La liturgie: école de la foi - 6ieme Thème

1) La liturgie : école de la foi qui me transforme
            a) Être convoqué
            b) Une prière en “nous”
            c) La prière comme parole reçue

 2) La liturgie : école d’humanité ou d’humanisation
            Offrir nos corps

3) La liturgie : école de méditation contemplative ou source de la Lectio divina
            Une lecture liturgique
            Une lecture christologique
            Une lecture priante
            Une lecture aujourd’hui

 

La liturgie: source de la vie spirituelle

1) La Liturgie donne la “forme” de la vie spirituelle

            a) Une vie dans la foi
            b) Une vie en Église
            c) Une vie de participation à la vie même de Dieu
            d) Une vie pascale

2) La Liturgie : source d’une vie spirituelle intégrale

         a) Une vie spirituelle qui intègre le temps :
            b) Une vie spirituelle qui intègre la création

         c) Une vie spirituelle qui intègre tout le mystère humain

3) Liturgie et Oraison

 4) Marie et le Peuple de Dieu dans le Mystère de la Liturgie   

 

 La liturgie: école de la foi

            La liturgie est une mystagogie.  La mystagogie chrétienne, dès les premiers temps de l’Église a toujours été considérée comme une expérience qui fait entrer le croyant dans le mystère du Christ et de l’Église.  C’est la pédagogie chrétienne propre à la liturgie.

Voyons trois aspects de cette mystagogie chrétienne en acte dans nos vies de croyants :
1) La liturgie : école de la foi qui me transforme
2) La liturgie : école d’humanité ou d’humanisation
3) La liturgie : école de méditation contemplative ou source de la Lectio divina

 1) La liturgie : école de la foi qui me transforme

            «Ma vie dans la chair, je la vis dans la foi au Christ qui m’a aimé.» (Ga 2,22)   La foi au Christ transforme peu à peu la subjectivité du baptisé en l’appelant à ajuster sa vie sur la vie du Seigneur Christ, plus réelle que la sienne «le Christ qui m’a aimé et s’est livré pour moi».  Nous venons à la liturgie tels que nous sommes, nous y sommes transformés tels que nous devons être.

 a) Être convoqué :

            Participer à la liturgie c’est faire l’expérience d’être convoqué.  L’étymologie grecque du mot “église,  ekklesia, signifie justement “convocation”, Toute célébration est réponse à une convocation divine parfaitement gratuite.  On ne vient pas prier quand on a envie, on y vient le dimanche ou à l’heure de l’Office, appelé par Celui qui nous invite à le rencontrer, et concrètement par un signal sonore invitant celui qui l’entend à se déplacer : «À l’heure de l’Office divin, aussitôt le signal entendu, on quittera tout ce que l’on a dans les mains et l’on se hâtera d’accourir... que rien ne soit préféré à l’Oeuvre de Dieu.» (RB 43) L’amour fervent répond à l’amour de Dieu et cet amour s’exprime dans un comportement corporel : des oreilles qui entendent la cloche, des mains libérés, des pieds empressés.  “Venez...” est un des mots de la liturgie dans ses invitatoires.  Venir c’est se déplacer et le déplacement n’est pas seulement spatial mais intérieur.  Venir c’est renoncer à ses intérêts propres, à ses occupations, à ses affaires pour entrer dans l’affaire de Dieu.

            Le temps chrétien, Heures de l’Office ou Temps de l’année liturgique, est rythmé par ces convocations divines.  Être chrétien c’est ajuster sa vie aux mystères du Christ célébrés au long du temps.  On ne décide pas d’entrer en Carême : «Voici le temps favorable...» Que j’y sois disposé ou non!  Je serai d’autant plus en situation de vivre un carême de conversion.

            L’objectivité de la liturgie sensibilise progressivement le croyant au mystère du Christ en le décentrant de lui-même.  Elle le libère en l’entraînant au-delà de ses sentiments et impressions passagères.

b) Une prière en “nous”
         Le véritable sujet de la Liturgie c’est l’Église, voix de l’Épouse qui s’adresse à son Époux.  La célébration liturgique c’est l’Église en prière.  Les actes du langage liturgique sont toujours en “nous” : «nous te prions... nous t’offrons... nous te rendons grâce car tu nous choisis pour te servir en ta présence...»   C’est à l’intérieur de ce “nous” que chaque “je” est appelé à trouver et à prendre sa place.
            Le “Notre Père” apparaît comme le modèle de la prière chrétienne.  Je ne peux la proférer sans que, prenant position de fils, fille de Dieu, je ne reçoive ma place au milieu d’une multitude de frères et de soeurs.  Ce “nous” est une communion de personnes. 

            Il n’y a pas de spectateurs dans la liturgie chrétienne, nous tous sommes des co-célébrants.  Tous les membres de l’Assemblée sont autant d’acteurs au service de la croissance de la Communauté comme Corps du Christ, structuré par divers ministères qu’exige l’action liturgique : fonctions de président, de lecteur-lectrice, chantre, organiste, choristes...  Parce qu’elle est action commune et concertée, la liturgie demande que chacun, chacune, en s’acquittant de sa fonction, fasse seulement et totalement ce qui lui revient, qu’il le fasse avec compétence et humilité.  Dans la liturgie, je découvre que ce qui glorifie Dieu c’est moins ma ferveur du moment que l’amour en acte, c’est-à-dire qui se donne la peine de construire la communauté.

 c) La prière comme parole reçue
         Le chrétien n’invente pas sa prière.  Convoqué par Dieu, membre du Peuple de Dieu dans l’assemblée liturgique, il expérimente la prière comme parole reçue.  «Comme nous l’avons appris du Seigneur» invite l’introduction au Notre Père, paroles reçues, ce trésor des louanges de l’Église, paroles reçues, les psaumes.  En participant à la liturgie, j’apprends de l’Église ma langue maternelle, celle de mes Pères dans la foi. 
         Un exemple : les psaumes.  Ces psaumes assument au niveau de la foi toute l’expérience humaine, ils sont pour ceux qui les prient comme un miroir les révélant à eux-mêmes; mais parce que les psaumes sont des mots de Dieu pour la prière, ils disent bien souvent des choses qui ne sont pas vraies de nous, mais seulement de Celui qui a dit que les psaumes parlaient de Lui, Jésus (Lc 24).  Grâce aux psaumes, à la vérité de leurs cris et de leurs questions, l’être caché au fond du coeur s’éveille, remue, et, explique Cassien, ces paroles «ne nous font pas l’effet d’être confiées à notre mémoire, mais nous les enfantons du fond de notre coeur comme des sentiments naturels et qui font partie de notre être.» (Conférence X, 11 : De la prière) Le psalmiste me permet de venir à Dieu tel que je suis.  Il m’autorise à prier Dieu en étant en colère, en larmes, dans l’angoisse; il m’autorise à poser à Dieu toutes mes questions.  «Pourquoi dors-tu, Seigneur?...» (Ps 43)

            La psalmodie, comme acte vocal, engageant l’esprit et le corps, devient une psalmothérapie!  Grâce aux psaumes, j’expérimente qu’il y a un passage, de la plainte à la louange, de l’angoisse à la mise au large, de la peur à la confiance.  Ce passage, c’est celui de Jésus en la personne humaine.
            La prière des psaumes me donne aussi, comme disciples de Jésus, de lire dans les psaumes l’annonce et la réalisation de ses mystères, d’y entendre sa voix et sa prière.  Saint Augustin entendait dans le psautier la prière du Christ total, Tête et membres : «Ne dis rien sans Lui, et Lui, ne dira rien sans toi.»

2) La Liturgie : école d’humanité ou d’humanisation

 Offrir nos corps
         Le psaume 39, repris dans la Lettre aux Hébreux,  nous enseigne sur le culte qui plaît à Dieu: «Tu ne voulais ni sacrifice ni oblation mais tu m’as façonné un corps.  Tu n’as agréé ni holocauste ni sacrifice, alors j’ai dit : Voici je viens pour faire, ô Dieu, ta volonté.»
         C’est par l’oblation du corps de Jésus, de son corps écoutant et obéissant que nous sommes sanctifiés, recréés à l’image et à la ressemblance de Dieu.
            Le premier instrument de la liturgie, le seul sacré, le seul nécessaire, c’est le corps de chacun.«Au dernier pas de création, viens faire l’homme eucharistie», chante une hymne de Patrice de la Tour du Pin.  La liturgie est justement cette école d’apprentissage de la personne humaine eucharistique qui fait de son corps «une hostie vivante, sainte, agréable à Dieu» (Rm 12,1) :
            -elle éduque à une certaine manière de se tenir, d’être là dans le corps que je suis,
            -elle éduque à une certaine manière d’être ensemble, de faire corps.

            Quand on aborde la liturgie de façon concrète et pratique, on est d’abord étonné de la multiplicité des postures, des gestes, des déplacements qu’elle propose, et dans leur simplicité même, de la discipline corporelle que ces gestes exigent, une discipline qui engage le corps dans une aventure intérieure.  La liturgie de l’Église s’exprime par ces corps qui marchent pour entrer au choeur, à l’église, porter les offrandes, recevoir la communion; qui se lèvent pour écouter l’Évangile, qui s’assoient pour psalmodier, qui s’inclinent par honneur et révérence à la Trinité sainte; des mains qui se tendent pour recevoir le Corps du Christ; des bouches qui s’ouvrent pour lire la Parole de Dieu, chanter les psaumes, manger et boire le corps et le sang du Christ...   La liturgie de tous ces gestes humains nous apprend que la rencontre avec Dieu se situe au croisement de notre corps et de notre âme.  Chercher à les accomplir consciemment, c’est travailler à harmoniser, à réconcilier l’extérieur et l’intérieur de nous-mêmes, de nous unifier.  Les gestes de Jésus sont l’expression parfaite de son attitude intérieure et les disciples peuvent le reconnaître à un geste qui récapitule toute son existence: «ils le reconnurent à la fraction du pain». (Lc 24)

            Une bonne posture, durant la liturgie, demande souvent discipline personnelle, courage, lutte contre la nonchalance : «Hommes droits, à vous la louange!», s’exclame le ps 32.   L’attitude juste devient un témoignage rendu à l’humanité façonnée par les mains de Dieu.  Il y a toute une éducation des gestes, dans la liturgie, et même une rééducation qui engage bien plus que le corps.  Nos démarches saccadées, nos raideurs parlent et nous trahissent.  Voici ce geste si bienfaisant du signe de la Croix qui ouvre chacune des célébrations.  C’est la Croix qui nous sauve et nous guérit.  «Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche proclamera ta louange» : les premiers mots de la prière chaque matin sortent de notre bouche quand nous traçons sur nos lèvres le signe de la croix.

            Le rituel engage aussi une manière de vivre ensemble faite de courtoisie, de respect mutuel, et aussi de volonté de faire corps.  La liturgie éduque à la politesse et à la vie commune.  Déjà, Cassien précise des recommandations qu’on croirait superflues aujourd’hui : «...lorsqu’on est rassemblé pour la sinaxe, écrit-il, on ne tousse pas, on ne baille pas d’envie de dormir, on ne pousse aucun gémissement ni aucun soupir qui puisse gêner les autres»  (Les Institutions, II,10).  Être attentif à ne pas gêner les autres : voilà une règle d’or qui est à la base de la morale chrétienne! Et qu’il faut compléter aussi par celle-ci : vouloir faire place à l’autre, se rendre sensible à sa présence.  Les attitudes communes que tous les participants doivent observer sont un signe de la communauté et de l’unité de l’assemblée.  «C’est là le sacrifice des chrétiens, que nous qui sommes nombreux nous formions un seul corps dans le Christ», écrivait saint Augustin. (La Cité de Dieu, livre X, 6)

 3) La Liturgie : école de la méditation contemplative, ou source de la lectio divina

            En présentant aux fidèles avec plus de richesse la table de la Parole de Dieu, que ce soit à la Messe ou à l’Office divin, le Concile a chercher à promouvoir «le goût savoureux et vivant de la sainte Écriture».  Laisser la Parole de Dieu nous atteindre au plus intime, à la manière d’une nourriture, pour en nourrir notre vie, c’est bien ce que nous cherchons dans la lectio divina.  Dans la liturgie, l’Église nous fait faire l’apprentissage de cette lecture croyante, contemplative et priante.

 Une lecture liturgique
         -L’Église célèbre comme elle croit.  De fait, dans la liturgie, le livre de la Parole est entouré de la même vénération que le Corps eucharistique de Jésus.  C’est dire que l’Écriture contient des mots qui sont le tabernacle de la Parole vivante et efficace «des mots qui parlent aujourd’hui et nous façonnent» comme le chante une hymne.   Au moment de la lecture de l’Évangile, les fidèles l’accueillent debout par le chant de l’Alleluia, et par les acclamations avant et après la lecture, reconnaissent que c’est le Christ qui leur parle.

 Une lecture christologique
            - Dans la liturgie, la table de la Parole de Dieu est toute préparée.  L’Église a eu le souci d’une lecture concertante des deux Testaments.  Dei Verbum # 16 nous enseigne : «Dieu en effet a sagement disposé les deux Testaments de telle sorte que le Nouveau soit caché dans l’Ancien et que, dans le Nouveau, l’Ancien soit dévoilé.»  Pat là nous est remise la clé d’interprétation de l’Écriture, celle que Jésus lui-même a donné aux disciples d’Emmaüs : toutes les Écritures parlent du Christ et de son mystère pascal.   C’est aussi la lecture christologique des Écritures qui commande le choix de certains livres selon les temps liturgiques, la lecture d’Isaïe durant l’Avent par exemple.

 Une lecture priante
            - La liturgie initie à l’art de cette conversation qu’est la lectio divina : on y apprend à écouter, à accueillir, à retenir cette Parole, en la méditant dans son coeur (c’est le rôle des silences), à transformer la lecture en prière et en contemplation, par le chant du répons ou des psaumes.

 Une lecture “aujourd’hui”
         - C’est aux étapes de la route quotidienne que la Parole de Dieu nous atteint, aujourd’hui, à tel moment, dans telle situation, qu’elle éclaire notre chemin comme une lampe (Ps 118, 105), qu’elle nous arme pour le combat spirituel (Ep 6,17)

(Cette partie s’inspire de l’article : Lex orandi, lex vivendi, rédigé par soeur Étienne Reynaud, abbaye de Pradines, paru dans la revue Liturgie, en 1990.)

 

La Liturgie : source de la vie spirituelle

            La vie spirituelle signifie cette vie nouvelle que le chrétien a reçue au baptême et qui doit se développer toute sa vie jusqu’à la mort.  Cette vie est un dynamisme qui se déploie durant toute notre vie, et ce dynamisme est celui de l’Esprit Saint.  La vie spirituelle, c’est donc bien ce mouvement profond qui jaillit du coeur de la personne humaine habitée et animée par le Souffle divin, lui qui la forme en vue d’une vie participante de celle de Dieu.

1) La Liturgie donne la “forme” de la vie spirituelle

         La Liturgie forme à la vraie vie spirituelle, en ce sens que celle-ci devra toujours être en conformité avec les quatre dimensions du baptême :
-sacrement de la foi
-entrée dans l’Église universelle
- naissance à la vie de Dieu
-participation à la mort et à la résurrection du Christ Jésus.

a) Une vie dans la foi :

            «Au plan théologal, la foi n’est pas une opinion, mais la réponse ...à la révélation de Dieu, dans une Parole, à la fois la plus incarnée et la plus spirituelle qui soit et qui se propose comme une Alliance.»[1]

            L’expérience spirituelle fondamentale est celle du baptême qui est une expérience dans la foi, régime de la foi qui est celui de notre condition terrestre jusqu’à l’instant de notre mort où nous serons appelés à poser l’acte de foi le plus décisif : adhésion de tout notre être au Dieu des vivants et abandon dans la confiance.

            Dans la liturgie de ses oraisons, l’Église considère la foi comme un don qui doit grandir : «Seigneur, nous célébrons de tout notre coeur la naissance de ton Fils: accorde-nous la grâce d’approfondir notre foi en ce mystère et d’y trouver la force d’un meilleur amour.» (Noël, messe de l’aurore).  Presque toutes les oraisons de la Liturgie demandent la grâce, cette grâce qui nous forme à la vie même de Dieu, nous conforme à la vie du Fils, à la sainte volonté du Père.

 b) Une vie en Église

            La vie spirituelle, certes, est éminemment personnelle, puisque c’est chaque personne qui est appelée à avoir une relation vivante avec le Dieu-Père qui en fait son fils et sa fille en son Fils.  Mais le Baptême «est le lien sacramentel d’unité existant entre tous ceux qui en ont été marqués» dit le rituel du Baptême.  La vie spirituelle de chaque baptisé est donc une vie en Église puisque désormais, qu’il en ait conscience ou non, qu’il le vive ou non, il fait partie de l’Église, il est dans l’Église, il est l’Église.  Dans la préface de la fête de la Dédicace des Églises, chaque baptisé est une pierre vivante animée par le Saint Esprit : voilà le fondement de sa vie spirituelle.

c) Une vie de participation à la vie même de Dieu

            Le rituel du Baptême nous situe ainsi : «on invoque la Sainte Trinité sur ceux qui vont être baptisés : marqués de son Nom, ils lui sont consacrés et ils entrent en communion avec le Père, le Fils et le Saint Esprit.»  Une vie spirituelle formée par la liturgie est une vie trinitaire en mouvement qui entraîne le croyant au coeur même de la vie divine.  Une vie spirituelle alimentée par la liturgie est donc bien une communion avec la Sainte Trinité, une participation à sa vie.  Le croyant se laisse de plus en plus transformer par l’Esprit, en laissant cet Esprit agir en lui pour qu’il vive vraiment en fils, en fille de Dieu, en s’ouvrant à cet Esprit pour que toute sa vie devienne une louange à la gloire du Père.

 d) Une vie pascale

            Le Rituel du Baptême nous enseigne encore à ce sujet : «Les baptisés, devenus un seul être avec le Christ par une mort semblable à la sienne, et ensevelis avec lui dans la mort, sont aussi revivifiés en lui et ressuscités en lui.»  Lorsque la liturgie imprègne la vie spirituelle du croyant, celui-ci entre dans le dynamisme pascal qui le fait passer de la mort à la vie.  Or, la mort peut avoir de multiples formes dans la vie d’un chrétien jusqu’au jour où il est affronté à sa mort.

            Par le Baptême, nous passons de la mort du péché à la vie, assure encore le Rituel.  Cette mort du péché continue son oeuvre en nous et notre vie spirituelle est ce passage, par et dans le Christ, d’une expérience de mort à une expérience de vie, par le pardon reçu en Église.  Passant jour après jour de la mort à la vie, greffé sur le Christ mort et ressuscité, le disciple de Jésus ose célébrer l’Eucharistie dans laquelle il proclame sa foi au vainqueur de la mort.   L’Église a le bonheur de chanter au Temps pascal :«Oui, nous te rendons gloire, car sa mort nous affranchit de la mort, et dans le mystère de sa résurrection, chacun de nous est déjà ressuscité.»   Il y a donc un regard pascal qui peut se poser sur le monde.  Regard du moine, de la moniale, qui, dans sa solitude même, rejoint ses frères et soeurs en humanité et implore pour eux la venue de l’Esprit.  Ce regard pascal est sans cesse purifié par la participation à la liturgie.

            Telle est la forme d’une vie spirituelle qui se nourrit sans cesse de la liturgie : une vie dans la foi, une vie en Église, Peuple de Dieu en marche vers la Jérusalem céleste, une vie qui fait participer le croyant à la vie même de Dieu révélé en Jésus Christ, du Dieu-Père qui nous donne l’Esprit, une vie pascale qui est un continuel passage de la mort à la vie jusqu’au jour de notre naissance éternelle.

2) La Liturgie : source d’une vie spirituelle intégrale

         Formée par la liturgie, la vie spirituelle du croyant peut intégrer tout ce qui constitue une vie humaine : c’est en ce sens qu’on peut l’appeler : vie spirituelle intégrale.

 a) Une vie spirituelle qui intègre le temps :

            Un des grands risques de toute vie spirituelle est de vouloir ou fuir le temps ou ne pas lui donner toute son importance.  La liturgie donne au temps toute sa valeur et tout son poids.
            Il y a tout d’abord le fait que la célébration de la totalité du mystère du Christ se déploie dans le temps, au rythme des jours, des semaines, des années (cycle quotidien, hebdomadaire, annuel).  Mais ces cycles propose sans cesse l’unique événement pascal, ce passage par lequel Dieu, dans le Christ, porte à son achèvement la libération de l’humanité.

            Il y a aussi le fait que le temps est une dimension essentielle de toute célébration liturgique: on prend son temps, on sait la valeur du temps.  La liturgie apprend que l’Esprit respecte les rythmes humains.  Durant la célébration eucharistique, la communion arrive au terme d’un processus qui prépare l’assemblée à recevoir le Seigneur sous les symboles du pain et du vin.  Par la liturgie, on apprend que la vie spirituelle doit tenir compte du temps, et l’expérience nous prouve combien nous évoluons durant notre existence.

 b) Une vie spirituelle qui intègre la création

            Un des reproches que l’on fait à celui, celle qui attache beaucoup d’importance à sa vie spirituelle est de s’enfermer dans une expérience qui risque de le séparer du monde et de l’histoire.  La participation à la liturgie est sans doute un des moyens les plus efficaces pour échapper à ce risque puisque sans cesse la création tout entière, une création blessée mais déjà sauvée est sans cesse présente à l’assemblée qui célèbre.
            La création est le premier motif d’action de grâce de toute célébration eucharistique.  La prière eucharistique chrétienne est louange à Dieu qui a créé l’univers pour l’humanité.  Celui qui participe à la liturgie est en étroite communion avec la création et le monde humain car il prie le Père en disant : «Tu as fait l’homme à ton image et tu lui as confié l’univers, afin qu’en te servant, toi son Créateur, il règne sur la création.» (Prière eucharistique IV)

            La liturgie apprend au baptisé que cette rencontre avec Dieu, qui est l’essentiel de sa vie spirituelle, se fait toujours dans et à travers des médiations.  Vouloir évacuer les médiations dans le désir d’une rencontre immédiate avec Dieu, est une tentation permanente de la personne spirituelle.  Mais la liturgie nous redit sans cesse qu’il n’y a qu’un seul Médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus, lui qui est le premier-né avant toute créature, lui en qui tout fut créé.

 c) Une vie spirituelle qui intègre tout le mystère humain

            -La dignité humaine en tant que créature sortie des mains de Dieu est chantée par la liturgie comme une merveille; mais cette créature ayant péché, Dieu l’a sauvée d’une manière plus merveilleuse encore :« Père, toi qui as merveilleusement créé l’homme et plus merveilleusement encore rétabli sa dignité, fais-nous participer à la divinité de ton Fils, puisqu’il a voulu prendre notre humanité.» (Messe du jour de Noël)

              -Créature appelée à la divinisation : Dans la préface de l’Ascension, l’Église proclame :«Le Christ est monté au ciel pour nous rendre participants de sa divinité.»  Beaucoup d’autres textes nous permettent de découvrir que cette divinisation est une participation à la filiation du Fils unique.  De cette filiation découle la fraternité universelle des hommes.

            - Personne communautaire :personne unique et particulière mais appelée à vivre en communion avec Dieu et les autres.  C’est le mystère de l’Église rappelé sans cesse par sa liturgie.  La liturgie est formatrice d’une vie spirituelle qui doit pouvoir exprimer ces deux pôles de la personne.

            - dans un combat spirituel : la personne humaine est sans cesse affrontée au péché, au mystère du mal qui tend sans cesse à la déshumaniser, à lui enlever une part de sa liberté.  Par ce combat notre vie spirituelle communie à tous nos frères humains engagés eux aussi dans une lutte ardente contre toutes les formes du mal qui provoque tant de blessures en eux et entre eux.  Les célébrations liturgiques proclament que le Christ a déjà remporté la victoire et que, par le baptême, nous sommes déjà victorieux en Lui et avec Lui, mais elles disent aussi que cette victoire définitive est encore à venir.  La vie spirituelle sera toujours un combat spirituel qui, grâce à la liturgie, devient un combat éclairé par l’espérance.

 (Sujet inspiré par l’article Liturgie et vie spirituelle, de frère Paul Houix, abbaye de Timadeuc, paru dans la revue Liturgie, novembre 1989.)

Liturgie et Oraison :

            Entrer, demeurer dans le mystère de la Liturgie, c’est comme l’entrée dans l’oraison quotidienne.  Une démarche semblable d’abandon et de confiance en Celui qui nous fait advenir à ce que nous sommes.  Notre vocation divine transforme et entraîne notre vocation humaine qui lui est assujettie depuis toujours comme le dit si bien saint Paul dans sa lettre aux Éphésiens, chapitre 1 :

 1 Moi Paul, Apôtre du Christ Jésus par la volonté de Dieu, je m'adresse à vous, les membres du peuple saint qui êtes à Éphèse, vous les fidèles dans le Christ Jésus. 2 Que la grâce et la paix soient avec vous de la part de Dieu notre Père et de Jésus Christ le Seigneur. 3  Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ. Dans les cieux, il nous a comblés de sa bénédiction spirituelle en Jésus Christ.  En lui, il nous a choisis avant la création du monde, pour que nous soyons, dans l'amour, saints et irréprochables sous son regard. 
Il nous a d'avance destinés à devenir pour lui des fils par Jésus Christ : voilà ce qu'il a voulu dans sa bienveillance,  6   à la louange de sa gloire, de cette grâce dont il nous a comblés en son Fils bien_aimé,  qui nous obtient par son sang la rédemption, le pardon de nos fautes. Elle est inépuisable, la grâce  par laquelle Dieu nous a remplis de sagesse et d'intelligence 9  en nous dévoilant le mystère de sa volonté, de ce qu'il prévoyait dans le Christ pour le moment où les temps seraient accomplis ; dans sa bienveillance, 10  il projetait de saisir l'univers entier, ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre, en réunissant tout sous un seul chef, le Christ. 
11  En lui, Dieu nous a d'avance destinés à devenir son peuple ; car lui, qui réalise tout ce qu'il a décidé,  12  il a voulu que nous soyons ceux qui d'avance avaient espéré dans le Christ, à la louange de sa gloire.  13  Dans le Christ, vous aussi, vous avez écouté la parole de vérité, la Bonne Nouvelle de votre salut ; en lui, devenus des croyants, vous avez reçu la marque de l'Esprit Saint. Et l'Esprit que Dieu avait promis,  14  c'est la première avance qu'il nous a faite sur l'héritage dont nous prendrons possession au jour de la délivrance finale, à la louange de sa gloire. 

                Le témoignage vivant et personnel de la bienheureuse Élisabeth de la Trinité commente cette page de saint Paul, montrant ce lien si nécessaire entre l’oraison et l’état de louange intérieure qui accompagne notre liturgie quotidienne :

            «...pour que je réalise personnellement ce plan divin, voici encore saint Paul qui vient à mon aide et qui va lui-même me tracer un règlement de vie : «Marchez en Jésus Christ, me dit-il, édifiée sur Lui, affermie dans la foi, et croissant de plus en plus en Lui par l’action de grâces.»

            Marchez en Jésus Christ, il me semble que c’est sortir de soi, se perdre de vue, se quitter pour entrer plus profondément en Lui à chaque minute qui passe, si profondément que l’on y soie enraciné, et qu’à tout événement, toute chose, on puisse lancer ce beau défi : Qui me séparera de la charité de Jésus Christ?

            Il veut que je croisse en Jésus Christ par l’action de grâce : c’est que c’est elle que tout doit s’achever!  «Père, je vous rends grâce!»  Voilà ce qui se chantait en l’âme de mon Maître et Il veut en entendre l’écho en la mienne!  Mais il me semble que le “cantique nouveau” qui peut le plus charmer et captiver mon Dieu est celui d’une âme dépouillée, délivrée d’elle-même, en laquelle Il peut refléter tout ce qu’Il est et faire tout ce qu’Il veut.  Cette âme se tient sous sa touche comme une lyre, et tous ses dons sont comme autant de cordes, qui vibrent pour chanter de jour et de nuit la louange de sa gloire.»  (Dernière retraite, 13e oraison)

 

MARIE ET LE PEUPLE DE DIEU
DANS LE MYSTÈRE DE LA LITURGIE

Les grands signes liturgiques de l’Apocalypse

 Apocalypse Chapitre 5 (6-14)

 L’AGNEAU IMMOLÉ

            Et voici ce que j'ai vu encore : en face du Trône, en face des quatre Vivants et des Anciens, il y avait un Agneau ; il se tenait debout, et il était comme immolé ; ses cornes étaient au nombre de sept, ainsi que ses yeux, qui sont les sept esprits de Dieu en mission sur toute la terre.  Il s'avança et reçut le Livre, que lui donna de la main droite celui qui siégeait sur le Trône. 
Quand l'Agneau eut reçu le Livre, les quatre Vivants et les vingt_quatre Anciens se prosternèrent devant lui. Chacun tenait une harpe 9  et des coupes d'or pleines de parfums qui sont les prières des saints. Ils chantaient ce cantique nouveau :
« Tu es digne de recevoir le Livre scellé et de l'ouvrir, car tu as été immolé ; par ton sang, tu as racheté pour Dieu des hommes de toute race, langue, peuple et nation, 10  et tu en as fait pour notre Dieu un royaume de prêtres qui régneront sur la terre. » 
11  Alors, dans ma vision, j'ai entendu la voix d'une multitude d'anges qui entouraient le Trône, les Vivants et les Anciens : ils étaient des millions, des centaines de millions. 12  Ils criaient à pleine voix: « Lui, l'Agneau immolé, il est digne de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et bénédiction. » 
13  Et j'entendis l'acclamation de toutes les créatures au ciel, sur terre, sous terre et sur mer ; tous les êtres qui s'y trouvent proclamaient : « A celui qui siège sur le Trône, et à l'Agneau, bénédiction, honneur, gloire et domination pour les siècles des siècles. » 
14  Et les quatre Vivants disaient : « Amen ! » et les Anciens se prosternèrent pour adorer. 


Apocalypse Chapitre 12

LA FEMME
            1  Un signe grandiose apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. 2  Elle était enceinte et elle criait, torturée par les douleurs de l'enfantement. 
3  Un autre signe apparut dans le ciel : un énorme dragon, rouge feu, avec sept têtes et dix cornes, et sur chaque tête un diadème.  4  Sa queue balayait le tiers des étoiles du ciel, et les précipita sur la terre. Le Dragon se tenait devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l'enfant dès sa naissance.5  Or, la Femme mit au monde un fils, un enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations, les menant avec un sceptre de fer. L'enfant fut enlevé auprès de Dieu et de son Trône,  6  et la Femme s'enfuit au désert, où Dieu lui a préparé une place, pour qu'elle y soit nourrie pendant mille deux cent soixante jours  Il y eut alors un combat dans le ciel : celui de Michel et de ses anges contre le Dragon.  Le Dragon, lui aussi, combattait avec l'aide des siens, mais ils furent les moins forts et perdirent leur place dans le ciel.  9  Oui, il fut rejeté, le grand Dragon, le serpent des origines, celui qu'on nomme Démon et Satan, celui qui égarait le monde entier. Il fut jeté sur la terre, et ses anges avec lui.  10  Alors j'entendis dans le ciel une voix puissante, qui proclamait :
« Voici maintenant le salut, la puissance et la royauté de notre Dieu, et le pouvoir de son Christ !
Car l'accusateur de nos frères a été rejeté, lui qui les accusait jour et nuit devant notre Dieu.        11  Et eux, ils l'ont vaincu par le sang de l'Agneau et le témoignage de leur parole. Dépassant l'amour d'eux_mêmes, ils sont allés jusqu'à la mort.12  Ciel, sois donc dans la joie, ainsi que vous tous qui demeurez aux cieux.

Apocalypse  : Le grand signe avec l'Agneau : la FEMME
                                            Marie ?  ou le Peuple de Dieu?

 Liturgie de Marie :  Méditation «Elle gardait tous ces événements dans son coeur» (Lc)

            Cantique de louange: Magnificat
            -extraits de psaumes, liturgie du Peuple d'Israël
            -Marie? ou Israël? auteure?
            -exprime le mystère pascal de Dieu:
                            «Il s'est penché (abaissé) sur la bassesse de sa servante...»
                            «Il relève Israël son serviteur...»
(Lc)

            Présence au mystère pascal, à la croix près de son Fils,
                    par sa volonté, mère du nouveau peuple de Dieu.

            Au TEMPLE, louant Dieu avec la primitive Église.

 Liturgie du Soir : chant du Cantique de Marie, tous les jours.

 De Eucharistia : Jean-Paul II
Ce passage peut s’appliquer aisément à toute célébration liturgique, celle des Heures ou de la Messe:
            «Vivre dans l'Eucharistie le mémorial de la mort du Christ suppose aussi de recevoir continuellement ce don. Cela signifie prendre chez nous – à l'exemple de Jean – celle qui chaque fois nous est donnée comme Mère. Cela signifie en même temps nous engager à nous conformer au Christ, en nous mettant à l'école de sa Mère et en nous laissant accompagner par elle. Marie est présente, avec l'Église et comme Mère de l'Église, en chacune de nos Célébrations eucharistiques. Si Église et Eucharistie constituent un binôme inséparable, il faut en dire autant du binôme Marie et Eucharistie. C'est pourquoi aussi la mémoire de Marie dans la Célébration eucharistique se fait de manière unanime, depuis l'antiquité, dans les Églises d'Orient et d'Occident.
            Dans l'Eucharistie, l'Église s'unit pleinement au Christ et à son sacrifice, faisant sien l'esprit de Marie. C'est une vérité que l'on peut approfondir en relisant le Magnificat dans une perspective eucharistique. En effet, comme le cantique de Marie, l'Eucharistie est avant tout une louange et une action de grâce. Quand Marie s'exclame: « Mon âme exalte le Seigneur et mon esprit exulte en Dieu mon Sauveur », Jésus est présent en son sein. Elle loue le Père « pour » Jésus, mais elle le loue aussi « en » Jésus et « avec » Jésus. Telle est précisément la véritable « attitude eucharistique ».
            En même temps, Marie fait mémoire des merveilles opérées par Dieu dans l'histoire du salut,
selon la promesse faites à nos pères (cf. Lc 1, 55), et elle annonce la merveille qui les dépasse toutes, l'Incarnation rédemptrice. Enfin, dans le Magnificat est présente la tension eschatologique de l'Eucharistie. Chaque fois que le Fils de Dieu se présente à nous dans la « pauvreté » des signes sacramentels, pain et vin, est semé dans le monde le germe de l'histoire nouvelle dans laquelle les puissants sont « renversés de leurs trônes » et les humbles sont « élevés » (cf. Lc 1, 52). Marie chante les « cieux nouveaux » et la « terre nouvelle » qui, dans l'Eucharistie, trouvent leur anticipation et en un sens leur « dessein » programmé. Si le Magnificat exprime la spiritualité de Marie, rien ne nous aide à vivre le mystère eucharistique autant que cette spiritualité. L'Eucharistie nous est donnée pour que notre vie, comme celle de Marie, soit tout entière un Magnificat!»

 Et à la fin du document :
            «Mettons_nous surtout à l'écoute de la très sainte Vierge Marie en qui, plus qu'en quiconque, le Mystère de l'Eucharistie resplendit comme mystère lumineux. En nous tournant vers elle, nous connaissons la force transformante de l'Eucharistie. En elle, nous voyons le monde renouvelé dans l'amour. En la contemplant, elle qui est montée au Ciel avec son corps et son âme, nous découvrons quelque chose des « cieux nouveaux » et de la « terre nouvelle » qui s'ouvriront à nos yeux avec le retour du Christ. L'Eucharistie en est ici_ bas le gage et d'une certaine manière l'anticipation:     « Veni, Domine Iesu! » (Ap 22, 20).»

Femmes au désert (Apocalypse) Nous continuons la mission féconde de Marie.

 Pouvoir de la Liturgie, prière de l'Église, de nous unifier dans le Cantique de Marie:

Notre communauté, image de l'Église, comme Marie, servante du Seigneur.
Notre communauté, l'Épouse suivant l'AGNEAU partout où il va... (Apoc.)

  • [1] François Bousquet, La foi chrétienne dans sa spécificité, la Maison-Dieu # 174 (1988

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