de Claire rapporte que «François, impressionné par la réputation de cette jeune fille remplie de grâce, désirait la voir et lui parler...; il voulait la gagner à Jésus Christ, son Seigneur.» (4) Béatrice, la jeune soeur de Claire et sa compagne de vie, ajoute: «Il alla plusieurs fois à elle, lui adressant de saintes paroles, si bien qu'à sa prédication, elle renonça à toutes choses de ce monde.»(5)

De son côté..., «Claire entendit parier de François...; elle eut bientôt le désir de le voir et de l'entendre. Il lui rendit visite et elle vint souvent le voir.» (6)

François et Claire sont accompagnés lorsqu'ils se rencontrent. Frère Philippe et dame Bona sont donc les premiers témoins des communications entre eux. Dame Bona précise qu'elle «accompagna souvent Claire lorsqu'elle allait parler avec François, ce que toutes deux faisaient en secret pour n'être pas surprises par les parents. François l'exhortait à se donner toute à Jésus Christ et frère Philippe parlait de même. Et Claire les écoutait volontiers et acquiesçait à toutes leurs paroles.» ( 7)

Tout au long de leur vie pour Dieu, les deux saints amis se sont soutenus mutuellement dans la même vocation. Leur humilité très profonde leur faisait éprouver une grande admiration l'un pour l'autre. Cette humilité explique en grande partie les expressions de Claire qui aiment souligner sa soumission à la paternité spirituelle de François, cela surtout dans son testament.

Claire associe souvent François aux grâces attachées à sa vocation: c'est lui le Père, le planteur, le fondateur, la colonne, le soutien, le guide après Dieu, dans le service du Christ (testament). François répond à cette confiance par une tendresse et une sollicitude très fidèle, attentive, jusqu'à la fin de sa vie, comme Claire l'atteste elle-même dans sa Règle et son Testament, en rapportant le petit écrit où François s'engage vis-à-vis d'elle et de ses soeurs: «Je veux et je promets d'avoir toujours par moi-même et.par mes frères, un soin affectueux et une sollicitude spéciale pour vous comme pour eux.» Et la sainte ajoute: «Ce qu'il accomplit soigneusement tant qu'il vécut, et voulut que soit toujours accompli par ses frères. » ( 8 )

François a reçu tout autant de Claire. Les récits de ses premiers biographes rapportent les circonstances de la confirmation de son appel à la mission et à la prédication. Son dilemme le faisant hésiter entre l'attrait pour la prière contemplative ou le travail de la prédication itinérante, trouve enfin une solution dans le soutien de la prière de cette "soeur chrétienne" qu'était Claire pour lui. (9)

À la fin de sa vie, souffrant d'un profond désarroi devant l'évolution trop rapide de son Ordre, François retrouve la paix à l'ombre du petit couvent de Saint-Damien où il va se reposer et bénéficier de l'appui fidèle de la présence de Claire et de ses soeurs avant le grand passage de sa "soeur la Mort corporelle". (10)

Claire admire François et s'en inspire. François vénère Claire comme une dame, mais il l'aime comme une soeur spirituelle, celle qui incarne la figure de la «petite pauvre vierge de Judée», la vierge Marie qu'il dénomme, comme Claire et ses soeurs, «épouses de l'Esprit Saint». (11)

Dans les récits primitifs, cette amitié sera sans cesse rappelée par des récits symboliques voulant signifier leur affection mutuelle dans une mission commune, mais plus encore par la comparaison avec le Christ, nouvel Adam, et Marie, nouvelle Ève, donnant le miroir, l'exemple de la parfaite humanité:

«Si les hommes doivent imiter ceux de leur sexe qui, tout récemment (en François) se sont mis à l'école du Verbe incarné, que les femmes, de leur côté, marchent sur les traces de Claire, elle-même imitatrice de la Mère de Dieu, et que Dieu a donnée récemment pour modèle à toutes les femmes.» ( 12)

Ce constat chrétien de leur union spirituelle a eu profond écho chez notre Pasteur actuel, Jean-Paul Il, lorsqu'en 1982, à l'occasion d'un passage à Assise, il s'écriait: «À notre époque, il est nécessaire de redécouvrir l'histoire divine de François et de Claire. /... / Il est difficile de séparer les noms de François et de Claire... Entre eux s'est établi un lien profond..., qui ne peut être compris qu'à partir des critères de la spiritualité franciscaine, chrétienne, évangélique et non avec des critères humains. Mais c'est aussi une réalité de cette terre, de cette cité, de cette Église. Tout a pris corps ici.

«Dans la tradition vivante de l'Église, du christianisme, de l'humanité, il ne reste pas seulement le récit de leur vie. Il reste la manière dont François voyait sa soeur; la manière dont lui-même épousa le Christ; comment il se voyait lui-même à l'image de Claire, épouse mystique du Christ, et comment il façonnait à cette image sa propre sainteté. À l'image de la sainteté de cette authentique épouse du Christ, il découvrait l'image de la très parfaite épouse de l'Esprit Saint, Marie, la très sainte. C'est une histoire divine qu'il nous faut contempler dans la lumière de Dieu, dans la prière. Cette histoire divine a certainement exercé une grande influence dans la vie de l'Église et dans le développement de la spiritualité chrétienne.» (13)

 

4) LES ÉCRITS DE CLAIRE D'ASSISE

Comme écrivain spirituel, Claire a peu rédigé, en comparaison avec François. Elle nous laisse 5 lettres, une Règle de vie, son Testament, sa dernière Bénédiction. Et voilà le tour d'horizon! Tous ses écrits se datent après la mort de François. Claire exprime par eux la pleine maturité de sa vie spirituelle et du charisme propre à l'Ordre dont elle est considérée comme la Mère. L'expression écrite se situe entre 1234 et 1253. Plus encore, les derniers écrits (4e lettre, testament, règle et bénédiction) manifestent davantage l'autorité de ce charisme devenu ecclésial. Claire est aussi l'une des rares figures féminines de cette époque qui nous aient laissé des textes écrits.

Description brève des écrits:

1) Les lettres

Son style propre se révèle mieux dans les lettres. Sa correspondance demeure le lieu le mieux apparenté pour exprimer son cheminement spirituel par les élans contemplatifs et les conseils qu'elle communique volontiers à sa disciple.

Plusieurs auteurs sérieux ont examiné ce style des lettres qui nous sont parvenues en langue latine. Ils nous affirment entre autres que ces missives sont empreintes d'une élégance et d'une dignité qu'on retrouve moins dans les écrits plus législatifs. Sachant que cette correspondance s'est échelonnée sur une période de 19 ans, l'uniformité du style et des expressions nous saisit immédiatement: c'est un chef d'oeuvre, un cri du coeur, un chant nuptial, une hymne de victoire. La sensibilité humaine et spirituelle de Claire d'Assise s'y perçoit entièrement, telle qu'on pouvait la dévoiler à cette époque. (1)

Quatre lettres s'adressent à Agnès, cette princesse de Bohème qui avait renoncé à un mariage politique considéré comme le plus important à cette époque: le puissant empereur d'Allemagne, Frédéric II, la requérait comme épouse, voulant fixer par elle des alliances avec son pays. Agnès fonde un monastère à Prague avec les biens de sa famille, mais, peu à peu, elle apprend l'orientation du Privilège de la Pauvreté obtenue par la communauté de Saint-Damien. Elle désire elle aussi, à cet exemple, entrer dans ce grand mouvement spirituel. Claire l'accompagne et lui répond. C'est le thème principal des 4 lettres que Claire lui fera parvenir avec sa conviction habituelle, profonde et stimulante. Les trois premières lettres sont envoyées entre 1234-1 238. Puis, un espace de 15 ans les sépare de la dernière lettre écrite quelques mois avant le décès de Claire. Cette dernière missive est un véritable chant d'amitié, plein de chaleureuse confiance et transparence.

La 5e lettre est adressée à Ermentrude, de Bruges, donc peut-être à une flamande. Celle-ci est recluse avec quelques compagnes. Elle manifeste à Claire son intention de fonder un monastère à Bruges, selon l'exemple de Saint-Damien. Claire lui communique ses avis et son appui en deux lettres qui nous sont parvenues résumées dans un seul texte.

2) Les écrits législatifs:

La Règle: Claire d'Assise est, d'après les historiens, la première femme qui rédige une Règle qu'elle dénomme prudemment : "Forme de vie". Cette règle reflète la terminologie légale de son temps. La fondatrice emprunte aussi des passages complets de la Règle de François, celle, définitive, de 1223. Mais dans cette législation, on reconnaît souvent et assez aisément la touche particulière qu'elle veut y insérer en s'appuyant sur les meilleures connaissances religieuses de ce temps qu'elle a reçues, sans doute par l'intermédiaire de canonistes, comme le cardinal Hugolin, ou le cardinal Raynald, protecteurs de l'Ordre. Claire applique ces données avec liberté et avec un grand sens de l'adaptation ultérieure, par exemple, au sujet de l'autorité, de la co-responsabilité, de la démocratisation, de la miséricorde mutuelle. Ceci constitue une nouveauté dans l'histoire religieuse et nous inspire encore aujourd'hui. Cette règle est relativement courte: 12 chapitres. L'essentiel d'une forme de vie concrétise ainsi l'Évangile vécu ensemble, par des femmes, dans une vie contemplative. Ce qu'elle signale au tout début: «La forme de vie de l'Ordre des soeurs pauvres... est celle-ci: observer le saint Évangile de notre Seigneur Jésus Christ.» ( 2 )

Le Testament: Cet écrit se présente sous la forme d'une hymne d'action de grâce au Père des miséricordes pour le grand don de la vocation à la suite du Christ pauvre et humble. Écrit de circonstance: Claire éprouve la nécessité de préciser le pivot central de sa forme de vie, mis en danger par l'intervention du Pape Innocent IV, en 1247. Celui-ci, dans une nouvelle règle imposée aux monastères dans le but d'unifier leur législation, ne tient plus compte du Privilège de Pauvreté. Le Testament de Claire vient appuyer sa forme de vie qu'elle élaborait elle-même à ce moment. Par des réflexions et des souvenirs autobiographiques, Claire insiste et prévoit l'avenir en donnant à ses soeurs le roc solide de leur charisme initial: la pauvreté-humilité et la charité fraternelle, à l'exemple du Christ. Son testament S'apparente beaucoup aux derniers adieux du Seigneur en Jn 15-17.

La Bénédiction a sans doute été écrite d'abord à Agnès, puis adaptée à ses soeurs aux derniers jours de sa vie. (Mais l'inverse peut être aussi plausible). Ce texte se présente très riche de réminiscences bibliques, et assez développé, si on le compare à celui de François. La bénédiction de Claire se rattache à son testament qu'elle prolonge d'une façon liturgique.

Tous ses écrits sont traversés par une grande unité de pensée. Les genres divers qu'elle utilise, les nombreux textes d'Écriture qu'elle remémore et sur lesquels elle s'appuie, sont là pour mieux manifester une vocation d'Église reçue en dépôt, par l'illumination du Père céleste, et qui est de «toujours s'appliquer à imiter la voie de sainte simplicité-humilité-pauvreté enseignée par le Christ et le bienheureux père François.» ( 3 )

 

5) LA FONDATRICE

Claire est fondatrice d'un Ordre qui a donné beaucoup de filles à l'Église. 18,000 encore aujourd'hui, dans tous les continents de notre monde contemporain. C'est actuellement la famille religieuse contemplative la plus nombreuse, après avoir traversé presque huit siècles d'existence.

Cependant, pour elle-même, l'humble fille d'Assise ne se considère pas comme la fondatrice. Elle s'appuie sur le nom et la célébrité de François: c'est lui le fondateur, ne cessera-t-elle de proclamer à travers les textes législatifs. Ainsi dans la Règle: «L'Ordre des Soeurs Pauvres que le bienheureux François institua...» (1). Et dans son Testament: «Le Seigneur nous donna notre très bienheureux père François comme - fondateur, planteur, et notre aide dans le service du Christ.» (2). Claire elle-même se considère et voit ses soeurs comme «la petite plante» du père François. (3).

L'Église qui approuve sa Règle, en 1253, la perçoit de la même façon, selon ce que Claire a demandé: le Prologue de la Règle en donne l'approbation en attestant: «Nous confirmons par garantie apostolique la forme de vie selon laquelle vous devez vivre en commun, dans l'unité des esprits et le voeu de la très haute pauvreté, forme de vie à vous transmise par le bienheureux François et que vous avez reçue spontanément.»

Ceci dit, il faut cependant comprendre qu'à cette époque le IVe Concile du Latran (1215) avait statué que l'Église s'abstiendrait désormais d'approuver de nouvelles règles religieuses. Celle de François, la dernière en date, avait été approuvée d'abord oralement en 1206, puis définitivement en 1223, grâce au cardinal Hugolin, grand admirateur de François et protecteur de l'Ordre. Si l'abbesse de Saint-Damien désirait faire approuver la sienne, elle devait nécessairement l'appuyer sur l'autorité d'une règle antérieure. C'est ce que Claire fait en s'inspirant de la règle des Frères Mineurs, et elle obtient cette approbation trois jours avant sa mort, grâce à l'autorité et au rayonnement de la sainteté de François, et tout autant, grâce à la vénération dont les évêques et le Pape entourent la sainte mourante, à ce moment.

Mais, en fait, Claire est réellement la fondatrice. C'est son oeuvre bien plus que celle de François. Le Procès de canonisation et la Bulle qui la proclame sainte universelle, ne cessent de l'affirmer. Pas une seule allusion, en ces derniers documents, du rôle de François comme fondateur. Il est et demeure l'inspirateur. Revoyons quelques témoignages très probants, entre bien d'autres:

.(Pacifica): «Madame Claire donna commencement à l'Ordre qui est à Saint-Damien... » ( 4 ).

. (Philippa): «Madame Claire, première Mère et abbesse du monastère de Saint-Damien et première en cet Ordre... » (5).

. (Amata): «Tant qu'elle vivait et maintenant après sa mort, les soeurs l'ont en vénération, la regardant comme sainte et comme Mère de tout l'Ordre.» (6).

. (Christine): «Dieu a voulu qu'elle fût la première Mère et maîtresse de l'Ordre. » (7).

La Bulle de canonisation confirme la sainteté de la vie de Claire, mais aussi son enseignement propre dont l'Église reconnaît la densité évangélique: «Que l'Église notre Mère exulte d'avoir engendré et élevé une telle fille qui... enfanta par ses exemples de nombreuses disciples, et les forma, par sa doctrine sûre, pour le parfait service du Christ.» (8)

Durant plusieurs siècles, même jusqu'à la période du Concile, les Clarisses, par tradition retenue de Claire elle-même, considéraient François comme le "fondateur". Mais de plus en plus, nous prenons conscience du rôle majeur de Claire en cette fondation. Par l'illumination du Père céleste, François l'a inspirée, mais c'est vraiment elle, Claire d'Assise qui, ensuite, inspire et forme ce qui deviendra l'Ordre des Soeurs Pauvres ou des Clarisses. Comme l'atteste déjà fortement la Bulle de canonisation, «sa façon de vivre était pour ses soeurs - un enseignement et une doctrine- dans ce livre vivant, elles ont appris leur règle; dans ce miroir de vie, elles ont découvert leur route.» (9)

 

6) L'ENSEIGNEMENT SPIRITUEL DE CLAIRE D'ASSISE

«En vraie soeur, elle encourageait nos âmes à l'union à Dieu.» (1) Par ce simple raccourci, les compagnes immédiates de Claire nous précisent le but de l'enseignement qu'elles avaient reçu de la sainte. Mère et fondatrice, Claire a beaucoup communiqué, instruit, éduqué, formé et encouragé durant sa vie. Presque tous les témoins, lors du Procès, souligne ce fait. Et Dame Bona conclut: «Lorsque la mère sainte Claire parlait, tout ce qu'elle disait servait à édifier et enseigner autrui.» (2)

Il est certain que ses écrits enseignent, mais sa doctrine spirituelle se manifeste plus encore dans son vécu et sa personne même. La Bulle nous l'indiquait déjà clairement. (3)

Le noyau central qui inspire sa pensée spirituelle c'est le mystère de la pauvreté-humilité du Fils de Dieu, expression de sa «charité ineffable» pour nous. L'intuition de Claire et de François, à ce sujet, est véritablement stimulante et inspiratrice encore aujourd'hui. Chez Claire, le cheminement spirituel se perçoit comme un progrès continuel dans la compréhension et la participation à ce mystère de Dieu. Elle insiste particulièrement, d'abord, sur l'importance du «bon commencement» pour celle qui consent à être en vérité «pauvre de coeur», et ainsi devient «soeur, épouse et mère de notre Seigneur Jésus Christ». (4)

Elle nous entretient aussi et nous enthousiasme dans le désir du progrès constant et fidèle qui fait fructifier ce «bon commencement» reçu comme un don: «D'une course rapide, d'un pas léger, sans entraves aux pieds, sans soulever la poussière..., sûre, joyeuse, alerte, marche avec prudence sur le chemin de la béatitude.»(5)

L'appel constant à la joie évangélique, l'optimisme de sa vie et de ses paroles ne nous laissent pas nous appesantir sur la tristesse ou les nuages du quotidien. La victoire sur ce monde s'affirme sans cesse chez-elle: «Bienheureux les pauvres de coeur, car le royaume des cieux est à eux» (6), dès ici-bas.

Enfin la sainte Mère conduit sa disciple jusqu'à la profondeur, pleine de vérité, de la transformation à l'image de Dieu, et jusqu'à la communion la plus intime à son mystère de charité, d'amour. Les 3e et 4e lettres nous y conduisent d'une façon toute simple, sans même les détours de directives spirituelles nombreuses que l'on rencontre souvent chez les grands maîtres de la vie spirituelle. Claire dit seulement: «Pose ton esprit, pose ton âme, pose ton coeur sur le Christ, miroir de Dieu, splendeur de sa gloire, et transforme-toi tout entière, par la contemplation, dans l'image de sa divinité: ... tu ressentiras ainsi ce que ressentent les amis de Dieu, en goûtant la douceur cachée qu'il a réservée, dès le commencement, à ceux qui l'aiment. » ( 7 )

L'oraison, pour Claire d'Assise, est un processus vivant qui transforme sans cesse la personne dans la vérité de son humanité, c'est-à-dire cette humanité qui est appelée à partager la divinité du Fils de Dieu.

Femme d'Évangile:

Femme de lumière par son nom et par ce qu'elle a été, l'humble fille d'Assise en vivant avec densité le mystère et la réalité concrète de sa vie humaine, a fait revivre le mystère de l'Évangile toujours vivant, toujours actuel. Sa façon de répondre à la vocation chrétienne a suscité un grand réveil parmi ses contemporains, et tout au long des siècles, jusqu'à nous. Elle a surtout incarné, par sa forme de vie et son expérience humaine, la profondeur du mystère de l'humilité de Dieu vécue en son Fils Jésus, le Christ apparu pauvre et humble au milieu de nous. Pour Claire, ce mystère d'amour est victorieux et plein de gloire. Elle n'hésitera pas même à situer l'attitude évangélique et essentielle. de la pauvreté comme celle qui sera notre partage durant l'éternité: «la très haute pauvreté» (8 « la sainte pauvreté » ( 9 ), « vivre toujours dans la souveraine pauvreté. » (10).

Oui, car la souveraine pauvreté appartient au mystère de Dieu même dans sa relation trinitaire. Cette intuition de Claire et de François nous laisse entrevoir que la vie divine tout entière est dépossession de soi, donation plénière. Ainsi la pauvreté, vécue au jour le jour dans nos relations humaines, s'inspire de la vie divine et nous fait communier à cette vie: elle fonde la fraternité. Cette souveraine pauvreté, qui marque notre vision chrétienne, nous conduit à la louange et à l'émerveillement devant un tel amour, celui que Dieu mous manifeste: «Dieu a tellement aimé le monde, qu'il lui a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ait la vie éternelle.» (11)

La liberté, la sobriété, la ferveur et la tendresse par lesquelles Claire d'Assise nous transmet son enseignement favorisent encore aujourd'hui un chemin d'humanité très particulier. En vivant la densité de son expérience humaine de pauvreté et d'humilité, Claire nous apprend comment le Christ l'a épousée et lui a communiqué «l'ineffable charité» de Dieu, ce couronnement parfait de la maturité humaine, notre «vocation divine». (12)

Soeur Claire, o.s.c.
Monastère Sainte-Claire, Valleyfield, Qc

 


N 0 T E S

Les références des chapitres et des versets, ainsi que la traduction des écrits de sainte Claire, suivent l'édition des "Sources chrétiennes":

CLAIRE D'ASSISE, Écrits (SC 325, Paris 1985, Cerf).

Les références concernant la "Vie", le "Procès de canonisation", la "Bulle de canonisation", suivent le livre bleu intitulé: CLAIRE D'ASSISE, Documents, (Éditions franciscaines, Paris, 1983).

 

Abréviations utilisées pour les Notes:

Test = Testament de Claire d'Assise (SC 325)
RCI = Règle de sainte Claire (SC 325)
L = Lettres de Claire d'Assise (SC 325)
Priv = Privilège de la Pauvreté (SC 325: Annexe)
Pr = Procès de canonisation (Documents)
Vie = Vie primitive de sainte Claire, attribuée à Thomas de Celano (Documents)
Bulle = Bulle de canonisation (Documents)

 

1) JALONS DE BIOGRAPHIE

(1) Pr III,28
(2) Pr VI, 1 2
(3) Pr VII,1-2
(4) Pr XVIII,3
(5) Pr I,3
(6) Pr XX,6
(7) Testament de François, 14 (SC 285)
(8) Test 14
(9) Vie 8,14
(10) Test 44; Priv. 3

2) QUELLE FEMME EST ELLE?

(1) Vie 2,4
(2) Pr XIX,2
(3) Pr 1, 1 3-14
(4) Pr VI,2
(5) 2e Lettre 1 7
(6) RCI 6,7
(7) Bulle de can. 8. La traduction française des "Documents" donne l'expression "fontaine nouvelle". Mais d'anciens manuscrits portent "nova mulier", (femme nouvelle): ce qui a été retenu par la "Lettre des quatre Ministres généraux de la Famille franciscaine" annonçant le 8e Centenaire de la naissance de Claire d'Assise. (Traduction française dans le bulletin "Claire dans nos Fédérations", décembre 1991, Monastère des Clarisses de Nancy, France.
(8) 3e Lettre 40-41
(9) Procès I,12
(10) Procès III,9
(11) Procès VIII,1-3; IX,l; XII,7
(12) Procès X,5
(13) Procès XI,5
(14) Procès XIII,3
(15) Procès XVI 1,8

3) LES LIENS ENTRE CLAIRE ET FRANÇOIS D'ASSISE

(1) Test 12-14
(2) Test 24
(3) Procès III,39; IV,16; VI,13; VII,10
(4) Vie 5
(5) Procès XII,2
(6) Vie 5
(7) Procès XVII,3
(8) Règle CI 6,4-5; Test 29.49
(9) Legenda Major 12,1-2 (Vie primitive de saint François, par saint Bonaventure).
(10) Celano: Vita 11, 212 et notes.
(11) RC 1 6,4; Prière de l'Office de la Passion (SC 285) p.291 (1 2) Lettre-préface de la Vie de sainte Claire (Celano) (13) Propos du pape Jean-Paul 11, cités dans la Lettre des Ministres généraux, pour le 8e Centenaire, p.5-6

4) LES ÉCRITS DE CLAIRE D'ASSISE

(1) D'après "Réflexions dans le miroir: les images du Christ dans la vie spirituelle de sainte Claire d'Assise", thèse présentée par frère Brian Purfield, ofm, à la Faculté du Département de l'Institut franciscain de l'Université Saint-Bonaventure, N.Y., (1989). Traduction française par A. Mondor, Montréal (1992). (Thèse dactylographiée, non publiée).
(2) RCI 1,1-2
(3) Test 57

5) LA FONDATRICE

(1) RCI 1,1
(2) Test 48
(3) Test 49
(4) Procès 1,2a
(5) Procès 111,31
(6) Procès IV,18
(7) Procès XIII,3
(8) Bulle 18
(9) Bulle 9

6) L'ENSEIGNEMENT SPIRITUEL DE SAINTE CLAIRE

(1) Faire-part du décès de sainte Claire, par ses compagnes: Documents p.1 50.
(2) Procès XVII,8
(3) cf. Bulle, 9
(4) le Lettre 12.24; Mt 12,50
(5) 2e Lettre 12-13
(6) Mt 5,3
(7) 3e Lettre 12-14
(8) RCl 8,4
(9) le Lettre 1 6; Test 47
(10) 2e Lettre 2
(11) Jn 3,16
(12) 2e Lettre 17

SOURCES principales pour connaltre sainte Claire:

CLAIRE D'ASSISE, ÉCRITS: Collection "Sources chrétiennes", N' 325, 253 p., Le Cerf

1985. Introduction, texte latin, traduction, notes et index.

SAINTE CLAIRE D'ASSISE, Documents: Éditions franciscaines, 1981, 1400 p.

Biographie (Vie primitive), Écrits de Claire, Procès et Bulle de canonisation,

textes des chroniqueurs, textes législatifs et tables.

CLAIRE D'ASSISE, un message de lumière: Éditions du Signe, Strasbourg, 1991

Album illustré, rédigé par une équipe de clarisses.

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