SYRINX

Présentation du poème SYRINX

La syrinx est une flûte faite de roseaux de longueur décroissante. Dans l’art ancien le flûtiste est la plupart du temps un berger qui joue des mélodies magiques. Une musique « enchantée » : la flûte de Pan ! L’ensemble poétique que je présente comporte six petits poèmes de longueur égale avec des variantes quant à la disposition des six strophes qui composent chaque poème.  À la fin, les poèmes passent de l’instrument au flûtiste. On peut sentir le contact des mains, des lèvres et du souffle avec la flûte. Là est la clef des poèmes,-des roseaux,- précédents car il s’agit de six chants sur l’inspiration et les rapports de feu entre l’esprit et le corps, le souffle et la terre. Il faut dire et écouter chacun de ces chants avec le mouvement donné par cette vision finale. Le cantus firmus.

Dès le départ la nature, le sang et l’âme participent à cette incantation. Le berger « chante le matin/ au jardin des joies/ un hymne » et même en présence des anges« reste accoudé/ à la clarté neuve/ divine » (deuxième roseau). Le troisième roseau invite à la nuit où le souffle apparaît chercher repos « …le fleuve s’en va à la nuit/ voûté de barques…comme une voile dépliée/ la brise s’essouffle ». Mais il n’en est rien « sur les montagnes/ le berger appelle/ de sa voix » une musique où les animaux, les arbres et les semences communient avec le chantre (quatrième roseau).

Il s’agit plutôt d’enthousiasme, de vin, de feu et de danse. S’interpellent ici et dansent ensemble les strophes de départ et de conclusion : « flûte périssable/ homme de dieu…l’amour tant aimé/ danse infatigable » (cinquième roseau). L’hymne chante le désir du pèlerin : « en voyage/ le désir retourne à dieu…parvenu au souffle pur/ dieu donne dieu » (sixième roseau). À ce point et sans retour le poète est ému jusque dans ses mains, ses lèvres et son souffle : « invisible passe l’âme/ priant toutes les rives ». Il connaît ce qu’évoque Tagore : être « une flûte de roseau que tu puisses emplir de musique ».

                                                       Gilles Bourdeau, 6 août 2006

 

SYRINX
 

Premier roseau

la bruine diaphane

du printemps

les gouttes de pluie

les odeurs

résonnent sur le sol

éveillé

*

à la fontaine vient

le ruisseau

jusque dans les veines

joue le sang

dans l’âme de santal

le coeur vrai

 

Deuxième roseau

je chante le matin

au jardin des joies

un hymne

 la senteur des myrtes

des grands lys  goûte

l’encens

l’olivier effeuille

l’âme des collines

en paix

 

*

 

sur les pierres fines

marchent fébriles

des anges

 

effleurent les murs

froissent les heures

du temps

 

je reste accoudé

à la clarté neuve

divine

 

troisième roseau

 

le soir s’en va au fleuve

avec les morts

 

l’orage la foudre dansent

répandent la cendre

 

*

 

les étoiles ondoient la peine

bercent les pleurs

 

près des rivages obscurcis

gémit l’endeuillé

 

*

 

le fleuve s’en va à la nuit

voûté de barques

 

comme une voile dépliée

la brise s’essouffle

 

Quatrième roseau

sur les montagnes

 un bâton une flûte

un beau chant

*

les oiseaux survolent

ailes jointes

les silences

 

chaque coteau arbore

un bouquet de vignes

de pervenches

 

une main ample jette

des milliers de grains

sur les sentiers

 

montent descendent

avec des bêlements

les agnelets

 

*

 

sur les montagnes

le berger appelle

de sa voix

 

Cinquième roseau

 

flûte périssable

homme de dieu

*

le plaisir donné

se mêle au vin

 

la coupe bue

l’âme a soif

 

le feu n’arrête

qu’aux soleils

 

la passion brûle

le fol incendie

 

*

 

l’amour tant aimé

danse infatigable

 

Sixième roseau

  

par quel bout

prendre chaque amour

 

qui puise à la fontaine

découvre l’eau

 

*

 

tant verser

même le coeur recueilli

 

quand l’infini est abreuvé

veille la soif

 

*

 

en voyage

le désir retourne à dieu

 

parvenu au souffle pur

dieu donne dieu

 

Mains

 

comme des midis de feu

étreindre le corps l’esprit

 

Lèvres

 

d’un tremblement éternel

approcher le roseau libre

 

Souffle

 

invisible passe  l’âme

 priant toutes les rives.

 

*

 

“ O Maître-Poète! Je me suis assis à tes pieds.

Que seulement je fasse de ma vie une chose simple et droite,

pareille à une flûte de roseau que tu puisses emplir de musique. “

 

Rabindranath Tagore, L’offrande lyrique, VII,

Paris, Gallimard, 1961, p. 14

*

Gilles Bourdeau, 27 mars 2004

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