Contemplation-Prière dans l'Évangile selon la Règle de Sainte Claire

1) L'Évangile et la vie contemplative dans la Règle de sainte Claire vécue aujourd'hui

Lorsque l'Église nous situe comme contemplatives, dans la mission de l'Église, c'est surtout en conformité avec le mystère permanent de Jésus priant pour nous devant son Père, le louant et l'adorant. Ainsi Vita consecrata : «Les contemplatives cloîtrées se conforment de manière spécifique à Jésus Christ en prière sur la montagne et à son mystère pascal.» (# 59).

Nos Constitutions de Soeurs Pauvres, qui expriment pour aujourd'hui la Règle de sainte Claire, s'ouvrent dès le début à ce grand mystère de conformité et de mission : «Alors que François, sous l'inspiration de l'Esprit, a vécu la dimension contemplative et apostolique de la vie évangélique, Claire avec ses soeurs, a posé le Verbe dans son coeur et son coeur en Dieu. Elle a choisi pour elle, comme mode particulier de vie, de témoigner principalement du Christ se livrant à la contemplation sur la montagne, seul avec le Père qui met en lui toute sa faveur.»

Claire avec ses soeurs... C'est donc dans une communauté que nous réalisons, chacune et ensemble, entièrement cette vocation reçue et vécue en l'Esprit Saint, dans l'Église. Les Constitutions nous situent : « La même communion de vie qui nous fait un avec le Père dans le Fils incarné en notre humaine fragilité, nous unit aussi en un seul corps. Car c'est l'Esprit qui suscite, nourrit et vivifie la communauté fraternelle, élément essentiel de la Forme de vie des Soeurs Pauvres.» (Art. 10)

Notre mission est là, dans cette contemplation même vécue ensemble comme Soeurs Pauvres. «La vie contemplative est notre premier et fondamental apostolat parce que, selon un dessein spécial de Dieu, c'est notre mode typique et caractéristique d'être Église, de vivre en Église, de réaliser la communion de l'Église, d'accomplir une mission dans l'Église.»(Art. # 161)

2) Le soutien évangélique de la Règle de sainte Claire

Dans cette mission d'Église que l'Esprit Saint nous aide à accomplir chaque jour, la Règle de sainte Claire devient notre premier soutien évangélique, le premier témoin du charisme de sainte Claire.Cette vie contemplative est située dès le début dans une recherche commune de paix, de concorde, d'unité par la pauvreté et l'amour fraternel. Le Prologue de la Règle le décrivait très justement : «La forme de vie et le mode de sainte unité et de très haute pauvreté que votre bienheureux père saint François, en parole et par écrit, vous transmit pour l'observer.»

Cette façon de vivre l'Évangile se reflète dans presque tous les chapitres de la Règle, et forme l'attitude évangélique tant de l'autorité, l'abbesse, que celle des soeurs selon une expression typique qui revient souvent : «...pour conserver l'unité de l'amour mutuel et de la paix... que l'on veille au consentement de toutes les soeurs.»

Filles et servantes du souverain Roi, Épouses de l'Esprit Saint

François nous oriente dès le début de notre vie pour Dieu vers cette communion et contemplation en ce court billet inséré par Claire au centre de cette Règle : «Puisque par inspiration divine vous vous êtes faites filles et servantes du très haut et souverain roi, le Père céleste, et que vous avez épousé l'Esprit-Saint en choisissant de vivre selon la perfection du saint évangile...» (Ch 6)

La Trinité sainte est ici le modèle, le miroir de notre vie évangélique contemplative, communautaire. Cette communion en Dieu et entre nous est à la fois le fondement et le but de notre vie de prière et de contemplation. La Forme de vie devient ainsi une lumière, une aide et un soutien permanent, quotidien, pour garder mémoire de cette mission.

Toutes les situations de vie sont perçues en cette lumière, inspirant le respect mutuel, l'unité entre nous et la paix si essentielle à l'acte contemplatif. Ainsi de même, le pardon, la correction mutuelle, la maîtrise de soi pour mieux orienter nos passions humaines, la discrétion, le silence, l'obéissance. Voyons ce travail intérieur sur soi et en communauté pour ressembler à Dieu, à sa vie trinitaire :

L'esprit de sainte oraison

Le chapitre du travail est placé très justement dans cette perspective de paix contemplative: «Que les soeurs à qui le Seigneur a donné la grâce de travailler travaillent... fidèlement et dévotement, et d'un travail qui relève de l'utilité commune, de telle sorte qu'ayant écarté l'oisiveté ennemie de l'âme, elles n'éteignent pas l'esprit de sainte oraison et de dévotion que les autres choses temporelles doivent servir. » (Ch 7)

L'expression ancienne mais si riche de sens «du travail accompli fidèlement et dévotement», ainsi que «l'esprit de sainte oraison et de dévotion«, laisse apparaître l'esprit si fervent de Claire et de François dans les moindres actes quotidiens. En effet, la dévotion manifeste cette promptitude au service de Dieu, cette joie intime du coeur à le servir et à demeurer disponible au moindre signe d'appel de l'Esprit Saint. Par-dessus tout travail, tout projet, toute chose qui requiert notre attention au long du jour, il y a cet attrait vers la volonté de Dieu, cette sainte oraison du coeur, cette dévotion vers Dieu qui oriente tout. «Restez éveillés et priez en tout temps» (Lc 21,36).

D'autres situations importantes en découlent, surtout celles des relations mutuelles :

Le pardon :

Chacune des soeurs devient responsable en ce travail d'unité. Ainsi, devant la faute d'une soeur ou même de quiconque : « l'abbesse et ses soeurs doivent prendre garde de se mettre en colère ou de se troubler à cause du péché de quiconque, car la colère et le trouble empêchent la charité en elles_mêmes et chez les autres.» (Ch 9)

Et la Règle, se confrontant à des situations plus difficiles de mésentente, offre ce conseil évangélique que Jésus propose à ses disciples, avec tant d'audace et de confiance, avant de présenter leur prière : « S'il arrivait - qu'il n'en soit rien-- qu'entre une soeur et une soeur, par une parole ou par un geste, s'élevât quelquefois une occasion de trouble, que celle qui a donné cause à ce trouble, aussitôt, avant de présenter l'offrande de sa prière devant le Seigneur, non seulement se prosterne humblement aux pieds de l'autre, demandant le pardon, mais aussi la prie simplement d'intercéder pour elle auprès du Seigneur afin qu'il soit indulgent pour elle. Et celle-là, se souvenant de cette parole du Seigneur: Si vous ne remettez pas de tout coeur, votre Père céleste non plus ne vous remettra pas, qu'elle remette avec libéralité à sa soeur toute l'injure qu'elle a reçue.» (Ch 9)

Ainsi chaque jour et même à chaque instant se refait la communion, l'unité mutuelle si nécessaire au climat de la prière évangélique telle que le Seigneur nous l'a enseignée.

La maîtrise des passions humaines :

L'admirable chapitre 10 de la Règle retient le coeur des enseignements évangéliques au sujet de ce désir du Seigneur : «Qu'ils soient UN comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu'ils soient en nous eux aussi afin que le monde croie que tu m'as envoyé.» (Jn 17,21)

Et la sainte d'Assise explique d'une façon très concrète ce travail de maîtrise des passions, en vue de l'unité : «J'avertis et j'exhorte dans le Seigneur Jésus-Christ: que les soeurs se gardent de tout orgueil, vaine gloire, envie, avarice, souci et préoccupation de ce monde, critique et murmure, dissension et division. Mais qu'elles soient toujours soucieuses de conserver entre elles l'unité de l'amour mutuel qui est le lien de la perfection.»

La paix du coeur

Femme de paix, Claire d'Assise l'est par tout son être et sa vie. Un récent CD repris sous forme de DVD, le met en évidence et porte justement ce titre évocateur : Claire d'Assise, femme de paix . Il a été conçu pour notre époque si tributaire des violences et des guerres.

Toutes les prescriptions de discrétion et de retrait du monde dans la Règle ont, chez la sainte, un seul but : préserver le climat de paix si nécessaire à la réalisation de la mission contemplative. De même, elle établit le silence entre nous dans un climat de sobriété et de liberté, visant encore ici l'unité : «...que les soeurs gardent le silence. Mais pas à l'infirmerie, où pour la récréation et le service des malades il sera toujours permis aux soeurs de parler avec discernement. Qu'elles puissent cependant toujours et partout faire savoir brièvement et à voix basse ce qui serait nécessaire.» (Ch 5)

Claire fait souvent appel à cette vertu de prudence, de discernement, de discrétion, afin que toute la vie des soeurs s'oriente vers l'unique nécessaire de leur mission d'Église, celle de la prière et de la louange contemplative, dans l'unité des esprits.

 

3) Posséder l'Esprit du Seigneur et sa sainte opération

Dans la Règle clarienne, il y a un chapitre sommet qui devient l'épanouissement d'une vie nouvelle. Les anciens moines affirmaient que toute Règle monastique a été conçue et établie en vue de s'adapter aux commençants, dans le but de les aider à réaliser quelque chose de possible, plus modeste et adaptée à leur situation dans leur nouvel élan vers Dieu. La Règle est un humble point de départ qui oriente vers le chemin du bonheur, et qui peu à peu, nous achemine à la conformité au Christ, lui le «Chemin, la Vérité et la Vie.»

Cet approfondissement nous attend au chapitre 10 et nous invite à une grande unité intérieure qui transforme entièrement la personne :  «...qu'elles considèrent qu'elles doivent par-dessus tout désirer avoir l'Esprit du Seigneur et sa sainte opération, le prier toujours d'un coeur pur...»

Ce verset repris de la Règle de François, nous exhorte à nous laisser travailler par l'Esprit du Seigneur qui devient ici le Maître de nos esprits pour les conduire dans la prière continuelle, la patience, l'amour parfait. Ici s'accomplit en notre être donné le mystère pascal de Jésus. L'Esprit Saint nous donne la grâce d'avoir « l'humilité, la patience dans l'épreuve et dans la maladie, et aimer ceux qui nous persécutent, nous réprimandent et nous accusent.»

Car, conclut-elle : «le Seigneur a dit : Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, car le royaume des cieux est à eux. Celui qui persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé.»

Ici, nous marchons et demeurons dans le chemin du Fils bien-aimé, devenant semblables à lui, devenant ses frères et soeurs, participants de sa mission. Là se réalise vraiment, par l'opération de l'Esprit Saint, ce but de la Règle que sainte Claire résume au chapitre 12 : «...observer perpétuellement la pauvreté et l'humilité de notre Seigneur Jésus Christ et de sa très sainte Mère, et le saint Évangile que nous avons fermement promis.»

Le grand don de l'Esprit est promis à ceux et celles qui obéissent à Dieu comme le déclare saint Pierre dans les Actes des Apôtres : Nous sommes témoins, nous, et l'Esprit Saint que Dieu a promis à ceux qui lui obéissent. (Ac 5).

Il reprenait simplement la promesse de Jésus à ceux qui lui seront fidèles :   «L'Esprit Saint que le Père enverra en mon Nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit.» (Jn 14,26)

L'expérience de sainte Claire

Ce parcours évangélique de la Règle, en regard de la vocation franciscaine de prière et de contemplation, peut se compléter par l'admirable figure de sainte Claire elle_même enseignant ses soeurs. Son biographe primitif nous décrit comment elle les formait et les invitait à marcher en ce chemin du mystère de Jésus et de sa Mère. «Elle leur enseignait d'abord à chasser de leur âme toute espèce de tumulte, pour qu'elles deviennent capables de pénétrer et d'habiter les mystères de Dieu seul.» (Vita ch. 22)

Plus encore, ses lettres nous dévoilent un aspect très profond, ecclésial, et complémentaire de la Règle dans le chemin où l'Esprit Saint lui_même nous conduit. Dans sa troisième lettre, en particulier, elle attire ses soeurs à devenir mère du Fils bien-aimé et de son Corps, l'Église, comme Marie l'est toujours. «Attache-toi à sa très douce Mère qui a enfanté un tel Fils que les cieux ne pouvaient contenir. Elle cependant l'a recueilli... et l'a porté. /.../ De même donc, que la glorieuse Vierge l'a porté matériellement, de même, toi aussi, suivant ses traces d'humilité surtout et de pauvreté, tu peux toujours le porter spirituellement, contenant Celui par qui, toi et toutes choses sont contenues.»

Le chemin pascal de cette Règle réalise ainsi, et profondément, ce que la Sainte avait écrit avec assurance à son amie Agnès de Prague, dans cette même 3e lettre :  «Je te considère comme une aide de Dieu même, et celle qui soulève les membres succombants de son corps ineffable.» Et dans sa 4e lettre, espérant ce bonheur d'être conforme à la charité du Christ Jésus, elle lui souhaite comme à nous : «Puisses-tu être sans cesse fortement embrasée de l'ardeur de cette charité.»

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