Le commencement
DEUXIÈME PARTIE
Le chemin spirituel de sainte Claire
LES GRANDES ÉTAPES DU CHEMINEMENT SPIRITUEL d'après la vie et les écrits de sainte Claire.
I) LE "COMMENCEMENT"
«Regarde toujours ton commencement...» (2e Lettre)
A) LE "COMMENCEMENT" DE LA VOCATION À LA SUITE DU CHRIST
1) La victoire évangélique de la conversion
2) Le désir de suivre le Christ pauvre et humble.
3) L'exemple de François.
4) Le noyau inspirateur:
. la "formule de vie", donnée par François
. le Privilège de la Pauvreté, accordée par l'Église.
5) Voie de sainte simplicité, humilité, pauvreté...
. S'offrir comme «hostie sainte et agréable à Dieu».
. Le début du Miroir: la simplicité de Dieu.
6) L'échange.
B) ATTITUDES qui favorisent ce "BON COMMENCEMENT"
1) «Chasser le tumulte».
2) Discrétion dans l'effort.
3) Joie spirituelle.
II - LES GRANDES ÉTAPES DU CHEMINEMENT SPIRITUEL
D'APRÈS LA VIE ET LES ÉCRITS DE SAINTE CLAIRE.
« Pèlerines et étrangères en ce monde... » (RCI 8)
Plusieurs chemins s'offrent à l'humanité pour aller vers Dieu, mais celui du "saint Évangile" est le plus parfait. Jésus lui-même est ce "CHEMIN". (Jn 14,6) Le Seigneur appelle et attire à le suivre par ses enseignements, en particulier ceux qui nous rendent semblables à lui, à ce qu'il a vécu. Il nous confie cependant que cette voie est "resserrée", difficile, et que "peu y entrent" (Mt 7,13-14). La sainte d'Assise, après l'expérience de son parcours intérieur, constatera la vérité de cette parole du Maître: «Parce que resserrés sont la voie et le sentier et qu'étroite est la porte par laquelle on va et on entre dans la Vie, peu nombreux sont ceux qui marchent et entrent par elle » (Test 71).
Au cœur de sa Forme de vie, Claire nous transmet un petit écrit de François lui assurant que leur manière de vivre les fait entrer dans la "perfection de l'Évangile": «Par inspiration divine, vous vous êtes faites filles et servantes du souverain Roi, le Père céleste, et vous avez épousé l'Esprit Saint en choisissant de vivre selon la perfection du saint Évangile» (RCl 6).
L'entrée dans la communion intra divine voilà où conduit le chemin de l'Évangile, et particulièrement le chemin du Fils bien-aimé. L'humble fondatrice reconnaît ce message et cette foi de François comme le don de sa vocation et celle de ses sœurs, la VOIE qui devient sa forme de vie, qui relance sans cesse son pèlerinage vers Dieu. C'est un chemin parfait de filiation divine.
Le chemin spirituel de Claire:
En ce chemin de filiation, le Père nous attire de bien des manières en vue de la construction du Corps dont le Christ est la Tête, l'Église.
Saint Paul reprendra cette vision en nous montrant mystérieusement l'image du Corps du Christ dont nous sommes les membres "chacun pour sa part" (Ep 4,16). C'est donc que chacun porte, selon le don reçu, l'Église qui se construit vers la Tête, ce Fils bien-aimé. Claire situe ainsi sa famille religieuse dans le grand Corps ecclésial: «Son petit troupeau que le Seigneur Père a engendré dans sa sainte Église, par la parole et l'exemple de notre très bienheureux père saint François, pour suivre la pauvreté et l'humilité de son Fils bien-aimé et de la glorieuse Vierge sa Mère» (Test 46).
Claire a surtout privilégié la Voie de l'amour parfait du Christ qui se donne à nous par le chemin de son abaissement et de son dépouillement. L'héritage ecclésial des Pères, de saint Augustin et de saint Bernard en particulier, qui avaient enrichi de leurs enseignements cette voie de l'amour, trouve un écho en elle à cause de sa culture chrétienne et religieuse reçue tout au long de sa vie; mais elle assume, d'une façon heureuse, cette culture dans la grande vision spirituelle du charisme de François, son vrai père spirituel «qui l'a engendrée» (Test 46), elle et ses filles. Elle précise à plusieurs reprises, dans son Testament, cette Voie qui est la sienne: «Le Fils de Dieu s'est fait pour nous la VOIE que par la parole et par l'exemple nous a montrée et enseignée notre très bienheureux père François, son vrai amant et imitateur» (Test 5).
Cette VOIE excellente de l'amour que Claire a poursuivi, c'est le chemin que proposait déjà l'apôtre Paul. C'est la voie directe et parfaite, dans sa simplicité intérieure, que l'exemple même de Jésus propose au disciple aimant: «Oui, cherchez à imiter Dieu comme des enfants bien-aimés, et suivez la VOIE de l'amour, à l'exemple du Christ qui vous a aimés et s'est livré pour nous, s'offrant à Dieu en sacrifice d'agréable odeur» (Ep 5,1-2).
Cette VOIE de l'amour du Christ, Claire la décrit comme une "descente", celle de l'abaissement du Fils bien-aimé, cherchant à imiter Dieu en ayant les «mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus: Lui de condition divine, s'anéantit lui-même,... s'humilia plus encore» (Ph 2,5-11).
Claire, comme François d'ailleurs, au début de sa "conversion", saisit assez tôt le sens de cette voie spéciale et toute évangélique de l'amour qui s'abaisse et se dépouille. Elle s'en explique elle-même, dans la pleine maturité de son expérience, à sa correspondante Agnès qui vient d'entrer en cette VOIE: «Je rends grâce au dispensateur de la grâce, de qui nous croyons qu'émanent tout don excellent et toute donation parfaite» (2L 3; cf. Jc. 1,17). Quel est ce don? prendre au sérieux la "perfection du saint Évangile", c'est-à-dire «devenir imitatrice attentive du Père parfait, pour mériter de devenir parfaite, afin que ses yeux ne voient en toi rien d'imparfait» (2L 4). Ce passage intègre, en se les appliquant, la suite des paroles mêmes de l'Évangile où Jésus invite ses disciples à l'amour parfait pour tous, à l'exemple de son Père parfait: «Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait» (Mt 5,44-48).
Claire désire suivre ce chemin de l'amour vers l'Amour de Dieu en lui-même, en son mystère: «Telle est cette perfection, assure-t-elle, cette perfection par laquelle le Roi lui-même t'associera à lui dans la céleste chambre nuptiale, parce que, devenue émule de la très sainte pauvreté, en esprit d'humilité et de très ardente charité, tu t'es attachée aux traces de Celui à qui tu es unie en mariage»(2L 5-7). "Émule" du Christ lui-même en son chemin "d'ineffable charité", par la voie de l'humilité et de la pauvreté, voilà la "vocation parfaite et grande" (Test 5) qui est celle de sa famille spirituelle.
«Elle traça en y marchant elle-même le chemin que devaient prendre celles qui viendraient à sa suite» (Vie 5,10).
«Dans ce miroir, elles ont découvert leur route» (Bulle de can.9).
Regardons de près ces étapes qu'elle nous propose par sa vie et son enseignement, en empruntant le langage même par lequel elle nous l'exprime.
Les étapes:
I) Le "bon commencement" (Test 78; 2L 11)
II) le "progrès"- "l'accroissement" (Test 78)
III) "La perfection" - la "transformation" - "l'union" (2L 4-5; 3L 13)
I) LE "COMMENCEMENT"
«Regarde toujours ton commencement...» (2L 11)
«Le commencement de la vie spirituelle, [c'est] la prise de conscience de la responsabilité personnelle devant Dieu, de l'ensemble de la vie. À cette prise de conscience peut aider beaucoup la perception du contraste soit avec le milieu social, soit avec les pulsions égoïstes. [Cette prise de conscience] contraint à la décision.»
Ce terme de "commencement", Claire l'utilise souvent. Elle en montre l'extrême importance pour le cheminement intérieur dans sa propre voie.
Pour elle, ce "commencement" est une "conversion", une "illumination" (Test 24-25). Ce début de la vie spirituelle contient déjà tout le devenir, toute la promesse évangélique entrevue et se réalisant concrètement à chaque pas de l'avancée. Il suffit de «regarder» ce «commencement» pour en être de nouveau illuminée et stimulée. Pour elle encore, c'est la conversion définitive mais continue, celle que certains maîtres spirituels définissent comme la "seconde conversion": «Celle-ci est universelle, ne soustrayant rien à la volonté de Dieu, elle est sincère, cherchant avec pureté de cœur la volonté de Dieu, elle est solide et constante, ne mettant pas de limite de temps. Cette seconde conversion peut être incluse dans la première lorsque la lumière de la foi envahit toute la personne: intelligence, affectivité, volonté. Cela arrive souvent aux caractères entiers passionnés. /... / Elle peut être provoquée par une grâce très forte à l'occasion d'une prédication ou d'un événement spirituel spécial.»
Les réflexions précédentes (première partie) décrivent tout à fait l'expérience première de Claire d'Assise, lors de sa conversion évangélique où elle quitte son milieu social, à la suite de l'enseignement de François. «Elle eut le courage de leur résister avec une fermeté inébranlable car elle était déjà si étroitement unie de coeur à Dieu que rien ni personne n'était capable de l'arracher à son service» (Bulle can.5).
Voyons quelques aspects qui caractérisent ce "commencement" évangélique de la vocation, selon Claire d'Assise.
LE "COMMENCEMENT" À LA SUITE DU CHRIST...
1) La victoire évangélique de la conversion:
... de l'esprit du monde à l'esprit de Dieu.
Pour Claire, quitter le monde c'est vraiment le vaincre, c'est la victoire évangélique par excellence: «J'ai vaincu le monde» (Jn 16,33) dira Jésus à ses disciples. Claire voit le cœur humain et toute destinée humaine dans sa vraie noblesse, sa vocation à être fils et fille de Dieu même, invitée à suivre le Fils, à l'épouser, à lui devenir semblable. De là son appel pressant, sa foi entraînante, son ardeur à proclamer sa conviction: la vie chrétienne n'a d'autre but que d'imiter la charité de Dieu. «Je crois fermement, écrira-t-elle, que vous avez appris que le Royaume des cieux n'est promis et donné par le Seigneur qu'aux pauvres, parce que, lorsqu'on aime une chose temporelle, on perd le fruit de la charité.» (1L 25)
Quitter ce "monde" est une lutte intérieure et extérieure que l'âme chrétienne se doit de livrer si elle veut vraiment participer à la charité de Dieu. Ce que Claire vise surtout à écarter du cœur c'est l'esprit de ce monde qui n'aspire qu'à la richesse immédiate, au pouvoir, aux honneurs, et à suivre «le dieu de ce monde avec ses convoitises» (Ep 2,1), L'incompatibilité reste profonde entre cet esprit du monde et celui de Dieu: «On ne peut servir Dieu et l'argent, assure-telle en reprenant l'affirmation de Jésus, puisque ou l'un est aimé et l'autre est tenu en haine, ou on servira l'un et on méprisera l'autre» (1L 26). Et encore: «On ne peut demeurer glorieux dans le monde et régner là-haut avec le Christ» (1L 28).
Ce dépouillement est confrontation au Prince de ce monde, dès le départ de notre vocation pour Dieu. Ce redoutable passage, Claire l'aperçoit avec l'acuité d'une très vive conscience car elle l'a vécu d'expérience. Elle sait que seule la grâce de Dieu peut nous fortifier et nous donner la victoire en ce "passage", cette "pâque" personnelle du monde à Dieu: «Par l'appui de la grâce de Dieu, tu as heureusement fui» (L Erm). Et encore à Agnès: «Par un privilège de la sagesse de Dieu même, tu triomphes d'une manière terrible et soudaine des astuces de l'ennemi» (3L 5). Le dépouillement des biens temporels donne l'occasion à cette "grâce de Dieu" de déployer toute sa mesure de victoire: «Celui qui est vêtu ne peut lutter contre quelqu'un de nu (le diable en tant qu'esprit du mal), parce que celui qui donne prise (par son attachement aux biens temporels) est plus vite jeté à terre; c'est pourquoi,-explique-t-elle à sa correspondante, - vous avez rejeté les vêtements, c'est-à-dire, les richesses temporelles pour éviter absolument de succomber devant le lutteur et pouvoir, par la voie resserrée et la porte étroite, entrer dans les royaumes célestes» (1L 27.29-30).
La vision lucide de Claire sur le monde aveugle se révèle très proche de celle de l'Évangile, en particulier celle exprimée par le langage johannique: «Le monde ne peut pas recevoir l'Esprit de vérité, parce qu'il ne le voit pas ni ne le reconnaît», dira Jésus lui-même à ses disciples (Jn 14,17). La résistance de Claire aux avances et aux arguments de sa propre famille a mis à découvert cette réalité et la vérité de la parole de Jésus. Mûrie par cette expérience vécue dans la foi, Claire écrira: «Certains rois et certaines reines du monde se trompent; bien que leur superbe soit montée jusqu'au ciel (de la renommée) et que leurs têtes aient touché les nues; à la fin, ils sont réduits pour ainsi dire à du fumier» (3L 27-28).
Cela, Claire l'affirme et le sait concrètement dès sa jeunesse, selon le témoignage même de messire Rainier, son parent par alliance qui l'a connue: «Le témoin ayant à maintes reprises essayé de la convaincre (de se marier selon les visées mondaines de sa famille), elle (Claire) avait fini par refuser de l'écouter; bien plus, c'est elle qui lui prêchait à lui-même le mépris du monde» (Pr XIII,2).
2) Le désir de suivre le Christ pauvre.
Dès le départ, Claire est fascinée par le Christ, par son chemin de pauvreté et d'humilité. Elle se hâte vers lui avec un élan irrésistible qui entraîne en très peu de temps plusieurs jeunes filles, et même ses sœurs, ses parentes, et... sa propre mère, Ortolana!
«Claire avait hâte de se donner à son divin Époux. Embrasée..., elle méprisait de si haut la gloire des vanités d'ici-bas que les applaudissements du monde n'avaient aucun pouvoir sur son cœur. Elle reçut d'un cœur fervent tout ce que [François] lui enseignait sur le Christ Jésus. Afin de pouvoir posséder le Christ, elle regardait comme fumier ce qui fait ici-bas l'admiration des gens»(Vie 3,6).
Dès le départ de sa vocation, elle s'oriente en vue de la Passion de son Seigneur. N'est-ce pas dans un sens symbolique et vrai qu'elle réalise le conseil reçu de François, entrant dans cette Voie le LUNDI SAINT, début de la sainte Semaine? Frère François lui suggérait de «quitter les joies d'ici-bas pour prendre le deuil de la Passion du Seigneur» (Vie 4,7). Elle sait que son chemin sera de prendre part mystiquement à la Passion du Seigneur. C'est ce grand désir qui polarise ses sentiments et son énergie: «Sois fortifiée dans le saint service commencé avec le désir ardent du pauvre Crucifié qui, pour nous, supporta la passion de la croix» (1L 13-14). Ce «désir ardent du pauvre Crucifié», voilà le mobile profond qui oriente désormais sa vie dès le "commencement", et c'est par ce puissant désir qu'elle réveille et suscite les vocations. Sœur Philippa, entre autres, nous l'affirme: «Elle était venue parce que [Claire] lui avait exposé comment notre Seigneur Jésus Christ, pour le salut du genre humain, souffrit la passion et mourut sur la croix. Ces entretiens la touchèrent beaucoup, elle décida d'entrer dans l'Ordre» (Pr III,1).
Ce désir profond de communion à la passion de Jésus demeurera présent jusqu'à la fin. Mais ce désir se perçoit, dans sa densité et son intensité, dès le "commencement". «Souvent, nous assure son biographe, elle se remettait en mémoire Celui dont l'amour avait imprimé l'image au plus profond de son cœur. Elle enseignait aux novices à pleurer le Sauveur crucifié; elle ajoutait d'ailleurs l'exemple à l'enseignement. Bien souvent, tandis qu'elle les exhortait en entretien particulier à ce genre de contemplation, un afflux de larmes venait interrompre le son de sa voix»(Vie 19,30).
D'ailleurs cette attitude s'enracine dans le conseil de Jésus lui-même: «Quiconque ne porte pas sa croix et ne vient pas derrière moi ne peut être mon disciple» (Lc 14,27). Et encore: «Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix chaque jour, et qu'il me suive» (Lc 9,23).
Claire reprendra le même conseil et l'appliquera au vécu de sa correspondante Ermentrude: «O très chère, regarde vers le ciel qui nous invite, et prends ta croix et suis le Christ qui nous précède. Aime de toutes tes entrailles Dieu et Jésus, son Fils, crucifié pour nous pécheurs; et que jamais, de ton esprit, ne sorte sa mémoire. L'œuvre que tu as commencée, achève-la avec insistance» (L Erm 9.11.14).
3) L'exemple de François.
Le "commencement" si important de la vocation de Claire prend naissance en Dieu même qui l'éclaire et l'appelle en une forme de vie évangélique selon le don que l'Esprit a départi à François: «Le très haut Père céleste a daigné par sa miséricorde et par sa grâce, éclairer mon cœur pour qu'à l'exemple et selon l'enseignement de notre très bienheureux père François, je fasse pénitence» (Test 24).
François est pour elle et ses sœurs le signe-sacrement par lequel se manifeste la volonté du Père très Haut: «son petit troupeau que le Seigneur Père a engendré dans sa sainte Église par la parole et l'exemple de notre très bienheureux père saint François pour suivre la pauvreté et l'humilité de son Fils bien-aimé» (Test 46). Et jusque dans la forme que prendra leur suite du Fils de Dieu, François demeure le grand exemple: «Le Fils de Dieu s'est fait pour nous la Voie que, par la parole et par l'exemple nous a montrée et enseignée notre très bienheureux père François, son vrai amant et imitateur» (Test 5).
Voyons maintenant de près ce noyau inspirateur, ce charisme évangélique que François transmet à sa sœur et qu'elle fera fructifié, avec la grâce de Dieu, avec tant de sollicitude et de talent.
4) Le noyau inspirateur
a) La petite "FORMULE DE VIE" donnée par François:
À la source de ce "bon commencement", il y a le noyau du charisme: l'exemple de François et son enseignement. Ils peuvent s'identifier à «ce bout de sein» que Claire, dans un rêve mystérieux, reçoit de François. Claire raconte: «qu'elle prit dans les mains ce qui lui était resté dans la bouche (après avoir sucé le sein que François lui présentait) et cela lui parut de l'or si clair et si brillant qu'elle s'y voyait toute comme en un miroir» (Pr III,29).
La comparaison est très personnelle: «elle s'y voyait toute comme en un miroir». Sous le revêtement significatif du symbole du "miroir", elle reçoit ici le charisme de François pour le faire profondément sien. Dans son testament, Claire nous indique dans quel sens le "miroir" du charisme de François est devenu sien. En ce texte-témoin, elle exhorte fortement ses filles et disciples à remémorer souvent l'essentiel de ce «commencement de notre conversion» :«J'avertis et j'exhorte dans le Seigneur Jésus Christ toutes mes sœurs qui sont et qui viendront à toujours s'appliquer à imiter la voie de la sainte simplicité, de l'humilité, de la pauvreté et aussi l'honnêteté d'une sainte conduite, comme dès le commencement de notre conversion nous l'ont enseigné le Christ et notre très bienheureux père, le bienheureux François» (Test 56-57).
Ce commencement s'exprime au tout début par un écrit de François lui-même où celui-ci atteste l'authenticité de "l'inspiration divine" qui les a conduites jusqu'à lui: «Le bienheureux père, considérant que nous ne craignions aucune pauvreté..., nous écrivit une forme de vie de cette manière. "Puisque, par inspiration divine, vous vous êtes faites filles et servantes du très haut et souverain Roi, le Père céleste, et que vous avez épousé l'Esprit Saint, en choisissant de vivre selon la perfection de l'Évangile, je veux et je promets d'avoir toujours, par moi-même et par mes frères, un soin affectueux et une sollicitude spéciale pour vous comme pour eux.» (RCl 6,3-4)
Dès le départ, le petit pauvre du Christ les avait situées dans la famille et les mœurs de Dieu, où lui-même et ses frères avaient choisi d'exister désormais. Claire, à la fin de sa vie, enchâsse au cœur même de sa Forme de vie, ce petit écrit de François qui donne ainsi le "noyau" du "bon commencement". Ce texte affirme le mystère de son être nouveau: fille, servante, épouse. Elle accueille et reçoit Dieu comme elle est accueillie et reçue par Lui. C'est la source même de leur nouvelle Forme de vie, «mode de sainte unité et de très haute pauvreté, suivant les traces du Christ lui-même et de sa très sainte mère.» (Prologue de la Règle) Là est pour elle et ses sœurs l'expression privilégiée de leur vocation, là est pour elles «la perfection du saint Évangile». (RCl 6,3)
b) LE PRIVILÈGE DE LA PAUVRETÉ requis par Claire, confirmé par l'Église:
Pour concrétiser davantage ce choix de vie, Claire, dès le début, désire fortement que ce "propos" soit approuvé par l'Église. C'est elle qui présente cette requête à l'Église, comme en témoigne son Testament. Elle requiert ce privilège pour plusieurs raisons qu'elle indique elle-même dans cet écrit:
- a dignité d'une si haute profession,
- la fragilité "des autres", les sœurs qui doivent l'observer,
- la tentation de s'en écarter (Test 37-38).
Claire nous renseigne aussi comment elle fut inspirée de demander ce décret très original: «Pour plus de précautions, je fus soucieuse de faire renforcer notre profession de la très sainte pauvreté, que nous avions promise au Seigneur et à notre bienheureux père, par des privilèges du seigneur pape Innocent (III), au temps de qui nous avions commencé (1216), et de ses successeurs (1228), afin qu'à aucun moment, nous ne nous écartions en aucune façon d'elle» (Test 42-43).
Le biographe nous raconte avec humour les circonstances où la jeune abbesse présentait cette requête inusitée: «Ne voulant pour son Ordre d'autre revenu que la pauvreté, elle sollicita du pape Innocent III le privilège de vivre en pauvreté. Le grand pontife félicita d'abord la vierge pour ses aspirations si généreuses, mais lui fit remarquer que c'était là une vue originale et que pareil "privilège" n'avait jamais été sollicité du Siège apostolique. À cette demande sans précédent il répondit, tout en riant bien fort, par une faveur sans précédent: de sa propre main, il rédigea la minute du privilège sollicité» (Vie 8,14).
L'Église, par la personne du Pontife romain, se prononce ici, et approuve une nouvelle forme de vie évangélique. Le texte juridique du Privilège demandé présente admirablement bien le "propos" de Claire, ce qu'elle appelle le "bon commencement". Ce "propos" évangélique est concret, défini au cœur du Privilège: «Après avoir tout vendu et distribué aux pauvres, vous vous proposez de n'avoir absolument aucune possession, vous attachant en tout aux traces de Celui qui pour nous s'est fait le pauvre la voie, la vérité, la vie. Aussi, comme vous nous en avez supplié, nous confirmons, par faveur apostolique, votre propos de très haute pauvreté.»
Ce Privilège ardemment désiré par la "petite pauvre", et suggéré par elle à l'Église, l'orientera toute sa vie. Il inspirera autant sa Règle définitive que ses autres écrits. On le voit bien en comparant, par exemple, entre bien d'autres, un extrait de la première lettre adressée à Agnès de Prague, au tout début de sa vie pour Dieu, et le chapitre 2 de la Règle, sur l'admission des aspirantes:
À Agnès, Claire précise la modalité de sa vocation:
«Rejetant tout cela (honneurs et richesse), vous avez choisi de tout votre esprit et de tout l'élan de votre cœur, plutôt la très sainte pauvreté, prenant un époux, le Seigneur Jésus» (1L 6-7).
La Règle donne l'orientation d'un choix évangélique:
«Si quelqu'une, par inspiration divine, venait à nous voulant accepter cette vie, si elle est apte, qu'on lui dise la parole du saint Évangile, d'aller et de vendre tous ses biens et de s'appliquer à les distribuer aux pauvres» (RCl 2,1.7).
Ce dernier conseil évangélique inscrit dans la Règle, nous ramène à la situation que la sainte a vécue elle-même. L'un des témoins au Procès, messire Pierre de Damiano, d'Assise, voisin de la maison paternelle de Claire, se souvient que celle-ci «voulait vivre en pauvreté, ainsi qu'elle le manifesta par la suite, lorsqu'elle vendit tout son héritage et le donna aux pauvres» (Pr IX,2).
De cette démarche évangélique, une procuration donnée par les sœurs de Saint-Damien à Oportulo di Bernardo, leur mandataire pour la vente d'un terrain près de la cathédrale Saint-Rufin, nous témoigne très concrètement de la décision communautaire en ce sens. Le document ne semble pas viser ici une donation aux pauvres, mais à l'église, mieux, au Chapitre de Saint-Rufin.
Claire a gardé ce Privilège accordé par l'Église, comme son plus grand trésor temporel, signe de sa vocation, symbole concret de son "bon commencement". Plusieurs de ses sœurs, au cours du Procès, vont jusqu'à affirmer «qu'elle leur recommandait avec une excessive ardeur le Privilège de Pauvreté, et le tenait en grande vénération» (Pr III,32; XII,6).
La fidélité dans la grâce du "bon commencement":
En fait, la petite pauvre faillit perdre ce privilège et son anxiété devinait quant aux obstacles qui s'opposaient à un tel genre de vie, en son temps.
Les papes, successeurs d'Innocent III, n'accéderont pas sans réticences à ce désir de la fondatrice. Grégoire IX, parent d'Innocent III et protecteur de la nouvelle fondation, vient lui proposer une autre sécurité: «Le pontife vénérable aimait tendrement la sainte, comme un père son enfant. Il voulut un jour, à cause des malheurs et de l'insécurité des temps, la persuader d'accepter quelques propriétés qu'il proposait d'ailleurs de lui procurer lui-même. Elle résista avec énergie et refusa catégoriquement: "Très saint Père, jamais je ne désirerai qu'on me tienne quitte du bonheur de suivre le Christ"» (Vie 8,14). Voyant cette détermination, le pape consent à renouveler ce Privilège accordé déjà par son parent le Pape Innocent III, au début de la fondation, douze ans plus tôt. Pacifica témoigne de ce fait: «Elle a vu et entendu le Seigneur pape Grégoire vouloir donner beaucoup de choses et acheter des propriétés pour le monastère, mais que madame Claire ne voulut jamais y consentir» (Pr I,13).
Benvenuta et Philippa, premières compagnes de la sainte, nous apprennent de plus, que le cardinal Raynald, neveu lui-même de Grégoire IX et futur pape sous le nom d'Alexandre IV, alors évêque d'Ostie, protecteur de la communauté des sœurs, essaie lui aussi de lui faire accepter des propriétés (Pr II,22; III,14).
Le Pape Innocent IV qui succédera à Grégoire IX, rédigera une Règle pour réunir en une même observance les communautés qui s'inspirent de Saint-Damien. Mais cette Règle de 1247 omettra tout simplement d'y insérer l'orientation du précieux Privilège, pourtant tant de fois sollicité par Claire. Les dernières années de la vie de la sainte Mère sont assombries par la crainte de le perdre définitivement. Mais ce danger décuple ses forces, son énergie, sa décision confiante. Ainsi, lors de la visite du cardinal protecteur, Raynald, à son chevet de mourante, "la petite pauvre mère" s'empresse de lui présenter sa requête ultime: «Claire le supplia avec larmes de la recommander, elle et ses soeurs, au très saint Père, pour le nom du Christ; elle lui demanda par-dessus tout d'obtenir du pape et des cardinaux la confirmation du Privilège de la pauvreté. Le fidèle cardinal, protecteur de l'Ordre, le promit. Et il s'en acquitta» (Vie 25,40).
La sainte abbesse reçut enfin la vraie règle de l'Ordre, trois jours avant sa mort, obtenant ainsi de l'Église elle-même la liberté de vivre ce "bon commencement" jusqu'au bout, et de le transmettre à d'autres disciples. Elle léguait à ses filles la réalité de «la voie de la sainte simplicité, de l'humilité et de la pauvreté» (Test 56) dont le privilège de Pauvreté est le garant juridique, évangélique autant que mystique: «Pour sûr, Celui qui nourrit les oiseaux du ciel et revêt les lis des champs, ne vous fera également pas défaut pour votre nourriture et votre vêtement, jusqu'à ce que, passant au milieu de vous, il se serve lui-même à vous dans l'éternité, lorsque sa droite vous embrassera plus heureusement dans la plénitude de la vision» (Priv. Pauvreté, 6).
Le Pape Alexandre IV, attestera lui-même au sujet de ce privilège, lors de la canonisation de Claire: «Elle aima et pratiqua la pauvreté, elle la désira et la cultiva avec tant d'ardeur, que jamais elle ne consentit à s'en éloigner. Aucun argument ne parvint jamais à la persuader d'accepter des possessions pour son monastère, bien que le pape Grégoire, notre prédécesseur, animé d'une grande bonté envers son monastère, eût désiré lui accorder, pour l'entretien des sœurs, des revenus convenables et suffisants» (Bulle de can.12).
En cela, Claire a gardé avec amour, pour elle et pour ses filles spirituelles de tous les temps ce «joyau d'or» (Vie 8,13) de la pauvreté de Dieu, ce mystère ineffable du "bon commencement": «Elle contracta par la suite un pacte si étroit avec la pauvreté qu'elle ne voulut rien posséder, si ce n'est le Christ et qu'elle ne permit à ses filles de ne posséder non plus rien d'autre» (Vie 8,13).
François, dans le rêve de Claire, lui remettait mystérieusement un «bout de sein» destiné à la nourrir. En fait, ce «miroir» c'est sa vocation à la pauvreté en laquelle «elle se mirait toute». Claire inscrit encore au cœur de sa Forme de vie cette autre lettre de François, son ultime volonté: «Moi, Frère François, tout petit, je veux suivre la vie et la pauvreté de notre très haut Seigneur Jésus Christ et de sa très sainte Mère et persévérer en cela jusqu'à la fin; et je vous prie, mes dames, et je vous donne le conseil de vivre toujours dans cette très sainte vie et pauvreté. Et gardez-vous bien de vous en éloigner jamais en aucune façon sur l'enseignement ou le conseil de qui que ce soit» (RCl 6,7).
Le conseil de François témoigne du mystère éternel de la pauvreté de Dieu; ce que Claire affirmera aussi à sa disciple Agnès :«Que toujours, elle vive dans la souveraine pauvreté» (2L 2).
5) Voie de sainte simplicité-humilité-pauvreté
S'offrir comme «hostie sainte et agréable à Dieu».
Cette vocation "grande et parfaite" (Test 3) s'engage dans un chemin unifié, très simple, très vrai dans sa visée. Mais pour y entrer et avoir l'heureuse disposition d'y persévérer il faut un cœur simple. «Une seule chose est nécessaire... », écrira-t-elle après le Christ (Lc 10,42) : «j'atteste cette seule chose et je t'avertis, par l'amour de Celui à qui tu t'es offerte en sainte et agréable hostie» (1L 10).
Le fait d'être offerte comme une hostie, une victime sainte, à l'exemple du Christ (Ép 5,1-2), suppose qu'on a renoncé à tout autre chose pour suivre le chemin unique de l'amour qui se donne dans la Passion du Fils pour le salut de tous, et cela, dès le départ. Cette parole de Claire fait écho à celle de l'apôtre Paul (Ép 5,12) ainsi qu'à celle de Pierre aux premiers chrétiens: «Vous êtes une sainte communauté sacerdotale pour offrir des sacrifices (hosties) spirituels, agréables à Dieu par Jésus Christ» (1P 2,5).
Femme du Moyen-Âge, Claire a-t-elle connu Origène, ce témoin des premières générations chrétiennes après les apôtres ? Ce Père de l'Église était très estimé dans les cloîtres pour ses commentaires de l'Écriture. Il commente ce texte de Pierre en nous éclairant sur le sens que peut prendre cette réalité "d'hostie", de "sacrifice", de "victime":
«Tous ceux qui sont résolus à vaquer à la prière, à offrir à Dieu, nuit et jour, leurs implorations et à immoler les victimes (hosties) de leurs supplications, c'est avec eux que Jésus bâtit son autel..., sur lequel il offre le sacrifice à son Père.»
Ce "bon commencement" demandé par la sainte Mère à celle qui veut s'engager en cette "forme de vie" se caractérise en grande partie par cette attitude profonde d'offrande de soi, de disponibilité intérieure à Dieu, de "simplicité" du cœur. C'est l'attitude même que Paul recommandait aux premiers baptisés de la Rome païenne: «Puisque Dieu a manifesté sa bonté pour nous, je vous demande de vous offrir vous-mêmes comme un sacrifice (hostie) vivant, réservé à Dieu, et qui lui est agréable. C'est là le véritable culte que vous lui devez. Ne vous conformez pas aux habitudes de ce monde, mais laissez Dieu vous transformer par un changement complet de votre intelligence. Vous pourrez alors comprendre ce que Dieu veut, ce qui est bien, ce qui lui est agréable, et ce qui est parfait» (Rm 12,1-2).
Claire compare cette offrande mystique du "commencement" aux fiançailles avec Celui qui s'est offert, l'Agneau immolé en sacrifice pour le salut du monde: «Tu as été merveilleusement fiancée à l'Agneau immaculé qui enlève les péchés du monde, ayant délaissé toutes les vanités du monde» (4L 8).
... Le début du Miroir: la simplicité de Dieu:
Cette «sainte simplicité qui confond toute sagesse de ce monde et toute sagesse de la chair», Claire la voyait comme en un miroir dans la vie même du Seigneur, particulièrement dans sa "descente" parmi nous, la pauvreté concrète de sa crèche : «Considère le commencement de ce Miroir, la pauvreté de Celui qui a été déposé dans une crèche et enveloppé de petits langes. Ô admirable humilité, Ô stupéfiante pauvreté! Le Roi des anges, le Seigneur du ciel et de la terre est couché dans une crèche» (4L 19-21).
Ce regard contemplatif sur la simplicité de Dieu commande à lui seul toute la simplicité de la "forme de vie des Sœurs Pauvres", et cela, dès le commencement: «Elle exhortait ses sœurs à imiter, dans leur petit nid de pauvreté, le Christ qui avait été pauvre, le Christ que sa mère, petite pauvre elle aussi, avait couché, nouveau-né, dans une crèche étroite. C'était ce souvenir de la pauvreté du Christ qu'elle entretenait constamment en elle pour protéger son âme de toute infiltration des soucis terrestres» (Vie 8,13).
Ce souvenir bien concret, elle va jusqu'à l'insérer dans sa règle et son testament. Dans sa règle, au sujet de la simplicité des vêtements: «... par amour de l'enfant très saint et très aimé, enveloppé de pauvres petits langes, couché dans une crèche, et de sa très sainte mère, j'avertis, je supplie et j'exhorte mes sœurs qu'elles se vêtent toujours de vêtements vils» (RCl 2,24). Dans son testament, elle rappelle aussi ce "propos" du début: « Par amour pour ce Dieu qui, pauvre, fut déposé dans une crèche..., nous observions la sainte pauvreté que nous avons promise à Dieu et à notre très bienheureux père saint François» (Test 45.47).
6) L'échange
Ce "commencement" est en réalité le lieu d'un échange. Le langage de Claire revêt facilement le vocabulaire de "l'économie", de la dispensation des biens: langage de "marchands" si populaire au Moyen-Âge avec la montée envahissante de la classe marchande et bourgeoise. Ce "commencement", ce "propos" d'entrée dans la suite du Christ pauvre, donne accès au Royaume, à sa richesse, à sa gloire, à sa possession. Et cela, dès le début, même si rien ne paraît encore! La foi n'est-elle pas la «garantie des biens que l'on espère» (He 11,1)? Cette assurance de la foi est vraiment actuelle dans le langage religieux de Claire: «O bienheureuse pauvreté qui, à ceux qui l'aiment et qui l'embrassent, procure les richesses éternelles» (1L 15).
Le Père des miséricordes est «dispensateur de la grâce» (2L 3), et l'économie de son salut s'offre à l'humanité comme le lieu de l'échange: «Un si grand et un tel Seigneur, voulut apparaître dans le monde méprisé, indigent et pauvre, pour que nous devenions en lui, riches en possédant les royaumes célestes» (1L 20-22). Car Claire le sait, nous sommes «très pauvres et indigents, souffrant l'extrême indigence de nourriture céleste» (1L 22). Mais la personne humaine est souvent aveugle sur son état et ne peut s'en rendre compte sauf par l'expérience de la limite, de la souffrance, de la mort.
Déjà Claire montre les vraies richesses que ce "bon commencement" a values: «Vous avez préféré... enfouir des trésors dans le ciel plutôt que sur la terre, et votre récompense est très copieuse dans les cieux» (1L 22-23). À cette vue intérieure si certaine, elle s'écrie encore: «Quel grand et louable échange: laisser les biens temporels pour les éternels, mériter les biens célestes en échange des terrestres, recevoir cent pour un et posséder la bienheureuse vie perpétuelle» (1L 30).
Cette certitude, Claire et François l'insèrent même dans leurs Formes de vie. C'est un contrat perpétuel: «Telle est la hauteur de la très haute pauvreté qui vous a instituées vous, mes sœurs très chères, héritières et reines du Royaume des cieux, qui vous a faites pauvres en biens, qui vous a élevées en vertus.» Quel en est le "prix coûtant"? «Ne rien posséder sous le ciel.» «Totalement attachées à elle (la très haute pauvreté), sœurs bien-aimées, pour le nom de notre Seigneur Jésus Christ et de sa très sainte Mère, ne posséder à jamais rien d'autre sous le ciel» (RCl 8,4-6). En cela, l'espérance des vrais biens surpasse infiniment celle des biens transitoires: «Pour l'éternité et les siècles des siècles, tu auras part à la gloire du royaume céleste en échange des choses terrestres et transitoires, aux biens éternels, en échange des biens périssables» (2L 23).
B) ATTITUDES qui favorisent ce "BON COMMENCEMENT":
1. "Chasser le tumulte"
S'offrir en «hostie sainte et agréable à Dieu» (2L) requiert quelques attitudes intérieures qui favorisent particulièrement bien ce don initial. La paix du cœur, fruit de la simplicité de l'offrande intérieure, nous rend aptes à cheminer allègres et joyeuses en cette VOIE.
«Elle se déroba par la fuite au tumulte du monde...» (Bulle de can.5)
«Elle leur enseignait d'abord à chasser de leur âme tout espèce de tumulte, pour qu'elles deviennent capables de pénétrer et d'habiter les mystères de Dieu seul» (Vie 22,36).
2. Discrétion dans l'effort
Le "commencement" en cette VOIE se heurte souvent à des obstacles intérieurs, dans l'effort même qui veut hâter la marche et quitter l'esprit mondain. «Parmi les dangers de cette phase, il y a celui de la tension, de la ferveur indiscrète, car le "commençant" accorde une plus grande importance à ses efforts personnels qu'à l'activité de la grâce et la liberté de Dieu.»
La sainte Mère indique ces dangers à celles qui sont ses filles et ses sœurs en cette VOIE généreuse à la suite du Fils de Dieu. Aussi elle avertit: «Très chère, je te prie et te demande dans le Seigneur de te détourner sagement et discrètement d'une certaine austérité dans l'abstinence indiscrète et impossible, que j'ai appris que tu avais entreprise, pour que vivante, tu loues le Seigneur, que tu rendes au Seigneur un hommage raisonnable, et ton sacrifice toujours assaisonné de sel» (3L 38-41).
Claire le sait et même l'a appris par expérience personnelle. François, dans sa sollicitude pour elle, et aussi ses propres compagnes, ont dû intervenir et freiner ses "exploits" ascétiques. Elle a su reconnaître que «nous sommes fragiles et enclines à toutes les faiblesses corporelles» (3L 39).
3. La joie spirituelle
La joie spirituelle accompagne Claire tout au long de sa vie et l'aide à traverser ces obstacles plus difficiles du début. «Les pénitences corporelles rendent souvent le caractère sombre et amer, fait observer son biographe. Mais il constate aussitôt: «Il en allait tout autrement pour sainte Claire: tout en se mortifiant, elle gardait un visage souriant et joyeux. On voit clairement par là que la sainte joie qui abondait en son âme possédait un pouvoir jusque sur sa sensibilité extérieure» (Vie 11,18).
Cette dernière réflexion confirme la justesse pédagogique du grand conseil de Claire, ce conseil qui revient si souvent au cours de ses lettres: «Réjouis-toi toujours dans le Seigneur, sœur très chère» (3L 10).
Claire participe ainsi à cette joie profonde que Jésus donne à ceux et celles qui le suivent, à tous ceux et celles qui ont trouvé le "trésor" de la sagesse qui mène au Royaume, et qui en vivent.
Cette joie est un fruit de l'Esprit en nous (Ga 5,22). Elle confirme intérieurement cet appel de l'Esprit Saint qui, déjà, sur le chemin de la béatitude, nous fait «CROÎTRE de bien en mieux, de vertus en vertus» (1L 32).
«Sûre, joyeuse et alerte, marche prudemment sur le chemin de la béatitude
...Où l'Esprit du Seigneur t'a appelée» (2L 13-14).
La paix du cœur et le dynamisme intérieur de la joie sont déjà les signes que le Seigneur «a donné le bon commencement, et qu'il donnera aussi l'accroissement» de ce "bon commencement"(Test 78) lui «qui est fidèle et saint en toutes ses œuvres» (L Erm 15).
C) TRAVAUX d'intégration "LE BON COMMENCEMENT"
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1) Les écrits concernant le "bon commencement":
-Retracer, dans les écrits de Claire, les paroles ou les mystères évangéliques qui ont le plus déterminé Claire, qui l'ont orientée dans la découverte et la réalisation de sa vocation.
Se limiter aux écrits du COMMENCEMENT:
* Lettres 1-2-3
* Privilège de la Pauvreté
* Règle : chapitres 1-2 et 6.
* Testament 1-51
* Lettre à Ermentrude
Voir aussi SC. "Écrits de Claire d'Assise" p.206: pour les références des passages des évangiles utilisés par Claire.
Ébauche d'une synthèse, si possible.
2) Le choix de vivre selon la perfection du saint Évangile:
-Écrire le verset 3 du chapitre 6 de la Règle de sainte Claire
-et lire: dans "À la découverte de Claire d'Assise", tome III:
20,5: Forme de vie évangélique
20,6: Chemin de perfection
20,4: Choix, préférence.
-Voir en comparant Lc 14,26-33; 18,18-23
et réfléchir à cette "descente": la pauvreté, l'humilité du disciple qui "imite" parfaitement celle du Fils de Dieu: Ph 2,5-1 1; RCl 2,1.6-7; 1 L 5-7.19-23.
Établir 3 tableaux parallèles illustrant ces textes:
1) Invitation de Jésus à tous
2) son exemple
3) son invitation personnelle (jeune homme riche, Agnès...)
3) Tableau parallèle: entre Règle 6,3 et Privilège de Pauvreté:
La petite formule de vie, et le Privilège de la Pauvreté:
- Quel est le choix, le propos de Claire et de ses sœurs?
- Quelles nouvelles relations à Dieu apporte cette décision?
- Comment François se situe-t-il dans cette décision?
Répondre en vue de chacun des 2 textes proposés.
Relire en complément: Vie 8; Procès II,22; III,13-14.31-32; XII,3.6; XIII, 11; XIX,2; RCl 2,1.6-7; 1L 5-7.
Établir une synthèse après avoir saisi les ressemblances et les différences entre les deux textes.
4) Le don du "bon commencement":
A partir de l'exhortation de Claire dans son Testament:
«J'exhorte dans le Seigneur Jésus Christ toutes mes sœurs qui sont et qui viendront... à imiter la VOIE..., comme dès le commencement de notre conversion nous l'ont enseignée le Christ et notre bienheureux Père François.» (Test 56-57),
Exprimer, en une courte synthèse ou commentaire, ce premier enseignement du Christ et de François, donné aux premières sœurs pauvres, et que Claire désigne comme le "bon commencement" (Test 78).
LECTURES COMPLÉMENTAIRES:
-"Claire parmi ses sœurs", R-C. Dhont, ofm: chapitre IV.
-Regards sur l'histoire des Clarisses: tome 1: La vie à Saint-Damien, p.53ss.
-Lettre des ministres généraux 1991: 11, Claire, femme chrétienne, p.29-44.
-"Le pèlerinage des pauvres", Herbert Schneider, ofm. Texte envoyé aux Clarisses en 1992.
-Le sens chrétien de l'homme, Jean Mouroux. Aubier, collection Théologies # 6
Le chapitre sur la liberté spirituelle rejoint beaucoup le sens de la vocation humaine et chrétienne dans les écrits de Claire d'Assise.