Cellule
Présentation du poème
CELLULE : UN LIEU DU COEUR
Un adverbe scande l'incantation et l'inquiétude propres à ces douze visages d'un seul poème : où ! La question et la recherche exprimées par ce poème renvoient à l'urgence du lieu pour toute personne humaine et à celle de la cellule pour le moine. S'il y a un pèlerinage qui détermine toutes les demeures de la vie c'est bien celui du coeur : «...où va le vent loin de la chambre/ où va le coeur loin de la clarté...» (2) Sans surprise, à force d'explorer et de vivre, le chercheur d'essentiel en arrive aux évidences des dunes (3) « c'est plus loin » et de l'oasis où, enfin disciple, il peut dire « je ne suis pas seul avec l'âme...» (4)
Et puis, tout bascule vite et prend sa place, dans la cellule (5). Il y a l'âme. Et dans l'âme une Présence veille et anime l'instant, les veilles, les pensées et les prières (6-9) : «à l'abri de l'Amour/ paroles desilence/ toujours reprises. » (9) S'il y a un autre voyage - et il y en a un à demeure - l'Esprit le donne et s'y donne dans un coeur à recueillir et garder : « recueillir le coeur / sans échapper l'eau et le sang/ que seul l'Esprit sert » (11). Dans ce lieu qu'est le coeur de Dieu, tout autant que le coeur personnel, voilà qu'une fenêtre ouverte laisse paraître un rayon de lumière, une avalanche de vrai et un aveu bouleversant : « ta Face est le seul lieu...» (12). L'arche est transfigurée, la cellule irradiée.
La conclusion est une belle patience parce qu'elle est un chemin audacieux : « peu à peu/ le coeur attend Dieu. » (12) Ce n'est pas un aboutissement et ce n'est certainement pas la fin. Commencent toujours la genèse et l'Apocalypse du veilleur : « Amen ! Oh oui, viens Seigneur Jésus. » (Apocalypse 22,20) Attendre et qu'attendre ! Dans le silence et l'amour !
Gilles Bourdeau, franciscain
CELLULE
sur la rue
l’essentiel s’emmêle
dans la cohue
loin du jardin
le coeur s’inquiète
et n’écoute plus
l’oiseau la fontaine
la lune passe
avec sa voie boréale
la foule se délaie
dans l’obscurité
que de visage
de pensées grises
que d’oeil clair
où va le vent
loin de la chambre
où va le coeur
loin de la clarté
la main jongle
trie ses beaux rêves
prend ses choses
ouvre la grille
que le flanc chaud lisse
des horizons
à chaque fois
le sommet atteint cède
ses espérances
les pas faits
dénouent le grand foulard
des soifs d’éden
c’est plus loin
que la pente des sables
ridée de frissons
comme une île
un coquillage
tend la main
de l’eau
entre les dattiers
jaillit d’ailleurs
et miroite
c’est trop
songe le moine
je ne suis pas seul
avec l’âme
la mer
comme une voile
une pensée folle
s’évanouit
quelques pierres sur le sol
le tracé d’une maison
le corps mesure
la natte la table le mur la porte
le sol la toiture
petit vêtement
sur la peau la tête brûlées
une cellule cinéraire
des semaines de marche
de faim de solitude
le lieu tranche le jour
pas de racine de fruit
il n’y a aucun arbre
le vide tente le coeur
dans ce désert de lunes
sans orage ni nuée
qui aperçoit la lumière
sans cri rester debout
jusqu’au déclin des étoiles
sur les murs
comme une ruée
d’araignées
un fleuve
de souches rouges
de passions oranges
enchaînées
une corde
de lin défaite
un écheveau d’ombres
démêlées
images
en noir et blanc
sur la trame métallique
des pensées
vagues de l’Esprit
sur des lèvres closes
à l’abri de l’Amour
paroles de silence
toujours reprises
le viatique de la route
le compagnon reste là
à la porte et au jardin
tirer tous les cordages
plier les voiles
recueillir le coeur
sans échapper l’eau le sang
que seul l’Esprit sert
un rayon de lumière
ta Face le seul lieu
peu à peu
le coeur attend Dieu.
Gilles Bourdeau, franciscain (droits réservés)