Introduction générale

1) COURT SURVOL HISTORIQUE DE LA VIE DE CLAIRE D'ASSISE

                Claire naît à Assise, ville ombrienne d'Italie, en 1193. La date reste incertaine (entre 1193-1194). Femme du Moyen-Âge, elle est issue d'une famille noble, fille de Favarone Offreduccio et d'Ortolana, sa mère. Une annonce prophétique détermine son nom dès avant sa naissance. Deux témoins, à l'occasion du Procès de canonisation, rapportent les propos mêmes de Claire et ceux de sa mère à ce sujet. Soeur Philippa, l'une des compagnes de Claire au couvent de St_Damien,«rapporta une chose que madame Claire avait raconté aux soeurs: sa mère, à l'époque où elle était enceinte d'elle, était allée un jour à l'église et, se tenant devant la croix, priait Dieu avec ferveur de lui venir en aide aux moments difficiles de la maternité. Alors elle entendit une voix qui lui disait: «Tu enfanteras une lumière qui illuminera puissamment le monde» (Pr III,28). D'après soeur Cécile, c'est Ortolana elle_même qui raconte le fait, après son entrée au même monastère que sa fille (Pr VI, 12).

Voici, en survol, l'itinéraire humain et spirituel qui marquera la personnalité de Claire d'Assise.

                Cette femme a été très connue de ses proches. Ainsi nous pouvons suivre son enfance et sa jeunesse. Le témoignage de dame Bona, amie de sa mère, et vivant dans la même maison que la jeune Claire, peut nous la décrire dans ses gestes: «Claire faisait porter aux pauvres des nourritures qu'elle était censée manger elle-même; le témoin atteste les avoir portées plusieurs fois... ; et dans la ferveur de son âme, elle cherchait toujours à servir Dieu et à lui plaire» (Pr VII,1-2).
            Monsieur Rainier, parent de Claire par alliance, affirme lui aussi que la jeune fille «jeûnait, priait, faisait l'aumône volontiers autant qu'elle pouvait» (Pr XVIII,3).
            Soeur Pacifica était soeur de dame Bona et grande amie de Claire, avec qui elle partagera très tôt la même vocation. Dans son témoignage, elle résume d'une façon très significative ce qui sera le germe de la vocation de Claire et son lien avec François: «Claire aimait beaucoup les pauvres» (Pr I,3).

                Dès à présent, nous percevons deux traits de la personnalité de Claire: son attrait vers la pauvreté et sa grande capacité d'aimer, de compatir et d'entraîner ses amis sur ce chemin.

                L'exemple de sa mère, dame très pieuse et secourable aux démunies, sera stimulant pour elle. Mais plus encore, l'exemple de François, nouvellement converti, sera la circonstance qui provoquera sa vocation en centrant sa vie sur Dieu. Il semble que la jeune Claire ait entendu et vu François, pour une première fois, vers l'âge de 13-14 ans. Celui-ci a 26 ans. Il prêche à l'église de St-Georges, après avoir quitté définitivement l'avenir de riche bourgeois qui s'offrait à lui. Devenu pauvre entre les pauvres, par choix, il est décidé à suivre particulièrement le Christ dans son mystère de pauvreté. Son comportement suscite un profond revirement chez la jeune auditrice: «Claire, ayant appris comment saint François avait choisi la voie de la pauvreté, résolut en son coeur de l'imiter», nous rapporte Jean de Ventura, un homme d'armes qui vivait dans la maison de son père (Pr XX,6).

                Dès l'âge de 18 ans, Claire, souvent harcelée par ses parents et ses amis qui désirent la voir contracter un mariage selon les visées humaines de son rang social, et ne pouvant les convaincre de l'attrait intérieur qui l'anime vers le Christ, s'enfuit secrètement, de nuit, de la riche demeure familiale. C'est le soir du dimanche des Rameaux 1212, début de la Semaine Sainte. Il semble qu'elle ait eu l'accord de l'évêque Guido, d'Assise, car François, diacre à cette époque, reçoit aussitôt sa consécration à Dieu, selon la Forme de vie que lui-même a reçue de Dieu. Il écrivait dans son Testament: «Après que le Seigneur m'eut donné des frères, personne ne me montrait ce que je devais faire, mais le Très-Haut lui-même me révéla que je devais vivre selon la forme du saint Évangile.»1
                Après quelques hésitations sur un lieu approprié où sa jeune disciple pourrait désormais vivre, François ne tarde pas à l'installer définitivement à la petite église San Damiano, une dépendance de l'évêché d'Assise, située aux environs de la ville, qu'il avait réparée lui-même de ses mains, au début de sa conversion pour Dieu. Là même, en cet endroit, lorsqu'il n'avait pas encore de frères (1206), il avait prophétisé, animé par une grande allégresse spirituelle, l'avenir et la mission de cette nouvelle communauté dont Claire est maintenant la première "petite plante". Claire rappellera cet incident dans son Testament ainsi que les paroles du saint: «Venez, criait-il à quelques pauvres qui vivaient tout près de cette église, venez et aidez-moi au chantier du monastère de San Damiano, parce qu'il y aura là des dames dont la vie renommée et la sainte conduite glorifieront notre Père céleste dans toute sa sainte Église» (Test 14 ). Cette deuxième prophétie, au cours de la vie de Claire, annonce l'origine sociale et ecclésiale de l'Ordre des Clarisses, que François aimait nommer au début: "les Pauvres Dames".

                Plusieurs compagnes, attirées par l'exemple de Claire, viennent la rejoindre, dont sa jeune soeur Agnès, puis Pacifica, son amie plus âgée.

                En expérimentant humblement les débuts de cette vie pauvre, Claire ne tarde pas à se rendre compte qu'il lui faut une assurance venue du Pape lui-même, Innocent III à cette époque, si elle veut continuer à suivre concrètement le Christ Pauvre. En effet, les moniales, en ces temps-là, devaient avoir des biens et des revenus stables pour subvenir à leurs besoins quotidiens et se protéger. Claire demande donc, comme tout monastère nouvellement fondé, un privilège d'existence. Le Privilège qu'elle requiert cependant apparaît tout nouveau: le Privilège de la Pauvreté, qui garantissait au Soeurs Pauvres de Saint-Damien «le droit de vivre sans propriétés et sans revenus». Dès 1216, donc à peine quatre ans après la fondation, le Pape Innocent III le lui accorde «tout en riant bien fort», nous rapporte le biographe primitif (Vie 8,14). Ce privilège sera la base de la Forme de vie des Soeurs pauvres, et restera sans cesse la référence pour toute réforme ultérieure, jusqu'à nos jours.

                En 1224, Claire, à 30 ans, affaiblie par des austérités excessives, devient malade. Elle le restera jusqu'à sa mort. Le 3 octobre 1226, elle perd son ami François qui l'avait inspirée et soutenue jusqu'ici dans sa vocation.
                À partir de cette date (1226) Claire ne cessera d'approfondir d'une façon tout à fait remarquable le charisme de vie spirituelle et contemplative qui lui est propre et qui inspirera aussi la famille franciscaine. Ses lettres rejoindront Agnès de Prague, une princesse de Bohème, qui deviendra elle aussi Soeur pauvre et fondera un monastère à Prague, en 1234. La correspondance de Claire exprimera une grande et profonde amitié entre ces deux femmes, mais aussi, en s'échelonnant sur une période de quinze ans, nous manifestera l'évolution intérieure et spirituelle du Privilège de la Pauvreté concrètement vécue par elle et ses soeurs.

                L'abbesse de Saint-Damien devait pourtant être constamment vigilante, persévérante, pour demander et redemander à chaque nouveau Pape, la possibilité de vivre ce Privilège qui n'était pas du tout évident pour eux. Cette situation difficile a été l'occasion principale pour Claire, - comme pour François d'ailleurs - de laisser grandir en elle sa confiance totale en Dieu, ce «Dieu pauvre» «... qui, pour nous, s'est fait le pauvre, la voie, la vérité, la vie» (Test 44; Priv. 3).

                En septembre 1240, la prière de Claire et de ses soeurs écarte les Sarrasins, à la solde de l'empereur d'Allemagne, qui envahissaient la ville et même les lieux du monastère de Saint_Damien. Et de même, en l'année1242, sa prière obtient de nouveau la libération d'Assise que l'empereur d'Allemagne menaçait de ravager.

                Claire meurt le 11 août 1253, un lundi à l'aube. Trois jours auparavant, après une longue période de six années d'inquiétude au sujet de l'avenir de sa Forme de vie, elle recevait, le 9 août, l'approbation définitive de sa règle contenant l'esprit du Privilège de la pauvreté. Cette dernière "Forme de vie", elle l'avait rédigée comme le fruit mûr de quarante années d'expérience. Le pape Innocent IV la lui accordait volontiers, en la réservant, cependant, pour le seul monastère de Saint-Damien.

                Claire fut canonisée deux ans après sa mort, par le Pape Alexandre IV, celui-là même qui l'avait aidée dans sa dernière requête pour obtenir l'approbation de sa règle. Une centaine de monastères, la plupart en Italie, mais aussi en France, en Espagne et dans les pays slaves, suivaient l'influence de sa Forme de vie, mais cinq communautés seulement avaient pu obtenir le Privilège de Pauvreté tel que voulu et vécu par Claire et ses premières soeurs pauvres.

2) LES LIENS ENTRE CLAIRE ET FRANÇOIS D'ASSISE

                Ces deux saints ont vécu des liens d'amitié tout à fait privilégiés. Tous les deux de la même époque, de la même ville, Claire était cependant de onze années plus jeune d'âge. Un monde social aussi les séparait: Claire, de noble naissance; François, issu d'un milieu bourgeois, riche et en pleine lutte de pouvoir avec la noblesse d'alors. Beaucoup de guerres intestines et de provocations entre ces deux classes sociales.

                Voyons brièvement d'abord comment Claire perçoit François dans ses écrits et dans ses propos recueillis lors du Procès, d'après les souvenirs de ses soeurs.

Les Sources:

1)             Le Testament de Claire:

                Claire a reçu sa vocation par l'intermédiaire de François; et celui-ci, dès les débuts de sa vocation, prévoyait déjà la présence de ses soeurs, avant même d'avoir des frères (Test 12-14). C'est la base, le fondement de leur amitié spirituelle. Claire rappelle elle-même dans son Testament, à la fin de sa vie: « ... Le Très-Haut Père céleste a daigné, par sa miséricorde et par sa grâce, éclairer mon coeur pour qu'à l'exemple et selon l'enseignement de notre très bienheureux père François, je fasse pénitence» (Test 24). Remarquons comment Claire, en cet écrit, approprie la personne de François pour elle et pour ses soeurs: «notre très bienheureux père». François, ici, est pour elle et ses soeurs un "père spirituel", celui qui leur a ouvert le charisme de leur vocation ecclésiale. Tout l'écrit de son Testament l'atteste.

2)             Les témoins du Procès et de la Vie de Claire d'Assise :

                En fait, très tôt, dès l'éveil de leur vocation respective, Claire et François ont été attirés mystérieusement l'un vers l'autre. En revoyant brièvement ces étapes du début, saisissons au passage la profondeur chrétienne rendant plus humaine encore la réalité de cette merveilleuse amitié.

                La Vie primitive de Claire rapporte que «François, impressionné par la réputation de cette jeune fille remplie de grâce, désirait la voir et lui parler...; il voulait la gagner à Jésus Christ, son Seigneur» (Vie 5). Béatrice, la jeune soeur de Claire et sa compagne de vie, ajoute: «Il alla plusieurs fois à elle, lui adressant de saintes paroles, si bien qu'à sa prédication, elle renonça à toutes choses de ce monde»(Pr XII,2).

                De son côté..., «Claire entendit parler de François...; elle eut bientôt le désir de le voir et de l'entendre. Il lui rendit visite et elle vint souvent le voir» (Vie 5).

François et Claire sont accompagnés lorsqu'ils se rencontrent. Frère Philippe et dame Bona sont donc les premiers témoins des communications entre eux. Dame Bona précise qu'elle «accompagna souvent Claire lorsqu'elle allait parler avec François, ce que toutes deux faisaient en secret pour n'être pas surprises par les parents. François l'exhortait à se donner toute à Jésus Christ et frère Philippe parlait de même. Et Claire les écoutait volontiers et acquiesçait à toutes leurs paroles» (Pr XVII, 3).

Une féconde amitié :

                Tout au long de leur vie pour Dieu, les deux saints amis se sont soutenus mutuellement dans la même vocation. Leur humilité très profonde leur faisait éprouver une grande admiration l'un pour l'autre. Cette humilité explique en grande partie les expressions de Claire qui aiment souligner sa soumission à la paternité spirituelle de François, cela surtout dans son testament.

                Claire associe souvent François aux grâces attachées à sa vocation: c'est lui le Père, leplanteur, le fondateur, la colonne, le soutien, le guide après Dieu, dans le service du Christ (Testament). François répond à cette confiance par une tendresse et une sollicitude très fidèle, attentive, jusqu'à la fin de sa vie, comme Claire l'atteste elle-même dans sa Règle et son Testament, en rapportant le petit écrit où François s'engage vis-à-vis d'elle et de ses soeurs: «Je veux et je promets d'avoir toujours par moi_même et.par mes frères, un soin affectueux et une sollicitude spéciale pour vous comme pour eux.» Et la sainte ajoute: «Ce qu'il accomplit soigneusement tant qu'il vécut, et voulut que soit toujours accompli par ses frères. » (RCl 6,4-5; Test 29.49)

                François a reçu tout autant de Claire. Les récits de ses premiers biographes rapportent les circonstances de la confirmation de son appel à la mission et à la prédication. Son dilemme le faisant hésiter entre l'attrait pour la prière contemplative ou le travail de la prédication itinérante, trouve enfin une solution dans le soutien de la prière de cette "soeur chrétienne" qu'était Claire pour lui.2

                À la fin de sa vie, souffrant d'un profond désarroi devant l'évolution trop rapide de son Ordre, François retrouve la paix à l'ombre du petit couvent de Saint-Damien où il va se reposer et bénéficier de l'appui fidèle de la présence de Claire et de ses soeurs avant le grand passage de sa "soeur la Mort corporelle".3

                Claire admire François et s'en inspire. François vénère Claire comme une dame, mais il l'aime comme une soeur spirituelle, celle qui incarne la figure de la «petite pauvre vierge de Judée», la vierge Marie qu'il dénomme, comme Claire et ses soeurs, «épouses de l'Esprit Saint». 4

                Dans les récits primitifs, cette amitié sera sans cesse rappelée par des récits symboliques voulant signifier leur affection mutuelle dans une mission commune, mais plus encore par la comparaison avec le Christ, nouvel Adam, et Marie, nouvelle Ève, donnant le miroir, l'exemple de la parfaite humanité:

                «Si les hommes doivent imiter ceux de leur sexe qui, tout récemment (en François) se sont mis à l'école du Verbe incarné, que les femmes, de leur côté, marchent sur les traces de Claire, elle-même imitatrice de la Mère de Dieu, et que Dieu a donnée récemment pour modèle à toutes les femmes.» 5

Une "histoire divine" :

                Ce constat chrétien de leur union spirituelle a eu un profond écho chez le Pape Jean-Paul II lorsqu'en 1982, à l'occasion d'un passage à Assise, il s'écriait: «À notre époque, il est nécessaire de redécouvrir l'histoire divine de François et de Claire. /... / Il est difficile de séparer les noms de François et de Claire... Entre eux s'est établi un lien profond..., qui ne peut être compris qu'à partir des critères de la spiritualité franciscaine, chrétienne, évangélique et non avec des critères humains. Mais c'est aussi une réalité de cette terre, de cette cité, de cette Église. Tout a pris corps ici.
                «Dans la tradition vivante de l'Église, du christianisme, de l'humanité, il ne reste pas seulement le récit de leur vie. Il reste la manière dont François voyait sa soeur; la manière dont lui-même épousa le Christ; comment il se voyait lui-même à l'image de Claire, épouse mystique du Christ, et comment il façonnait à cette image sa propre sainteté. À l'image de la sainteté de cette authentique épouse du Christ, il découvrait l'image de la très parfaite épouse de l'Esprit Saint, Marie, la très sainte. C'est une histoire divine qu'il nous faut contempler dans la lumière de Dieu, dans la prière. Cette histoire divine a certainement exercé une grande influence dans la vie de l'Église et dans le développement de la spiritualité chrétienne.» 6

3) LES ÉCRITS DE CLAIRE D'ASSISE

                Comme écrivain spirituel, Claire a peu rédigé, en comparaison avec François. Elle nous laisse cinq lettres, une Règle de vie, son Testament, sa dernière Bénédiction. Et voilà le tour d'horizon! Tous ses écrits se datent après la mort de François. Claire exprime par eux la pleine maturité de sa vie spirituelle et du charisme propre à l'Ordre dont elle est considérée comme la Mère. L'expression écrite se situe entre 1234 et 1253. Plus encore, les derniers écrits (4e lettre, testament, règle et bénédiction) manifestent davantage l'autorité de ce charisme devenu ecclésial. Claire est aussi l'une des rares figures féminines de cette époque qui nous aient laissé des textes écrits.

Description brève des écrits:

1)        Les lettres
                Son style propre se révèle mieux dans les lettres. Sa correspondance demeure le lieu le mieux apparenté pour exprimer sa voie spirituelle par les élans contemplatifs et les conseils qu'elle communique volontiers à sa disciple.

                Plusieurs auteurs sérieux ont examiné ce style des lettres qui nous sont parvenues en langue latine. Ils nous affirment entre autres que ces missives sont empreintes d'une élégance et d'une dignité qu'on retrouve moins dans les écrits plus législatifs. Sachant que cette correspondance s'est échelonnée sur une période de dix-neuf ans, l'uniformité du style et des expressions nous saisit immédiatement: c'est un chef d'oeuvre, un cri du coeur, un chant nuptial, une hymne de victoire. La sensibilité humaine et spirituelle de Claire d'Assise s'y perçoit entièrement, telle qu'on pouvait la dévoiler à cette époque.7

                Quatre lettres s'adressent à Agnès, cette princesse de Bohème qui avait renoncé à un mariage politique considéré comme le plus important à cette époque. Le puissant empereur d'Allemagne, Frédéric II, la requérait comme épouse, voulant fixer par elle des alliances avec son pays. Agnès fonde un monastère à Prague avec les biens de sa famille, mais, peu à peu, elle apprend l'orientation du Privilège de la Pauvreté obtenue par la communauté de Saint-Damien. Elle désire elle aussi, à cet exemple, entrer dans ce grand mouvement spirituel. Claire l'accompagne et lui répond. C'est le thème principal des 4 lettres que Claire lui fera parvenir avec sa conviction habituelle, profonde et stimulante. Les trois premières lettres sont envoyées entre 1234-1238. Puis, un espace de quinze ans les sépare de la dernière lettre écrite quelques mois avant le décès de Claire. Cette dernière missive est un véritable chant d'amitié, plein de chaleureuse confiance et transparence.

                La 5e lettre est adressée à Ermentrude, de Bruges, donc peut-être à une flamande. Celle-ci est recluse avec quelques compagnes. Elle manifeste à Claire son intention de fonder un monastère à Bruges, selon l'exemple de Saint-Damien. Claire lui communique ses avis et son appui en deux lettres qui nous sont parvenues résumées dans un seul texte.

2)         Les écrits législatifs:

                La Règle: Claire d'Assise est, d'après les historiens, la première femme qui rédige une Règle qu'elle dénomme prudemment : "Forme de vie". Cette règle reflète la terminologie légale de son temps. La fondatrice emprunte aussi des passages complets de la Règle de François, celle, définitive, de 1223. Mais dans cette législation, on reconnaît souvent et assez aisément la touche particulière qu'elle veut y insérer en s'appuyant sur les meilleures connaissances religieuses de ce temps qu'elle a reçues, sans doute par l'intermédiaire de canonistes, comme le cardinal Hugolin, ou le cardinal Raynald, protecteurs de l'Ordre. Claire applique ces données avec liberté et avec un grand sens de l'adaptation ultérieure, par exemple, au sujet de l'autorité, de la co_responsabilité, de la démocratisation, de la miséricorde mutuelle. Ceci constitue une nouveauté dans l'histoire religieuse et nous inspire encore aujourd'hui. Cette règle est relativement courte: douze chapitres. L'essentiel d'une forme de vie concrétise ainsi l'Évangile vécu ensemble, par des femmes, dans une vie contemplative. Ce qu'elle signale au tout début: «La forme de vie de l'Ordre des soeurs pauvres... est celle-ci: observer le saint Évangile de notre Seigneur Jésus Christ» ( RCI 1,1-2).

                Le Testament: Cet écrit se présente sous la forme d'une hymne d'action de grâce au Père des miséricordes pour le grand don de la vocation à la suite du Christ pauvre et humble. Écrit de circonstance: Claire éprouve la nécessité de préciser le pivot central de sa forme de vie, mis en danger par l'intervention du Pape Innocent IV, en 1247. Celui-ci, dans une nouvelle règle imposée aux monastères dans le but d'unifier leur législation, ne tient plus compte du Privilège de Pauvreté. Le Testament de Claire vient appuyer sa forme de vie qu'elle élaborait elle-même à ce moment. Par des réflexions et des souvenirs autobiographiques, Claire insiste et prévoit l'avenir en donnant à ses soeurs le roc solide de leur charisme initial: la pauvreté-humilité et la charité fraternelle, à l'exemple du Christ. Son testament s'apparente beaucoup aux derniers adieux du Seigneur en Jn 15-17.

                La Bénédiction a sans doute été écrite d'abord à Agnès, puis adaptée à ses soeurs aux derniers jours de sa vie. (Mais l'inverse peut être aussi plausible). Ce texte se présente très riche de réminiscences bibliques, et assez développé, si on le compare à celui de François. La bénédiction de Claire se rattache à son testament qu'elle prolonge d'une façon liturgique.

                Tous ses écrits sont traversés par une grande unité de pensée. Les genres divers qu'elle utilise, les nombreux textes d'Écriture qu'elle remémore et sur lesquels elle s'appuie, sont là pour mieux manifester une vocation d'Église reçue en dépôt, par l'illumination du Père céleste, et qui est de «toujours s'appliquer à imiter la voie de sainte simplicité-humilité-pauvreté enseignée par le Christ et le bienheureux père François» (Test 57).


Notes

1. Testament de François, 14 (SC 285)
2. Legenda Major 12,1-2 (Vie primitive de saint François, par saint Bonaventure).
3. Celano: Vita 11, 212 et notes.
4. RC 1 6,4; Prière de l'Office de la Passion (SC 285) p.291
5. Lettre-préface de la Vie de sainte Claire (Celano)
6. Propos du pape Jean-Paul II, cités dans la Lettre des Ministres généraux, pour le 8e Centenaire de la Naissance de sainte Claire d'Assise, p.5-6
7. D'après "Réflexions dans le miroir: les images du Christ dans la vie spirituelle de sainte Claire d'Assise", thèse présentée par frère Brian Purfield, ofm, à la Faculté du Département de l'Institut franciscain de l'Université Saint_Bonaventure, N.Y., (1989). Traduction française : Reflets dans le Miroir, Éditions franciscaines, Paris,1993.


 

HISTORIQUE DES ÉCRITS ET DOCUMENTS
CONCERNANT CLAIRE D'ASSISE

 

1212:                   Petite formule de vie donnée par François à Claire et ses compagnes, lors de la fondation.
                                (RCl 6,3-4)
                                Ce court texte: «Puisque par inspiration divine...»
                                accompagnait sans doute des extraits d'évangile.

1215-16:             Privilège de la Pauvreté, accordé par Innocent III. Claire l'a certainement inspiré.
                                Base de la forme de vie des Soeurs Pauvres

1218-19:             Constitutions du Cardinal Hugolin.

1223:                  2e Règle de François, inspirant la forme de vie des Soeurs Pauvres.
                                Deux écrits-testaments de François à Claire et ses soeurs.
                                (RCI 6: SC 325, p.346)

1228:                  Renouvellement du Privilège de la Pauvreté par Grégoire IX

1229:                  Éloge des Pauvres Dames, dans l Celano 8,19-20.

1230:                  Lettre d'Agnès soeur de Claire, à celle-ci: du monastère de Monticelli.
                                Elle annonce qu'elle a obtenu le Privilège de la Pauvreté pour ce monastère.

1234:                  1ère Lettre de Claire à Agnès de Prague. Avant la Pentecôte.
                                Avant l'entrée d'Agnès au monastère qu'elle avait fondé elle-même à Prague.

Entre 1234-38: 2e Lettre de Claire à Agnès. Durant le généralat d'Élie (1232-39)

Début 1238:     3e Lettre de Claire à Agnès, au moment où Agnès demande au pape Grégoire IX
                                une nouvelle règle semblable à celle observée à Saint-Damien. Requête refusée.

1247:                  Règle d'Innocent IV

Début 1253:      4e Lettre de Claire à Agnès.

Entre 1247-53: Testament de sainte Claire et Bénédiction.

                          Règle de sainte Claire approuvée le 9 août 1253, pour le seul monastère de St-Damien.
                          Claire utilise, comme bases législatives, la règle de saint François (1223),
                          Les constitutions du cardinal Hugolin et la règle d'Innocent IV (1247),

                          Lettre à Ermentrude de Bruges: vers la fin de la vie de Claire, sans date.

1253:                  Procès de canonisation de Claire d'Assise, 24 novembre.

1255:                  Bulle de canonisation de sainte Claire : 15 août,

Entre 1255-60: Vie primitive, se basant sur le Procès et la Bulle,
                                ainsi que les témoignages des compagnons de François et des soeurs de sainte Claire.

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